Categorie ‘Littératures germaniques

Petit Oncle * de Sherko Fatah (2006)

19.03
2006

Berlin, un soir de Noël dans les années 90  :  trois jeunes allemands désoeuvrés suivent les pas de Rahman, un jeune immigré kurde irakien, dans un parc à la tombée de la nuit, l’aident à tuer l’un des cygnes qui ornent le lac et, de retour chez lui, à le préparer pour le faire cuire. Quelque temps après, Michael, étudiant en quête d’un ailleurs, amène dans ce même appartement « Petit Oncle », un réfugié politique kurde, un vieil homme qui semble avoir perdu l’usage de la parole et qu’a pris sous sa protection Nîna, une autre jeune réfugiée qui ne parle pas un mot d’allemand, et dont il est tombé amoureux. La soirée tourne mal.  Pour essayer de mieux comprendre les épreuves qu’a pu traverser « Petit  Oncle », Michael accepte de partir avec Rahman dans le nord de l’Irak…

Vaincre son empathie, comprendre la souffrance de l’autre en voyant dans quel milieu il a vécu, tels sont les buts que s’assigne inconsciemment ce jeune berlinois, et par son entremise tout lecteur qui entreprend la lecture de ce roman âpre, militant, rendant palpable l’horreur de la guerre, de la torture, du meurtre gratuit, qui sont le lot quotidien de milliers de personnes, dont certaines parviennent jusqu’à nos paisibles frontières.

FATAH, Sherko. - Petit Oncle / trad. de l’allemand par Olivier Mannoni. – Métailié, 2006. – 231 p.. – (Blbliothèque allemande). – ISBN : 2-86424-558-2 : 20 €.
Service de presse

Berlin Alexanderplatz * d’Alfred Döblin (1929)

25.09
2005

Après être sorti de prison pour avoir fait succombé son ancienne compagne sous ses coups, Franz Biberkopf retourne dans le quartier autour de l’Alexanderplatz. Résolu à repartir sur le droit chemin, il côtoie néanmoins les pires voyoux des bas-fonds de ce Berlin des années 1925-1930, échappe de peu à leurs pièges, y laisse un bras et sa compagne…

« Le châtiment va commencer.
Il se secoua, avala sa salive, se marcha sur le pied. Puis, ayant pris son élan, il se trouva assis dans le tramway, au milieu des gens. En avant ! Tout d’abord, ce fut comme chez le dentiste qui vous empoigne une racine avec son davier et qui tire. La douleur augmente, la tête est tout près d’éclater. Il tourna sa figure vers la muraille rouge,
mais le tramway l’emportait, filant le long des rails, et, seule sa tête regardait encore dans la direction de la prison. La voiture fit un virage, des maisons, des voitures s’interposèrent. Des rues bruyantes surgirent ; voilà la rue du Lac. Des voyageurs montent et descendent. En lui, un hurlement plein d’épouvante : « Attention, attention, ça va recommencer ! » Le bout de son nez se glace, ses joues tremblent. Berlin – Midi, B. Z., La Nouvelle Illustration, La T.S.F., dernière édition. » (p. 20)

Publié en 1929, ce roman, le plus célèbre d’Alfred Döblin, fait partie des 100 meilleurs livres de tous les temps sélectionnés par 100 écrivains provenant de 54 pays différents (vous pouvez lire la liste complète sur Evene).

Coupures de presse, pluralité des points de vue, pensées des interlocuteurs, chansons, intertitres, interventions du narrateur, les effets d’annonce et de narration s’enchaînent.
Or, si le style effectivement est résolument moderne pour son époque (beaucoup l’ont comparé au Ulysse de Joyce), il est néanmoins difficile d’en poursuivre la lecture sans être passablement choqué, outré, agacé, surpris par la destinée de son protagoniste (l’auteur a réussi là un coup de maître car il est difficile d’y rester insensible), qui semble s’y confronter comme une bûche emportée par le flot d’un torrent, qui échoue parfois sur la rive, y trouvant une certaine quiétude, avant d’être emportée de nouveau par le cours des événements. D’ailleurs cet anti-héros semble aussi aveugle et borné qu’une bûche : tantôt il gagne la sympathie du lecteur qui perçoit en lui un bon fond, naïf et crédule, tantôt il l’agace, se jetant toujours dans « la gueule du loup », pardonnant trop et mal, ayant peu de discernement, et retournant sa violence non pas sur ses ennemis mais sur ses compagnes.
Alfred Döblin nous offre là la vision tragique d’un homme aux prises avec la fatalité, le récit épique d’un homme ramené inéluctablement au crime. On a pu aussi le comparer à Voyage au bout de la nuit de Céline, publié à la même époque et dont l’action se déroule également autour d’une place, celle de Clichy. Malgré le malaise ressenti à cette lecture, je n’ai pas pu m’en décrocher et ai lu jusqu’au bout ses 626 pages sur ces malfrats, ces prostituées et leurs macs des bas-fonds avinés de Berlin.

Dans l’adaptation cinématographique intégrale et extrêmement fidèle qu’a pu en faire en 1980 Rainer W. Fassbinder, l’anti-héros m’a paru bien moins crédule et naïf, et plus égoïste, prenant son plaisir, de force avec les femmes s’il le faut, tout en voulant se montrer fort pour rester honnête et ne pas replonger dans le vice et le crime, plus désarmé par le monde qui l’entoure, dont il était à l’abri en prison.

Gallimard (Folio).
626 p.
8,60 euros.

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La statue de marbre * de Joseph Von Eichendorff (1819)

21.09
2005

Un jeune gentilhomme, Florio, choisit de séjourner dans la ville de Lucques. Dès le premier soir de son arrivée, il s’éprend de la jeune et douce Bianca, fait la connaissance d’un chanteur, Fortunato, mais aussi d’un chevalier énigmatique, Donati. Une nuit, perdu dans ses pensées, il arrive devant une belle statue de marbre rescuscitant au plus profond de lui l’amante de ses rêves…

Entre la déesse de l’amour et la jeune et sage Bianca, le baron Joseph von Eichendorff, en catholique convaincu, aidera son personnage à se désenchanter des sortilèges païens en écoutant le chant de la foi. Plus connu par ses poèmes, l’auteur sème d’ailleurs des vers à tous vents dans cette nouvelle oubliée, publiée en 1819 dans L’Almanach pour dames. Statues de marbre, enchantement des sens, personnages ambigus, Vénus tentatrice et païenne : La Statue de Marbre distille tous les poncifs du fantastique et du romantisme allemands, tout en tirant son originalité de son langage poétique proche des synesthésies baudelairiennes. Un petit bijou de raffinement lyrique qui viendra élargir la palette des nouvelles fantastiques .

VON EICHENDORFF, Joseph. –  La statue de marbre /  trad. de Rémi Laureillard. – Paris : édition Sillage, 2003. – 107 p.. – ISBN : 2-9518624-1-5 : 9,50 €.

Les Éditions Sillage ont été créées en décembre 2001 par huit étudiants férus de littérature. Confrontés au problème de l’indisponibilité de textes qu’ils recherchaient, ils s’accordaient à dire que des œuvres oubliées l’étaient parfois par négligence, ou malheureux hasard. C’est de là qu’est né un projet éditorial : donner à lire à nouveau des ouvrages introuvables, dont l’originalité, la fantaisie, l’humour, l’intelligence semblent mériter qu’on s’y attarde aujourd’hui.
Chacun des titres de cette toute jeune maison d’édition n’avait encore imprimé (en 2003) que de 400 à 500 exemplaires, au format poche en couverture Vergé : Les mille et une fadaises de Jacques Cazotte, Le Choix d’une fiancée d’E.T.A. Hoffmann,…
Editions Sillage : 90, rue Cambronne 75015 Paris