Categorie ‘Littérature italienne

Le château des destins croisés d’Italo Calvino

26.10
2009

cop. Seuil

Le château des destins croisés suivi de La taverne des destins croisés

« J’écarte un tarot, j’en écarte un autre, je me retrouve avec bien peu de cartes en main. Le Cavalier d’Épée, L’Ermite, Le Bateleur, c’est toujours moi tel que tour à tour je me suis imaginé que j’étais, cependant que je continuais d’être assis promenant ma plume sur la page de haut en bas. L’élan guerrier de la jeunesse s’éloigne au galop par des sentiers d’encre, avec l’anxiété existentielle et l’énergie de l’aventure, dépensés dans un carnage de ratures et de feuilles jetées au panier. » (p. 115)

Dans un château au milieu d’un bois, les convives, accueillis autour d’une belle table, ne peuvent émettre un son. L’hôte sort alors un jeu de tarots italien, et chacun d’entre eux va tour à tour sortir une carte le désignant et d’autres décrivant un lieu, un personnage, un objet, pour que les spectateurs puissent imaginer son histoire.

 

Partageant les idées de l’OU.LI.PO. (OUvroir de LIttérature POtentielle), Italo Calvino s’essaie ici au jeu des contraintes dans l’écriture et des procédés combinatoires par le biais du tarot. Par un « tour de passe-passe qui consiste à aligner des tarots pour en tirer des histoires » (p. 115), il s’identifie à « un prestidigitateur ou illusionniste qui dispose sur son étalage de foire un certain nombre de figures et qui, les déplaçant, les réunissant, les échangeant, obtient un certain nombre d’effets. » (p. 115). 

Le résultat se lit pour ce qu’il reste : un jeu, un exercice de style, comme Georges Pérec a pu omettre la voyelle la plus utilisée en français dans un roman de 300 pages, La Disparition, ou Raymond Queneau composer d’innombrables variantes de style autour d’un même texte. Les histoires inventées à partir des motifs des cartes, ou plutôt puisées dans le répertoire folklorique existant, se répondent et s’entrecroisent, mais, à vrai dire, le lecteur admire le procédé, mais n’est pas captivé, voire s’ennuie. Une curiosité, à tenter entre amis, pourquoi pas, lors d’une veillée ?

 

CALVINO, Italo. – Le château des destins croisés / trad. de l’italien par Jean Thibaudeau et l’auteur. – Editions du Seuil, 1998. – 140 p.. – (Points). – ISBN 978-2-02-033425-9 : 5,50 euros.

Mal de pierres de Milena Agus

17.09
2009

 

cop. Liana Levi

Sa vie, elle l’a vécue avec un avant et un après. Après cette fameuse chose principale qui lui manquait. Avant sa cure, elle a failli rester vieille fille, faisant fuir tous ses prétendants par des lettres enflammées, et se vit contrainte d’épouser un communiste, le grand-père de la narratrice, sa petite-fille, qui tente de rassembler avec tendresse les pièces du puzzle de son existence : tous deux se sont alors apprivoisés sans jamais s’aimer, chacun bien à l’opposé du lit sans se toucher. Après sa cure, elle mit au monde un fils qui deviendra un pianiste de renommée internationale.  Car cette chose principale, qui lui est arrivée, qui lui faisait défaut, c’est l’amour, croit-on deviner, et cet amour, elle l’aura connu au travers du Rescapé qu’elle a rencontré lors de sa cure, un intellectuel doublé d’un artiste, qui aura su  aimer tout d’elle, même ses cicatrices aux bras, même sa folie…

« Elle avait donné son cahier au Rescapé parce que désormais elle n’aurait plus le temps d’écrire. Il lui fallait commencer à vivre. Parce que le Rescapé fut un instant, et la vie de grand-mère tant d’autres choses. » (p. 103)

 

Sa rencontre avec le Rescapé constitue l’acmé de la vie de cette femme  qui a toujours été considérée comme folle par son entourage. Un premier thème d’ailleurs surgit, celui de l’incommunicabilité entre les êtres, l’incompréhension de motivations, de raisons d’être différentes. Car ce roman n’est pas une histoire d’amour. Loin s’en faut. Est-ce vraiment l’amour qu’elle a trouvé  auprès  du Rescapé ? Certes, il a été le seul à la respecter, le seul à ne pas considérer sa fantaisie comme folie, et à prendre au sérieux sa sensibilité poétique et artistique. Plus important, elle a trouvé auprès de lui une raison de s’aimer. Cette rencontre, c’est aussi l’énigme du roman dont la narratrice, sa petite-fille, nous donne la clé dans les deux dernières pages, et nous oblige à réviser toutes nos conclusions hâtives. Son bonheur ne l’a-t-elle pas plutôt créé  ? Car sa vie, ne l’a-t-elle pas écrite, inventée, imaginée et embellie ainsi une vie que l’on n’a pas eue ?

Un roman lapidaire, justement, à la voix douce et limpide, qui rend hommage à la folie de l’écriture, à cette faculté de pouvoir inventer et imaginer des morceaux de vie, de pouvoir embellir ou noircir la réalité, de façon à rendre inextricables la réalité des mensonges qui l’embellissent. Pourquoi une étoile seulement ? Peut-être parce qu’il n’a pas eu le souffle suffisant pour m’emmener, peut-être parce que je l’ai reposé un peu déçue, au regard de son immense succès.

Le mépris d’Alberto Moravia

10.08
2009

 

 

cop. GF

Il Disprezzo (1954)

Traduit de l’italien par Claude Poncet 

Porté à l’écran par Jean-Luc Godard en 1963, Le Mépris est précisément un roman sur la mise en scène, sur le cinéma, mais plus encore un roman psychologique adoptant le point de vue d’un narrateur, scénariste pour pouvoir payer à crédit son appartement de jeunes mariés à Rome, cherchant à comprendre pourquoi et comment son épouse Emilia a pu en venir après deux années de mariage vécues dans un bonheur parfait à ne plus l’aimer, et même à le mépriser.

 

« à dire vrai, je n’étais pas encore tout à fait convaincu qu’Emilia s’était définitivement éloignée de moi, ni que je trouverais la force de me séparer d’elle, de lâcher mon travail de scénariste et de vivre seul. En d’autres termes, j’éprouvais un sentiment d’incédulité d’une espèce douloureuse et nouvelle pour moi, en face d’un fait que mon esprit considérait déjà comme indubitable. Puisque Emilia avait cessé de m’aimer, comment en était-elle arrivée à cette indifférence ? » (p. 72)

Dans toute son oeuvre, Alberto Moravia dissèque les rapports amoureux mais aussi le rôle que la société et l’argent peuvent jouer dans une relation à autrui, a fortiori dans un couple. Ici le drame se noue à Capri dans la mise en abime d’une interprétation de l’Odyssée comme fuite d’Ulysse devant ses problèmes de couple à l’intérieur de cette interrogation perpétuelle d’un narrateur resté obstinément aveugle au pouvoir de séduction que pouvait représenter l’assurance d’un homme fortuné  sur sa femme.
C’est aussi une méditation sur l’incommunicabilité dans un couple. Quand tout se dit, il est déjà trop tard.
Comme une réflexion sur l’art, sur l’impossibilité souvent d’en vivre, sur l’énergie dépensée pour un travail alimentaire qui épuise celle nécessaire à une création personnelle, sur le prétexte aussi du temps dépensé pour cette autre activité pour ne pas avouer son impuissance, son absence d’idées neuves.
Tout se vend, tout s’achète, même les rêves. Du couple ou de soi, que privilégier ? En croyant assurer le confort et la pérennité de son couple en s’oubliant lui-même,  Riccardo perd et l’admiration et l’amour de sa femme et son amour-propre. A méditer.

La coulée de feu de Valerio Evangelisti

17.05
2009

 

cop. Métailié et Carnets de SeL

A Brownsville, en 1859, à  l’arrivée des rangers, la veuve Marion Gillepsie décide de partir avec ses deux enfants, Christine et Ruppert, aux côtés de Don José San Ramon, tandis que la petite Mexicaine Margarita Magon échappe des griffes du sudiste William Henry pour se placer sous la protection de Carvajal, dans les tumultes de trente ans de guerre dont surgira la nation mexicaine.

Valerio Evangelisti nous transporte avec talent dans une grande fresque historique, dont on suit le destin d’une galerie de portraits, souvent tragique. En filigrane, il y dénonce les discriminations raciales, le sort réservé à ces indiennes et mexicaines considérées au mieux comme de petits animaux, et le massacre des Indiens. Un roman-fleuve qui nous permet d’appréhender un sujet que maîtrise bien l’auteur, ancien professeur d’histoire.

« La dame chez qui, à quatre heures du matin de ce 16 septembre 1859, William Robertson Henry, dit « Big Bill », se trouvait, n’était nullement mexicaine. Marion Salstreet Gillepsie, veuve quadragénaire d’un sous-officier de Fort Brown tombé deux ans plus tôt dans un guet-apens des Comanches, avait du mal à cohabiter avec les quatre esclaves nègres qui la servaient. Et pourtant, elle trouvait encore plus repoussants les Mexicains qui s’obstinaient à vivre à Brownsville (…). » (incipit, p. 19)

 

EVANGELISTI, Valerio. – La coulée de feu / trad. de l’italien par Serge Quadruppani. – Métailié, 2009. – 413 p.. – (Bibliothèque italienne). – ISBN 978-2-86424-645-9 : 22 €.

Derrière le paravent de Loriano Macchiavelli

26.11
2008

cop. Métailié

Titre original : Passato, presente e chissa
Traduit de l’italien par Laurent Lombard

Bologne, 1978. Chargé de la surveillance d’une collection de numismatique, Sarti Antonio fait garder les seules issues. Ce faisant, il oublie l’existence d’un aqueduc antique qui arrive dans la cour du bâtiment : les trois plus belles pièces sont dérobées et lui, puni pour sa négligence, affecté au quartier du Pilastro, où les forces de l’ordre sont impuissantes devant le réseau de délinquance qui y est ancré. Il y fait la connaissance du jeune Claudio, âgé d’une douzaine d’années, dont il se prend d’affection. Aussi, lorsqu’on découvre son petit cadavre sur le trottoir, une balle de carabine dans la nuque, il n’a de cesse de trouver son assassin…
« - Qu’est-ce qu’il vous avait fait de mal, mon petit Claus ?
Je me le suis demandé moi aussi. Au moment précis où je l’ai vu sur le trottoir, la joue droite écrasée sur le porphyre, un trou minuscule dans la nuque, le sang séché sur les cheveux.
Je me le suis demandé moi aussi. » (p. 59)
A l’aide de son antihéros, grand amateur de café, Loriano Macchiavelli façonne un petit polar qui lève le voile sur les préjugés qui avaient cours sur le ghetto d’alors de cette ville italienne.
Je ne peux que vous inciter à lire la critique d’un confrère, Jean-Marc Laherrère, véritable amateur de polars, sur actu-du-noir.
MACCHIAVELLI, Loriano. - Derrière le paravent / trad. de l’italien par Laurent Lombard. – Métailié, 2008. – 233 p.. – (Bibliothèque italienne. Noir). – ISBN 978-2-86424-667-1 : 19 €.

Le tailleur gris d’Andrea Camilleri

28.10
2008

cop. Métailié

Titre original : Il tailleur grigio (2008)

« Quand elle décidait comment se vêtir, elle n’avait pas de repentir. Sauf que, étrangement, les gestes qu’elle faisait pour se vêtir s’avéraient beaucoup plus provoquants que ceux d’un striptease. Si, par exemple, elle enfilait un pantalon, les mouvements sinueux de son bassin et de ses flancs mimaient impitoyablement un autre mouvement. » (p. 32)

Un ancien directeur de banque, complètement déstabilisé par son premier jour de retraite, reporte toutes ses pensées vers sa jeune et ravissante épouse trentenaire, Adele, que veuf, il a épousé en secondes noces.  Il regrette de ne plus pouvoir assister à son rituel de la salle de bain, accordé à d’autres, comme ce Daniele, ce « neveu », grand, beau et blond, accueilli sous son propre toit, tandis qu’il se retrouve exilé à l’autre bout de la villa. Il devine d’ailleurs les manoeuvres de sa femme pour le savoir occupé ailleurs. C’est peine perdue puisqu’il apprend le lendemain qu’il a une tumeur…

Nulle enquête dans ce nouveau titre de Métailié noir, car l’énigme n’est autre qu’une femme, celle du narrateur, ou plutôt non, car ce dernier la devine trop bien, et la voit venir, avec ses stratégies machiavéliques, jusqu’au jour où on lui apprend le cancer de son époux. Se serait-il trompé à son sujet ? L’aimerait-elle ? Ici, l’auteur sicilien de La disparition de Judas (2002) et de La Pension Eva** (2007) préfère placer le suspens au coeur de la sphère privée, même si la mafia n’est pas loin. L’énigme est d’autant plus cruelle à résoudre, le narrateur étant on ne peut plus lucide sur son mariage sans amour avec une femme plus jeune que lui, avec qui il ne peut espérer partager ses années d’oisiveté de retraité. On pourrait le plaindre, mais non, et puis quoi encore : quand on n’a vécu que pour son travail sans savoir à quoi occuper son temps libre, et que l’on épouse quelqu’un uniquement pour sa jeunesse et sa beauté, pourquoi s’étonner de s’ennuyer à la retraite et de voir sa femme lui préférer des hommes plus jeunes ? Peu d’empathie donc pour le narrateur. Nonobstant, l’originalité du noeud de l’intrigue placé dans l’intimité du couple mérite d’être saluée. A ne pas offrir à un retraité.

CAMILLERI, Andrea. – Le tailleur gris / trad. de l’italien par Serge Quadruppani. – Métailié, 2009. – 135 p.. – (Bibliothèque italienne). – ISBN 978-2-86424-701-2 : 16 €.

Padana city de Massimo Carlotto & Marco Videtta

22.09
2008

cop. Métailié

Titre de l’édition originale : Nordest (2005)
Proposé et traduit de l’italien par Laurent Lombard aux éditions Métailié (2008)

RENTRÉE LITTÉRAIRE 2008
LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

Une semaine avant son mariage, la belle Giovana a le tort d’annoncer à son amant qu’elle va tout avouer à son futur époux, l’avocat Francesco : on la retrouve noyée dans sa baignoire le lendemain. En recherchant l’assassin, Francesco va découvrir peu à peu la quête de sa fiancée avec sa meilleure amie pour disculper son père, et avec elle le trafic d’une mafia roumaine sur laquelle s’appuient les grandes familles industrielles de la ville…

Un petit polar bien sympathique, où l’on réussit à s’attacher au pauvre héros qui va de découverte en désillusion, dans ce milieu où l’argent et le pouvoir n’ont pas de coeur, à tel point que cela pourrait presque ressembler à un roman d’apprentissage.

CARLOTTO, Massimo, VIDETTA, Marco. – Padana city / trad. de l’italien par Laurent Lombard. – Métailié, 2008. –  212 p.. – (Bibliothèque italienne. Noir). – ISBN 978-2-86424-661-9 : 18 €.