Categorie ‘Littératures asiatiques

Le vieil homme et son chat boivent du petit lait de Nekomaki

17.07
2020

IMG_20200709_132343Sur une petite île désertée par la jeunesse et les commerces subsiste une communauté de vieux villageois adorant la compagnie des chats. Daikichi, veuf et instituteur à la retraite, y vit avec son chat Tama, âgé de dix ans. L’arrivée de la jeune Michiko au café de l’île, pour aider en cuisine son oncle et sa tante, va bouleverser les habitudes des vieux insulaires, qui vont se replonger dans le passé grâce à sa cuisine, et le cœur des jeunes docteur et facteur…

Ce quatrième tome autour du duo du vieux Japonais et de son chat s’attarde sur le côté négatif de la vie insulaire comme le départ des derniers commerces, la lourdeur des déplacements maritimes pour s’approvisionner, rendre visite au vétérinaire. Mais il rebondit sur l’irruption ponctuelle de la jeunesse pour passer des vacances chez les grands-parents ou pour épauler sa famille. Les plaisirs de la vie comme la préparation de recettes traditionnelles ne sont pas en reste, ni les chats les derniers à attendre l’arrivée du poisson ! Quant au dessin, rond et coloré, il est tout simplement trop cute : en un mot, un manga très kawaii !

Date de sortie : 1er juillet 2020

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La danseuse d’Izu de Kawabata

16.07
2017
cop. Biblio

cop. Biblio

 

La danseuse d’Izu entame ce recueil de cinq nouvelles,qui est une oeuvre de jeunesse de ce lauréat du prix Nobel de littérature en 1968 : un étudiant, séduit par la danseuse qui se produit dans une troupe de forains, choisit de faire route avec eux, malgré l’opprobre sur les « gens de cette espèce« .

Elégie fait l’éloge, à l’annonce de la mort de celui que l’amante a aimé et qui est parti avec une autre, du « sentiment de l’analogie du destin des plantes et de celui des hommes« , et donc des textes sacrés du bouddhisme à l’inverse des autres religions qui croient que l’homme survit « en conservant, dans un monde à venir, la forme qui fut déjà sienne dans un monde antérieur ».

Bestiaire raconte l’amour d’un homme pour une danseuse écervelée qu’il s’apprête à revoir après plusieurs années, qui lui fait pensée aux oiseaux dont il s’entoure, à défaut d’aimer la compagnie des hommes, et qu’il laisse cruellement mourir par négligence ou par accident.

Retrouvailles conte celles de Yuzo, après la défaite de la seconde guerre mondiale, avec Fujiko, son ancienne maîtresse.

Et enfin La lune dans l’eau raconte les souvenirs d’une épouse qui a eu l’idée de confier à son mari, alité et mourant, sa glace à main pour qu’il puisse voir leur potager, le ciel et les nuages…

Tout est ici d’une cruauté sans nom, enrobée de subtilité, de raffinement, d’élégance toute japonaise. A la finesse psychologique de Kawabata, je continue néanmoins à préférer la tension d’un Fusil de chasse de Yasushi Inoué.

L’étrange bibliothèque de Murakami

13.07
2017
cop. 10/18

cop. 10/18

Habitué de la bibliothèque municipale sans en être pour autant un rat, un jeune Japonais, très poli, rend toujours ses livres en temps et en heure. Un jour une femme inconnue à l’accueil quitte des yeux son énorme livre pour lui suggère de descendre l’escalier jusqu’à la salle 107. L’y attend un vieil homme qui trouve pour lui trois gros vieux volumes sur le système fiscal dans l’Empire ottoman, qu’il est interdit d’emprunter. Dès lors, il va lui falloir les lire sur place, dans une geôle tout au fond d’un labyrinthe…

Quel curieux texte ! Les illustrations de Kat Menschik, très modernes, sur papier glacé tranchent avec cette histoire lugubre et complètement « has been » de lecteur emprisonné dans les sous-sols d’une bibliothèque pour se faire aspirer le cerveau rempli de savoir par un vieux bibliothécaire. Ce récit m’a laissée de marbre. Pire, je ne me vois pas le conseiller ni à mes filles ni à mes élèves… Quelle déception !

 

Le pied de Fumiko de Junichirô Tanizaki

15.02
2015

cop. Gallimard

 

« Il était une fois, aux temps de la dynastie des Qing, au faîte de son éclat, brillait encore de mille feux comme une pivoine à l’acmé de sa splendeur, un jeune et beau prince du nom de Meng Shidao qui résidait dans une grande ville chinoise de Nankin. » (incipit)

Dans La complainte de la sirène de Junichirô Tanizaki (1886-1965), un prince beau et intelligent s’ennuie. Il a beau pouvoir goûter aux plus belles femmes et aux meilleurs vins, plus rien ne l’émerveille, jusqu’au jour où un étranger lui amène une sirène…

Cette première nouvelle fait songer à l’un de ces contes des mille et une nuits, où tout rivalise de perfection (le prince, son harem, la sirène,…) et où finalement chacun est renvoyé à sa solitude, quelles que soient ses qualités.

Dans Le pied de Fumiko, un étudiant aux Beaux-Arts doit exécuter le tableau de la courtisane d’un parent retraité volage, brouillé avec sa famille. Si Fumiko est belle, ses pieds le sont plus encore, au point d’obséder les deux hommes…

Cette nouvelle est l’occasion de très longues descriptions du corps féminin, de blasons évoquant le fétichisme platonique de ces deux Japonais pour le pied féminin, fétichisme culturel s’il en est, qui permet de contourner dans cette relation entre un mourant et une très jeune femme les écueils de la vieillesse et de l’impuissance.

Deux nouvelles très descriptives, faisant l’apologie d’une beauté idéale, avec une intrigue très mince, dont ne ressort finalement que peu d’émotion.

 

TANIZAKI, Junichirô.

Le pied de Fumiko précédé de La complainte de la sirène

Gallimard (Folio 2€, 5902 ; 2015)

110 p.

EAN13 9782070462643 : 2 €.

Une terrible vengeance de Nicolas Gogol

17.03
2013
cop. Gallimard

cop. Gallimard

Depuis que l’essaoul a chassé de sa cour un sorcier le jour des noces de son fils, les légendes qui courent autour de ce dernier angoissent l’une des invitées, dame Catherine, berçant son nourrisson, que son époux, Danilo Bouroulbach, tente en vain de rassurer. Bientôt des rêves étranges la tourmentent. Installé à proximité du château de cet homme mystérieux, le jeune couple semble effectivement être devenu la cible de la haine du sorcier…

 

« Au milieu de la pièce un nuage blanc se dessine et quelque chose qui ressemble à de la joie brille alors sur le visage du sorcier. Mais pourquoi le voit-on soudain devenir immobile, et rester là bouche bée, sans oser bouger le petit doigt, et pourquoi ses cheveux se dressent-ils sur sa tête ? Dans le nuage, devant lui, il a vu luire un étrange visage.» (p. 75)

Nous voici en plein coeur de l’Ukraine, au début du XVIIème siècle, une époque pleine de batailles et de duels, où les Cosaques s’entretuent dès que leur orgueil est blessé, et où les femmes quittent l’autorité du père pour se soumettre à celle de leur mari. Dans ce conte, le Mal est absolu, incarné par le sorcier, foncièrement malfaisant. L’atmosphère oppressante d’un psychodrame, l’innocence des victimes, la virilité outrancière des personnages, tout contribue à perturber le lecteur, qui en trouve l’explication dans la fable contée toute à la fin. Poussant au paroxysme ses motifs fantastiques (revenants, rêves, …), cette nouvelle est absolument terrifiante. Une histoire qui a certainement atteint son but puisqu’elle m’a mise profondément mal à l’aise.

 

Anna Karénine de Tolstoï

07.10
2012

 

cop. LGF et Carnets de SeL

Russie, vers 1873. Vrönski se rend à la gare chercher sa mère, qui arrive de Saint-Pétersbourg, laquelle a voyagé avec Anna Karénine, la soeur d’un ami, Stépan Arkadiévitch, mariée à un haut fonctionnaire de l’administration impériale, avec qui elle a eu un fils, Serge. Dès lors, Vrönski n’a de cesse de fréquenter les lieux où il la sait présente, causant la détresse de Kitty, la jeune belle-soeur de Stépan, laquelle, amoureuse de ce bel officier à la carrière prometteuse, vient de refuser sa main au bon et doux Lévine. Anna finit par céder à son amour naissant pour cet amant qui la poursuit de ses assiduités…

 

« Chaque fois que Vrönski reparaissait avec Anna, les yeux de celle-ci brillaient d’un éclat joyeux et un sourire de bonheur contractait ses lèvres rouges. Elle semblait faire un effort sur elle-même pour ne pas laisser transparaitre une joie qui malgré cela, sur ses traits, se décelait d’elle-même. » (p. 114)

 

Même si l’adultère constitue le sujet central de ce grand classique de mille pages, Tolstoï s’étant inspiré d’un événement tragique auquel il a assisté, un drame qui fit alors scandale, ce roman est aussi le prétexte pour Tolstoï d’opposer la vie pure à la campagne et la vie pervertie, faite de plaisirs et d’oisiveté, de la ville, comme il oppose aussi deux autres couples à celui, tragique et passionné, formé par Anna et Vrönski : celui de Stépan le joyeux volage et de Dolly, la mère de ses nombreux enfants, et celui, heureux, de Lévine et de Kitty, inspiré du mariage des Tolstoï. C’est ainsi qu’Anna connait de rares moments de quiétude en dehors de la ville, tout comme Lévine ne se reconnait plus dès qu’il est obligé de se rendre en ville.

Cette opposition est aussi le moyen d’observer le comportement des aristocrates envers leurs serviteurs en ville, et envers les paysans à la campagne. Car ce roman brosse surtout le portrait d’une société mondaine, aux principes de laquelle Anna déroge, et c’est en cela que cette dernière la condamne : Anna, incapable de mensonge, avoue sa liaison à son mari et aux yeux de tous, au lieu de vivre son adultère en secret (de polichinelle).

Mais, fait remarquable, dans tout le roman, Tolstoï se pose en démiurge : sans les commenter, sans les juger, contrairement à Balzac, Zola ou Flaubert, qui ont pu édifier des « types », il ne blâme ici la conduite d’aucun de ses personnages, et leur donne pleinement vie, avec leurs qualités et leurs défauts. Il s’inscrit lui-même au coeur du roman en la personne de Lévine, tourmenté par son absence de foi, son scepticisme, ses tentatives de réformes, son désir de travailler de ses mains.

Tolstoï fait aussi la part belle à ses portraits de femmes, à ces femmes à qui l’on n’accorde guère que le rôle d’épouse et de mère, et dont il va décrire les craintes, les renoncements, le dévouement et les responsabilités. C’est d’ailleurs l’épisode de l’accouchement qui semble avoir tout particulièrement impressionné tant ses contemporains que ses confrères, ce fragile passage que se fraie la vie, pouvant, surtout à l’époque, entraîner la mort.

Voilà les commentaires que m’inspire ce grand classique que je n’avais pas lu jusqu’ici. En dépit de la qualité de son observation de l’aristocratie de l’époque et de la finesse de sa description psychologique de la passion qui anime Anna, j’avoue avoir été un peu frustrée (la scène confisquée du délicieux abandon d’Anna dans les bras de Vrönski ! Règle de bienséance de l’auteur ?) et ne pas avoir été totalement séduite, sans vouloir le comparer à d’autres classiques français. Peut-être qu’à force d’entendre crier au génie l’on ne peut qu’être déçu de ne pas ressentir une immense admiration pour ce roman célèbre.

 

Ebook libre et gratuit ici !

Anna Karénine / Léon Tolstoï ; préf. d’André Maurois ; comment. de Marie Sémon. – Paris : Librairie générale française, 2011. – 1020 p. : couv. ill. en coul. ; 18 cm. – (Classiques de poche). – (Collection principale : Le livre de poche ; 3141). - ISBN 2-253-09838-8 (br.) : 9,20 €.

Le double ** de Fédor Dostoïevski (1846)

16.10
2011

 

« Monsieur Goliadkine, tout de suite, selon son habitude de toujours, s’empressa de prendre un air tout à fait particulier – un air qui exprimait clairement que, lui, Goliadkine, il était, comme ça, qu’il n’était rien, que la route était assez large pour tout le monde, et que lui, n’est-ce pas, Goliadkine, il ne touchait personne. Soudain, il s’arrêta, pétrifié, comme frappé par la foudre, puis, très vite, il se retourna, dans le dos du passant qui venait juste de le dépasser – il se retourna avec un air comme si quelque chose venait de le tirer par-derrière, comme si le vent venait de faire virer sa girouette. » (p. 79)

La nuit où Iakov Pétrovitch Goliadkine, fonctionnaire insignifiant dans la bureaucratie russe, est chassé d’un bal célébrant l’anniversaire de la fille unique du conseiller d’Etat Bérendéïev, où il a été humilié publiquement, il ne désire plus que s’enfuir, s’enfuir loin de lui-même, et même s’anéantir entièrement, se trouver réduit en cendres. C’est alors qu’il croise un passant qui lui semble singulièrement familier, auquel son valet Pétrouchka lui ouvre la porte de son appartement. Car ce passant, qu’on appellera désormais Goliadkine-cadet, est un autre lui-même, c’est-à-dire son double…

A ce premier élément perturbateur qui survient au moment où le protagoniste est au plus mal, à un peu plus du tiers du roman, s’ajoute un second élément inquiétant, et non des moindres : personne ne semble s’en étonner, sauf lui. Dès lors, le lecteur oscille entre les différentes interprétations possibles de l’apparition de ce double lors de cette terrible nuit  de déconfiture : le personnage est-il atteint de folie, comme sa visite en début de roman au psychiatre Krestian Ivanovitch nous incite à le penser ? Serait-ce un stigmate de sa paranoïa du complot ? D’un délire de persécution ? Ou souffre-t-il d’un dédoublement de la personnalité ? Ou enfin ses collègues et son valet, peu surpris, ne seraient-ils pas d’autres doubles ayant déjà pris la place de leur original ? Les questions demeurent, et une certitude aussi, celle d’avoir lu un roman fantastique comme il en existe peu. Hélas, à l’époque, le genre était peu goûté, il dérogeait aux intrigues classiques ; aussi les critiques réservèrent un accueil assez froid à ce deuxième roman, publié après Les Pauvres gens, plus académique, par ce jeune homme qui n’avait alors que vingt-quatre ans.

«Dostoïevski est la seule personne qui m’ait appris quelque chose en psychologie.» (Friedrich Nietzsche)

Le double : poème pétersbourgeois / Fédor Dostoïevski ; trad. du russe par André Markowicz. – Arles : Actes Sud, 1998. – 281 p. : couv. ill. ; 18 cm. – (Babel ; 345). - ISBN 2-7427-1898-2.