Categorie ‘Littérature du Proche-Orient

Istanbul d’Orhan Pamuk (2003)

30.04
2010

Copyright Folio

Titre original : Istanbul : Hatiralar ve sehir (2003)

« Quiconque souhaite donner un sens à sa vie s’interroge également, au moins une fois dans son existence, sur le lieu et l’époque de sa naissance. Que signifie être né à tel endroit du monde et à tel moment de l’Histoire ? Cette famille, ce pays, cette ville qui nous sont attribués à la manière d’un ticket de loterie, que l’on nous demande d’aimer et que l’on finit le plus souvent par aimer pour de bon, sont-ils le fruit d’un partage équitable ? Parfois je trouve que je suis malchanceux d’être né à Istanbul, en voyant ce que l’Empire ottoman a laissé derrière lui tomber en ruine ou se transformer en cendres, dans une ville vieillissant dans une atmosphère de défaite, de pauvreté et de tristesse. » (p. 18-19).

En quelques phrases, voilà esquissé dans ses grandes lignes le thème central de ce roman : à travers l’évocation de son enfance et de son adolescence, c’est le portrait de sa ville natale, et non des moindres, Istanbul, que se propose de brosser Orhan Pamuk. Aussi Istanbul n’a-t-il rien à voir avec Alexanderplatz d’Alfred Döblin, roman se déroulant dans l’entre-deux-guerres sur cette place emblématique. Tout à la fois récit d’apprentissage et documentaire illustré, ce roman foisonnant n’a pas d’équivalent. Orhan Pamuk passe ainsi en revue les peintres, photographes et écrivains, occidentaux ou stambouliotes qui ont pu dépeindre la ville, s’arrêtant plus longuement, par exemple, sur les tableaux de Melling ou Constantinople de Théophile Gautier, « le meilleur de tous les livres sur Istanbul écrits au XIXe siècle. »

Déclin, défaite, pauvreté, tristesse, autant de qualificatifs qui teintent de noir et blanc les habits discrets des gens, les pavés des rues, les konaks en bois rescapés d’incendies, comme les photographies, la plupart d’Ara Güler, qui émaillent son récit. Il n’est pas anodin qu’Orhan Pamuk commence son livre par cette citation d’Ahmet Rasim, écrivain d’Istanbul : « La beauté d’un paysage réside dans sa tristesse. » Plus que de la nostalgie, c’est de la mélancolie, celle par exemple de « ces pianos dont personne ne jouait », de ces salons-musées fermés à clef, qui va sourdre de ces 540 pages rendues passionnantes par l’érudition, le sens de l’observation aigu et l’analyse psychologique très fine de ce lauréat du prix Nobel de littérature.

Une lecture absolument captivante.

PAMUK, Orhan. Istanbul : souvenirs d’une ville / traduit du turc par Savas Demirel, Valérie Gay-Aksoy, Jean-François Pérouse. Gallimard, 2010. 547 p. : photogr. n.b.. (Folio). ISBN 978-2-07-035860
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Les hirondelles de Kaboul de Yasmina Khadra

26.04
2009

Dans un Kaboul caniculaire où les talibans épient le moindre manquement aux lois établies, deux couples se déchirent. Tandis qu’Atiq, geôlier, fuit le domicile conjugal où son épouse Mussarat dépérit d’une maladie incurable, Zunaira, belle et brillante, interdite d’exercer son métier d’avocate, ne reconnait plus son mari, Mohsen, et ne se reconnait plus elle-même, emprisonnée sous son tchadri, à qui on a retiré toute liberté et toute dignité…

« Depuis cette altercation dans la rue de Kaboul, il ne distingue plus le jour de la nuit. Quelque chose d’irréversible a sanctionné cette maudite sortie. Si seulement il avait écouté sa femme ! Comment a-t-il pu croire que les promenades d’amour étaient encore possibles dans une ville aux allures de mouroir, infestée d’énergumènes rébarbatifs portant dans le regard la noirceur de la nuit des temps ? » (p. 121)

 

 

C’est une magnifique oraison funèbre que ce roman, celle de la liberté, de l’amour et de la vie, confisqués par l’extrémisme religieux, tout comme un hommage rendu à toutes ces femmes dont on bâillonne l’identité et la valeur, à la Femme et à leur Amour. Un miroir sans concession d’une situation intolérable. Lire Les Hirondelles de Kaboul suffit à faire naître un sourd sentiment de révolte. Quand la puissance d’évocation de la fiction devient plus forte et plus dure que tous les essais et documentaires…

Crises d’asthme d’Edgar Keret (2002)

26.09
2005

cop. Actes sud

Dans la veine de Kafka, trempant sa plume dans l’’humour noir et le minimalisme, cet écrivain israélien égrène la vie quotidienne des gens du commun, sans effleurer ou si peu le conflit avec la Palestine. Il a choisi la forme du récit bref de quelques pages et l’emploi du « je » pour entrer plus vite dans le vif du sujet de ces 48 nouvelles. On grimace beaucoup à la lecture de quelques textes macabres tels que « Mon frère est déprimé », « Le chapeau du magicien », « Langue étrangère » où le père se noie dans son bain pendant que ses fils discutent dans la pièce voisine pour savoir si leur cadeau lui a plu. Etgar Keret porte ainsi un regard désillusionné, plein d’ironie mordante, sur la vie d’un monde à la dérive : violence conjugale, meurtre, préjugés, endoctrinement scolaire. Mais ce regard, il le fait aussi pétiller par quelques clins d’œil, comme ces exceptions à la règle que sont l’« histoire du chauffeur d’autobus qui voulait être dieu » ou « de bonnes intentions ». Dans ce recueil écrit au scalpel, cet auteur, parmi les plus populaires de sa génération en Israël, fait éclater au grand jour l’étrange et inquiétante absurdité de notre quotidien.

 

Lecture d’avril 2003. Rencontre-dédicace le samedi 15 mars 2008.

 

KERET, Etgar. – Crise d’asthme. – Actes sud, 2002. – 208 p. : couv. ill. en coul. ; 19 cm. – ISBN : 2 7427 4093 7 : 18 €.

 

Vie et mort en quatre rimes d’Amos Oz (2008)

09.09
2005
Publié en Israël en 2007


Dérision et autodérision

Invité dans un centre culturel lors du soirée organisée en son honneur, un auteur laisse son esprit battre la campagne et imagine la biographie banale de ceux et celles qui attirent son attention : une serveuse, le délégué à la culture, la lectrice vivant seule avec son chat, l’adolescent poète tourmenté, la grosse femme assoiffée de culture,… 

L’excellente critique qu’en avait fait Pierre Assouline sur son blog m’a incitée à lire ce roman, d’autant que le prochain Salon du Livre mettra à l’honneur la littérature israélienne. Peut-être aurait-il dû être moins élogieux sur ce roman tournant en dérision ce que l’on pourrait appeler le service après-vente des auteurs, savoureux et si juste selon lui, car le roman m’a déçue :
Pourquoi ? Le texte d’abord, sans finesse ou subtilité particulière. L’exploitation du sujet ensuite, réduite à un simple épisode, à une soirée décrite de manière assez sordide, certes peuplée de personnages confrontés à leur solitude, chacun à leur manière, (et même l’auteur n’échappe pas à sa critique acerbe), mais sans creuser plus loin, sans en tirer quoi que ce soit, sinon le dégoût de ces simulacres de rencontres qui, au mieux, permettent à l’auteur de se retrouver au plumard avec la fan du coin. Pour tout imaginaire, il me semble que l’auteur nous a brossé le portrait d’une galerie de stéréotypes.

L’entrée en matière m’avait mise en appétit. Ensuite, il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat.

« Impossible de savoir si elle tient ou pas à ce que l’auteur, ce personnage connu, un peu trop gentil, courtois, voire paternaliste, à un point que c’en est pénible, monte avec elle. Il a une idée derrière la tête, mais laquelle exactement ? Désire-t-elle ou redoute-t-elle sa présence ? Maintenant ? En sortant, a-t-elle ou non oublié son soutien-gorge noir sur le dossier de sa chaise ? Et si oui, de quel côté ? Pourvu qu’on ne puisse pas voir les baleines ! » (p. 55)

 

 

OZ, Amos. – Vie et mort en quatre rimes / trad. de l’hébreu par Sylvie Cohen. – Gallimard, 2008. – 131 p.. – ISBN 978-2-07-078535-3 : 13,50 €.

Critique du Dimanche 10 février 2008 7 10 /02 /2008 09:00

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