Quand vous êtes jeune maman depuis presque trois mois, 24h sur 24h avec votre bébé que vous allaitez, que vous ne sortez plus, et que l’on vous dit : « voilà, tel jour, je peux te le garder. », vous feriez quoi de cette journée du 28 janvier ? Eh bien non, je n’ai pas fait les soldes, même si j’ai tout de même piétiné deux heures dans le froid avant de pouvoir entrer (je m’en doutais bien) : j’ai pris le train pour aller voir l’exposition de Hopper au Grand Palais. Forcément, j’en suis ressortie non pas avec le gros catalogue d’exposition, mais avec le petit format, avec absolument toutes les oeuvres aperçues, les commentaires en moins. Alors que dire de ce catalogue, sinon qu’il retranscrit les différents éléments biographiques donnés dans l’ordre chronologique au cours de l’exposition, ainsi que toutes les oeuvres exposées sur la belle page, leur légende en vis-à-vis. Seulement, bien sûr, rien ne vaut de les avoir vues, réellement : impossible dans ces reproductions, qui ne servent là que de béquilles à une mémoire défectueuse, de retrouver les couleurs et l’extraordinaire luminosité des tableaux de Hopper. Rien à voir. Avoir l’opportunité de contempler ces toiles et gravures ne se représentera plus de sitôt, la plupart appartenant aux musées des plus grandes villes américaines.
Citons ses plus belles oeuvres à mon sens :
- l’huile sur toile Soir bleu (1914), allégorique, clôt ses séjours en Europe (1906,1909,1910) qui l’ont beaucoup inspiré jusqu’alors : des gens attablés, bourgeois, bohèmes et même un maquereau, regardent un Pierrot lunaire (l’artiste).
- notons aussi parmi ses influences celle de Charles Burchfield, avec par exemple sa Promenade (1927-1928), qui fait penser à un cartoon : dans un décor sont tout en rondeurs (de belles maisons de ville de style victorien, des voitures, un arbre noueux au centre), une vieille dame promène son petit chien vêtu d’un manteau – une espèce de Yorkshire ?-, que suivent en riant, semble-t-il, trois grands chiens.
- ses 26 gravures, au crayon très précis, telle House on a hill (1920) où un couple arrive chez quelqu’un ? dans leur nouvelle demeure ? – …

Maison de Wimereux
S’inspirant des sujets photographiés par Eugène Atget (Paris) et Mathew B. Brady (E.U.), Edward Hopper a en effet peint de magnifiques maisons, les plus célèbres étant
House by the rail road, qui me fait songer à une autre, dans la ville balnéaire de Wimereux, au bord de la Manche, ci-contre. Sur un ciel vague, la lumière brumeuse d’un jour de grand soleil est projetée sur son profil. Elle est peinte de trois quart, en légère contre-plongée, avec la voie ferrée en premier plan, dont la rouille rappelle le toit rouge de la maison, laquelle semble presque humaine, vivante.
La lumière fait tout, même quand elle est artificielle comme dans Drug store (1927)
et Lighthouse hill (1927) : là aussi, la lumière vient sur le profil de la maison et du phare, peints de trois quart. Un beau ciel bleu, des rouges, des verts.
Devant ces maisons, ni personnage ni animal.
- Summer twilight : que dit l’homme à la femme sur le balcon ?
- East Side Interior (1922) : une femme, près de la lumière d’une fenêtre, se penche pour regarder… quoi à l’extérieur ?
- Eleven A.M. (1926) : cette femme est-elle vraiment nue ? Blafarde ? Cela reste indéterminé. Elle regarde par la fenêtre, semble s’ennuyer, observe peut-être la circulation en contrebas ou l’effervescence des passants.
- Two on the Aisle : des gens avant le spectacle réunis pour ressentir une même émotion.
Vues de loin, les toiles sont magnifiques. Si ce n’est pas sur une maison, un terrain vague devant mur enserrant quelques habitations et une église - Freight Cars, Gloucester (1928) - un paysage - éblouissant dégradé de verts de The Camel’s hump (1931) ou splendide coucher de soleil de Railroad Sunset (1929) avec encore le motif de la voie ferrée - , c’est sur des personnages que se pose la lumière, ainsi les deux femmes attablées (avec le chapeau bleu canard au milieu de la toile) dans Chop Suey (1929). Dans Gas (1940), une belle lumière transfigure également cette station service, avec de forts contrastes de rouge et de vert.
On reste également stupéfait devant ces énormes formats, tel Hotel Room (1931), à la composition assez géométrique, avec de grandes plages de couleurs : que lit la femme ? Pourquoi est-elle assise sur le bord du lit, et non allongée ou installée plus confortablement dans le fauteuil vert ? Elle lit en attendant, mais en attendant quoi ? Dans Room in New-York (1932), le spectateur reste à l’extérieur, dans la nuit, et observe un couple qui se retrouve le soir, sans se parler, dans un décor et des vêtements aux couleurs acidulées. Dans Summertime (1943), une jeune femme au chapeau, à la robe diaphane, attend qui ? Voit quoi ?
Comment ne pas en venir enfin à Nighthawks (1942) aux tonalités vert-rouille / bois, dont l’ennui sourd de ce pub très propre, à l’instar de la rue déserte. Cette toile avait inspiré un roman à Philippe Besson, comme tant d’autres par l’oeuvre d’Edward Hopper. Et comment pourrait-il en être autrement ? Il n’y avait rien de plus amusant et de plus intéressant dans cette magnifique exposition que d’écouter les multiples hypothèses de lecture des uns et des autres. D’une toile fusaient une multitude d’histoires possibles. Chaque univers solitaire et silencieux ouvrait des portes sur un avant et un après à deviner. Et c’est bien cela qui me plait tant chez Hopper. L’exposition s’achève sur Sun in a empty room (1963), comble de la solitude, une lumière vidée de ses personnages ; il ne reste plus qu’une pièce complètement vide : la vie passe, des histoires se font et se défont entre ces murs.
Sublime !