Titre original : Amb ulls de nena
« Comme il a fallu allumer la cuisinière à bois, le dîner est long à cuire. Quand il est enfin prêt, on dîne à la lumière d’une bougie. Elles coûtent 1,75 Ptas la pièce, et elles sont rares.
Après la bouillie de maïs et les trente olives, il n’y a plus rien car on n’a plus de souchets et rien pour les remplacer, je vais me coucher.
C’est le seul remède quand on a faim (à part manger). Quand on dort, on ne sent pas la faim ; et le plus beau, c’est que très souvent je rêve que je mange. Mais, quand je me réveille, je ressens une grande déception. » (p. 82)
Encarnacio, gamine de douze ans, se lance dans l’écriture d’un journal intime le 19 juillet 1936, alors que la guerre civile commence en Espagne. Bientôt, à Barcelone, les prix flambent, et la nourriture vient à manquer, à tel point qu’Encarnacio doit s’absenter de l’école pour rejoindre les files d’attente de plusieurs heures devant les boutiques ou les étalages du marché. Cette enfant, qui quitte l’innocence des jeux pour pouvoir survivre dans cette ville bombardée et assiégée, fait l’apprentissage de la honte, du mépris, de la haine d’autrui, voit son père changer d’attitude, la pénurie ayant raison de ses principes, sa mère recourir à tous les subterfuges pour ne pas avoir la tristesse de voir ses enfants affamés et de ne rien pouvoir leur donner.
« Je crois que ça ne peut pas se réprimer, c’est du vol, oui, mais du vol qui s’explique, du vol par nécessité. Si je n’avais pas faim, est-ce que je volerais ? Non.
Je crois aussi que l’homme le plus honnête et droit volerait par nécessité. Naturellement certains ont plus de volonté que moi, plus de résistance, mais ça aussi ça n’existe plus dans un cas extrême. » (p. 52-53)
Difficile de ne pas penser au journal d’Anne Frank en lisant cet autre journal d’une petite fille endurant les privations d’une guerre civile, et devant faire le deuil de personnes qui lui sont chères. Son esprit critique et avisé, son empathie pour autrui, associé à une jolie plume font de ce journal, sorti de son tiroir bien après Franco, un témoignage de la vie domestique en temps de guerre profondément touchant.
MARTORELL I GIL, Encarnacio. – Un regard innocent / trad. du catalan par Marie Vila Casas. – Métailié, 2011. – 190 p.. – ISBN 978-2-86424-756-2 : 17 €.
Service de presse