
cop. Futuropolis
Récit d’une initiation croisée
Après avoir raconté les souvenirs d’un couple de militants syndicaux dans Les mauvaises gens, puis le pétage de plombs d’une mère au foyer dans Lulu femme nue, Etienne Davodeau a décidé de vivre pendant plus d’un an le quotidien d’un vigneron indépendant, métier dont il ne connait rien, et d’apprendre à connaître les vins. En échange, Richard Leroy s’est engagé à découvrir l’univers de la bande dessinée : imprimerie, maison d’édition, salons, atelier de reliure, rencontre d’auteurs, lecture intensive…
Les Ignorants retrace ainsi ces initiations respectives s’échelonnant sur toute l’année, sensibilisant du même coup le lecteur à deux univers d’apparence complètement différents, et pourtant… Alors que le personnage de Richard Leroy est rendu attachant par son amour de la vigne, sa vigilance au climat, « sa loyauté et son plaisir » à faire du vin, sans herbicide ni pesticide et sans souffre, en utilisant la biodynamie (de l’eau à la bouse de corne) ou en pulvérisant de la silice en pleine nuit (!), on assiste en parallèle à la fabrication de Lulu femme nue et à de nombreuses conversations avec des auteurs reconnus. On lit même une planche de Lewis Trondheim en réponse au scepticisme du vigneron sur le bec de son héros. Car le vrai défi d’Etienne Davodeau, ce n’est pas tant d’avoir taillé la vigne ou dégusté divers vins, que d’avoir croqué des personnages réels, y compris ses confrères : on se rend ainsi chez Gibrat, Marc-Antoine Mathieu, Emmanuel Guibert et les deux médecins sans frontière du Photographe, devenus vignerons. Ce n’est en effet pas anodin, conclut Richard Leroy, de se voir transformé en héros de BD ! En tout cas, le succès de la BD laisse à penser que le message d’une agriculture alternative est passé chez les consommateurs, qui peut-être auront acheté le vin de ce vigneron indépendant qui refuse d’être étiqueté bio ou AOC !
Une lecture savoureuse.