Mots-clefs ‘suicide’

La ballade de l’impossible d’Haruki Murakami

05.05
2007

Titre original : Norway no mori (1987)
traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle (1994)

Dans le Boeing atterrissant à Hambourg, Watanabe est pris d’un vertige : il retourne dans cette prairie où il se trouvait 20 ans auparavant avec Naoko, et peine à se remémorer sa silhouette et son visage, qui se sont malheureusement estompés, mais dont il comprend mieux les pensées…

Logeant dans un foyer d’étudiants à Tokyo, Watanabe, alors âgé de dix-huit ans, retrouve par hasard une amie d’enfance, Naoko. Un fantôme se dresse entre eux, celui de Kizuki qui s’est suicidé à l’époque du lycée, ami de l’un, petit ami de l’autre qui le connaissait depuis toujours, fantôme qui les unit dans son souvenir mais les empêche aussi de s’aimer. Ils passent ainsi tous deux leurs journées à marcher l’un derrière l’autre, sans un mot. Un jour, Naoko disparaît, sans laisser de trace. Il rencontre alors Midori, étudiante comme lui, fantasque, qui, après avoir perdu sa mère, donne les derniers soins à son père. Quelques mois passent, et une lettre de Naoko arrive : perturbée, elle est partie s’isoler dans une maison de repos, en montagne…

Haruki Murakami prend le pouls de son lecteur pendant toute la première partie, l’intégrant lentement dans l’atmosphère estudiantine, où chacun peut se sentir très seul :l’amitié est rare pour ceux qui se sentent un peu à part, la prise de conscience de la mort faisant partie intégrante de la vie est brutale, le deuil difficile, voire impossible pour les êtres les plus fragiles, la communication avec les autres compliquée, d’autant qu’on ne se comprend pas soi-même… et l’amour, l’amour ne se devine pas au premier coup, lorsqu’on est à cet âge aveuglé par d’autres préoccupations. Ainsi, Haruki Murakami a dépeint une kyrielle de personnalités en lutte avec elles-mêmes :Watanabe, solitaire, grand amateur de Gatsby le magnifique, tiraillé par ses pulsions érotiques, le facho, maniaque passionné de cartographie, Nagasawa, personnage charismatique dont la vie comme la carrière n’est qu’un jeu, réussissant tout sans en tirer de satisfaction, Naoko, hantée par ses morts, quasi vierge au corps magnifique,Midori, jeune étudiante délurée en quête d’amour et d’attention, et Reiko, ancienne pianiste d’âge mûr, rayonnante, alors qu’elle reste persuadée de ne plus qu’être l’ombre de ce qu’elle aurait pu être. Quelle détresse poétique exhale ce roman, faisant succomber la plupart de ses adolescents à la tentation du suicide ! Car c’est un véritable roman d’apprentissage que voici, ses protagonistes devant surmonter la solitude, la souffrance et la mort de leurs proches, pour embrasser la vie et l’âge adulte, et enfin vivre pleinement leur amour. Un roman d’une remarquable sensibilité.

Merci à Flo de m’avoir offert ce roman, qui figurait depuis un bon moment sur ma liste !

 

Seuil (Points). – ISBN : 2-02-057939-1.

Liquidation ** d’Imre Kertesz (2003)

18.09
2005

Titre original : Felszamolas (2003)
Traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba

Où a disparu ma critique ? Mystère… En attendant lisez celle du Matricule des Anges.

Actes Sud, 2004. 126 p.

Imre Kertész
1929
Naissance à Budapest
1944
Déportation à Auschwitz-Birkenau
1953
Premiers travaux d’écriture
1975
Parution en Hongrie de Être sans destin
2002
Prix Nobel de littérature

Les âmes grises de Philippe Claudel

16.09
2005

copyright Stock

Un policier vieillissant noircit des pages de cahiers, cherchant dans l’écriture un exutoire à son deuil, à son chagrin, à sa faillite. Il raconte des faits datant de vingt ans, en 1917, dans un village lorrain étreint par l’hiver et les échos de coups de canon par-delà la colline. Il y a l’Affaire, ce meurtre qui l’obsède, cette petite fille qui avait l’air d’un ange, assassinée dans le froid de l’hiver, au bord de la rivière, près du château d’un procureur veuf et solitaire, Pierre-Ange Destinat. Le juge Mierk accompagné du colonel Matziev, deux ogres dépourvus de sentiment, auront tôt fait de classer l’affaire en trouvant en la personne de deux jeunes déserteurs les coupables idéaux. Car l’âme des habitants de ce village n’est pas bien belle à voir à cette époque, engluée dans un climat social où les nantis font loi. Belle de jour, on l’appelait, cette petite fleur dont la présence illuminait les « âmes grises » de cette ville provinciale. C’était peut-être là son seul tort, tout comme ces deux autres fleurs, Lysia, la jeune institutrice, dont le suicide restera incompris, et Clémence, la femme du narrateur, qui mourra seule en donnant vie à son enfant…

Dans ce roman, Philippe Claudel n’a pas voulu retranscrire une guerre, celle des gueules cassées, mais reconstituer toute une époque, un climat social, réussissant à nous faire sentir cette odeur âcre et deviner cette teinte grise d’un monde révolu. Il excelle ainsi dans l’art du parler populaire de naguère, retrouvant ou réinventant le vocabulaire de l’époque, les vieilles expressions. Il nous dépeint surtout une ville provinciale qui croit échapper à la guerre alors qu’elle a perdu tout espoir, toute étincelle de vie. Un roman triste, où se révèlent la force d’une écriture et un talent certain.

Prix Renaudot 2003
CLAUDEL, Philippe. – Les âmes grises. – Paris : Stock, 2003. – 284 p. ; 22 cm. – ISBN 2-234-05603-9 : 18,80 €.
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Le refus ** d’Imre Kertesz (2001)

13.09
2005

Titre original : Felszamolas (2003)
Traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba

Dix années ont passé depuis le suicide de son ami l’écrivain B., et c’est seulement à présent que Keresu semble retrouver son libre-arbitre. Car B. semblait avoir prévu les agissements ultérieurs de ses amis, consignés dans la pièce posthume qu’il a laissée à Keresu, éditeur marginal dans ce monde littéraire où ne sont publiés que le beau monde et les bien-pensants, à défaut du roman dont il soupçonne l’existence et qu’il recherche désespérément. Sa quête va l’amener à multiplier ses rencontres avec sa maîtresse Sara et son ex-femme Judit.

Il me faut bien avouer que l’incipit surtout m’a enthousiasmée, la suite de l’intrigue prenant une direction moins borgésienne. En effet, on songe au début à la mise en abîme de la vie des personnages dans le roman du défunt. Ce qui d’ailleurs n’est pas démenti dans l’intrigue, B. ayant bien présumé de l’attitude de chacun. Pourtant, le nœud de l’histoire est on ne peut plus déroutant. B. en effet est un miracle, il est l’exception qui confirme la règle : il est né à Auschwitz. Il n’a d’ailleurs pas connu ses parents. Cette singularité aurait pu l’amener à savourer cette vie pleinement, cette perle sortie de la noirceur la plus horrible, et bien non, elle le pousse au contraire à vivre en sursis, en survivant. Et c’est là sur quoi repose ce roman : n’ayant pourtant pas lui-même vécu Auschwitz mais y étant né, B. ne sait pas continuer à vivre, il n’a jamais su vivre, tout court, portant ce poids du passé dès sa naissance.

Un roman psychologique intelligent et singulier.

Actes Sud, 2004. 126 p.