Mots-clefs ‘suicide’

Les derniers jours de Stefan Zweig de Sorel & Seksik

31.07
2013
cop. Casterman

cop. Casterman

15 août 1941. Stefan Zweig, un des plus grands écrivains de la première moitié du XXe siècle, débarque pour vivre ses derniers jours au Brésil, ayant fui Dachau depuis février 1934, puis quitté Londres et maintenant New-York. Il souffre d’avoir trop bien prophétisé le grand massacre, d’être un trop fin analyste de l’âme humaine, d’être devenu un indésirable partout où il va. Il s’installe avec Lotte, sa deuxième jeune épouse asthmatique, non pas à Rio mais à Petropolis, un hâvre de paix dans la jungle, bâtie par des colons allemands. Mais Stefan Zweig, sexagénaire, ne peut goûter à ce paradis : ses pensées sans cesse partent outre-atlantique où le pire est en marche. Le 22 février 1942, il ne supporte plus les nouvelles qui lui arrivent d’Europe :

« Aucune histoire ne peut rivaliser avec le drame que vivent les nôtres. Hitler est l’auteur de millions d’insurpassables tragédies. » (p. 51)

Quand il apprend la solution finale, il choisit d’imiter Kleist, dont il a fait l’éloge dans son essai, et de se donner la mort avec Lotte, après avoir écrit son autobiographie, où il évoque davantage une Europe révolue que sa propre individualité.

L’adaptation des derniers mois de vie du grand écrivain est amplement réussie. Le dessin, les couleurs, les angles de vue rendent admirablement bien compte des pensées sombres et tourments de Stefan Zweig, qui ne parvient plus à profiter de la vie aux couleurs éclatantes du Brésil ni à croire en la beauté de l’âme humaine. A quoi bon survivre pour vivre en exilé ? Le personnage de Lotte n’est pas en reste : fragile car asthmatique, jalouse de la première femme de Zweig, elle aime du haut de ses trente printemps avidement la vie, mais moins que Stefan Zweig, dont la lucidité la fait vite redescendre vers une réalité plus dure. Plus qu’une biographie d’écrivain, la fin belle et tragique d’une histoire d’amour célèbre.

Le passé d’Asghar Farhadi

18.06
2013

lepasseMardi cinéma

Film dramatique français du réalisateur et scénariste iranien Asghar Farhadi (Une séparation, 2011)

Sortie : 2013.

Une séparation, le passé…. A chaque fois notre horizon d’attente est finalement induit en erreur, car le nœud dramatique principal n’est pas tant le passé du couple que formaient Ahmad et Marie auparavant, qui ne sera quasi-jamais évoqué ou maintenu au silence (au dénouement), que les raisons du conflit ouvert entre Marie, qui souhaite hâter son divorce d’avec Ahmad, rentré d’Iran, pour se remarier avec Samir, dont elle attend un enfant, et sa fille aînée, adolescente, Lucie, qui désapprouve ce remariage.

De ce huis clos tenu quasiment par une poignée de personnages sourd un drame familial, dont la tension psychologique va crescendo. L’énigme, car il y a énigme sur les raisons du suicide de Céline, devient rapidement le centre d’intérêt du drame, mais

J'ai adoré

J’ai adoré

Asghar Farhadi la développe avec beaucoup de subtilité et de sensibilité, se gardant bien de changer d’atmosphère en omettant de placer ses personnages face à leur messagerie, ou en tombant dans le mélo. Même s’il n’est pas question ici d’évoquer le jeu des acteurs, on ne peut que saluer leur talent. Magistral !

 

Le testament d’un enfant mort de Philippe Curval

05.05
2013

cop. Le Passager clandestin

Quel titre horrible ! A la mesure du récit d’anticipation imaginé par Philippe Curval en 1978, nouvelle de 70 pages écrite en 1978 et republiée ici par les éditions du passager clandestin, qui commence ainsi :

« J’ai enfin découvert le moyen de comprendre pourquoi, depuis quelques générations, un grand nombre de nouveau-nés meurent de façon mystérieuse. »

Alors que la Terre est surpeuplée, arrive une épidémie chez les nouveaux-nés qui inverse le phénomène tant et si bien que l’on finit par avoir peur de l’extinction de l’espèce.

Dans la première partie, ménageant le suspens de manière assez classique, le narrateur écrivant à la première personne, un scientifique, nous livre les conclusions de sa découverte : à défaut de maîtriser leur être dans l’espace, les nouveaux-nés, qu’il appelle « hypermaturés », accélèrent le temps pour se suicider, en vieillissant très vite en quelques semaines, voire quelques mois. Pourquoi refuser de vivre ? Selon le scientifique, leur malheur est d’avoir des pouvoirs télépathiques leur donnant accès à l’inconscient collectif :

« En même temps qu’il apprenait à lire l’univers dans la mémoire encore informelle de ses compagnons, Camille Félix découvrait en moi toutes les motivations nécessaires à refuser sa vie. Dès qu’il a pu inventer le moyen de le faire, il s’est mis à accélérer, pour fuir dans le temps ce dont il ne pouvait s’affranchir dans l’espace. » (p. 22)

Le journal du foetus puis du bébé, qui lui aussi écrit à la première personne, commence page 25, dans une deuxième partie plus longue ; atrocement désespérée, il est extrêmement intéressant, voire poétique, surtout page 57, où le narrateur essaie d’appréhender le monde à travers le regard d’un nouveau-né, ce monde qu’il peut toucher, voir, sentir, goûter, mais surtout un monde instable, où les objets peuvent changer de place, se rapprocher, se transformer.

Dans cette dystopie, Philippe Curval trouve une solution à la future surpopulation de la planète. L’humanité va se réguler d’elle-même à la source, c’est-à-dire que sa forte natalité va aller de paire avec une forte mortalité dès les premiers mois de la naissance. Mais il pousse le vice très loin puisque ce n’est pas ici une maladie qui provoque la mort des bébés, mais leur vision désespérée de leur propre avenir, de leur sentiment d’immense solitude dans ce monde où leur vie compte si peu. Quel besoin de vivre si l’on n’existe pour personne ? Un texte original, cruel, dur et dérangeant.

CURVAL, Philippe. – Le testament d’un enfant mort. – Le passager clandestin, 2013. – 73 p. : couv. ill. ; cm. – (dyschroniques). – EAN13 9782916952772 : 6 €.

Virginia Woolf de Michèle Gazier et Bernard Ciccolini

18.01
2012

cop. Naïve

Au cinéma, tout comme les adaptations de romans, les biographies semblent remporter un franc succès auprès d’un large public. Depuis quelques années, on observe le même phénomène dans la bande dessinée, rendant accessible au plus grand nombre le parcours de grands intellectuels et artistes. Le mois dernier, je vous parlais du Nietzsche campé par le philosophe Michel Onfray, cette fois ce sera de la vie de Virginia Woolf, racontée par l’écrivaine Michèle Gazier et illustrée par Bernard Ciccolini, figure emblématique de la littérature britannique du début du 20e siècle, écrivaine et féministe.

Boulimique en tout – gâteau, papier, encre, livres-, la jeune Virginia Woolf trouve injuste le traitement de faveur auquel ont droit ses frères, pouvant seuls par exemple tenir la barre du bateau de leur père et bénéficiant d’une éducation au collège, alors qu’elle doit se contenter pour s’instruire de la bibliothèque de son père. Mais le bonheur de sa famille est bien fragile. Marquée très tôt par le deuil de sa mère, qu’elle admirait beaucoup, violée par son demi-frère Georges, Virginia perd aussi sa soeur aînée lors de son accouchement, puis son père. Elle qui croquait la vie à pleines dents et écrivait beaucoup, la voilà devenue à l’âge de 22 ans rêveuse et mélancolique. Toujours célibataires, sa soeur Vanessa, qui peint avec un plaisir évident, et elle partagent alors la vie de bohème de leurs frères Thoby et Adrian et de leur bande d’intellectuels artistes…

Voici un parcours biographique qui peut paraître un peu rapide, mais qui nous donne un excellent aperçu de la personnalité de Virginia Woolf, à la fois si fragile dans sa crainte de ne pas devenir écrivain et si forte dans ses motivations.

Beaucoup aimé

Virginia Woolf /scénario, Michèle Gazier ; dessins, Bernard Ciccolini
Paris : Naïve, 2011. – 90 p. : ill. en noir et en coul., couv. ill. ; 23 cm .- (Grands destins de femmes)
Bibliogr., 1 p.. – EAN13 9782350212555 : 23 €.

Le rabaissement de Philip Roth

13.11
2011

cop. Gallimard

 

« Il avait perdu sa magie. »

« Le suicide, leur dit-il, c’est le rôle que vous vous écrivez pour vous-même. Vous l’habitez, et vous le jouez. Tout est mis en scène avec soin – où on vous trouvera, et comment on vous trouvera. » Puis il ajouta : « Mais il n’y aura qu’une représentation. » (p. 22)

Cette toute première phrase de l’incipit et cette autre du personnage principal, Simon Axler, durant son séjour en maison de repos, à l’intention des autres patients dont la tentative de suicide avait échoué, constituent la quintessence de ce qu’il faudrait retenir de ce roman.

En effet, Philip Roth part du constat de la cause de son désespoir (l’artiste déchu), pour revenir après 120 pages et une relation amoureuse (ou plutôt sexuelle) qui rallume son désir de vivre de façon illusoire et temporaire, sur sa conséquence (le suicide comme seule issue trouvée à ce désespoir).

Nonobstant ces thèmes relevant pourtant de la sphère intime (le vieillissement, le suicide), Philip Roth préfère à l’introspection les dialogues, et au « je-narrateur » la troisième personne du singulier, si bien qu’on reste toujours à distance de ce personnage dont on observe l’humeur en dents de scie, qu’une dernière rupture ébranlera tout à fait. Si on ajoute à cela l’histoire du meurtre d’un mari incestueux, celle de l’ancienne partenaire de son amie qui choisit de devenir un homme, et celle de son amante qu’il a vu naître et qu’il relooke, qui lui sort sa panoplie d’objets sexuels et l’entraîne dans une partie à trois,

Apprécié

il y a de quoi se demander si ce trentième roman de Philip Roth mérite bien le concert d’éloges dont il a pu faire l’objet, tant il semble se complaire dans le trivial et rester à la surface des choses, et surtout hélas des personnages.

Rentrée 2011
Gallimard, 2011. – 121 p.

Hypothermie d’Arnaldur Indridason

04.02
2010

 

Copyright Editions Métailié

Karen vient de retrouver pendue dans son chalet d’été, sur les bords du lac du Thingvellir, sa meilleure amie, Maria. Alors que la thèse du suicide ne semble faire aucun doute, Karen, qui n’est pas de cet avis, confie une cassette au commissaire Erlendur, celle enregistrée au cours d’un entretien de la défunte avec un médium, pour pouvoir prendre contact avec sa mère décédée il y a deux ans. Après son écoute, ce dernier, intrigué, mène sa petite enquête à l’insu de tous, de même qu’il reprend deux affaires de disparition restées inexpliquées depuis plusieurs décennies, comme celle de son propre frère. Parallèlement d’ailleurs, sa vie passée le rattrape en la personne de son ex-épouse, Halldora, que sa fille oblige à revoir.

 

« Le vieil homme l’attendait dans le hall. Autrefois, il passait au commissariat accompagné de sa femme, mais cette dernière étant décédée, c’était désormais seul qu’il rencontrait Erlendur. Le couple venait régulièrement le voir à son bureau depuis bientôt trente ans, d’abord chaque semaine, puis une fois par mois, ensuite la fréquence de leurs visites s’était espacée à quelques fois par an, à une fois par an et, pour finir, à une fois tous les deux ou trois ans, le jour de l’anniversaire de leur fils. Depuis tout ce temps, Erlendur avait appris à bien les connaître, eux et cette douleur qui les poussait à venir le voir. » (p. 43)

 

Dans ce sixième roman traduit en français de notre désormais célèbre auteur de polars venus du froid, les affaires se croisent et font écho de manière bien plus évidente à la vie privée de notre cher commissaire Erlendur. Les couples se déchirent, se séparent ou s’entretuent, de jeunes gens disparaissent mystérieusement, sans laisser aucune trace durant des décennies, des visions de défunts hantent ceux qui leur survivent… il n’en fallait pas moins pour que notre commissaire, divorcé, et n’ayant jamais pu faire le deuil de son frère, ne prenne à coeur ces trois affaires que d’autres auraient eu tôt fait de classer. Certes, on devine assez vite, à son obstination, que lumière va être faite sur ces disparitionset sur les causes de ce suicide, qui peut être suspecté. De même, ces histoires de fantômes, d’expériences interdites, de médiums, de lumière au bout du tunnel, peuvent laisser dubitatifs, encore que ces croyances soient répandues en Islande. Mais, comme toujours, Arnaldur Indridason réussit à nous captiver et revient à son thème de prédilection : pouvoir faire le deuil d’un être cher.

 

INDRIDASON, Arnaldur. – Hypothermie /trad. de l’islandais par Eric Boury. – Métailié, 2010. – 294 p. : couv. ill. en coul.. – (Noir. Bibliothèque nordique. – ISBN 978-2-86424-723-4 : 19 €.
Service de presse

 

Mon voisin de Milena Agus

25.10
2009

cop. Liana Levi

Qu’il serait doux d’échapper à cette vie dont elle n’espère plus aucun bonheur. Elle n’a qu’un souci : maquiller son suicide en accident pour ne pas le faire peser sur sa famille, qui s’occupera de son petit garçon de deux ans qui n’a jamais parlé. Oui, mais voilà, du mur du beau voisin à son balcon, il n’y a qu’un petit pas à franchir, un pas que le fils de ce dernier va faire chaque jour pour les rejoindre…

Une nouvelle douce-amère comme la vie, une vie que seul l’amour peut faire supporter, que seul l’amour entre deux êtres peut faire aimer. L’amour aussi d’enfants pour leurs parents qui ne peuvent plus les aimer, déchirés eux-mêmes de l’intérieur par la souffrance d’une séparation, d’une rupture de désir qui lui rappelle l’autre. Mais rien n’est dit, tout est suggéré. Ce sont ces petits riens de la vie banale d’une vie en Sardaigne, écrasée par un soleil toujours trop cuisant. Mais sous cette apparente légèreté du style de Milena Agus, auteur de Mal de pierres (2007) et de Battement d’ailes (2008), derrière ces actes anodins, c’est tout un monde de pensées intimes qu’elle révèle, ces peurs de la maladie, de la mort, ou au contraire ces envies de mourir plus fortes que tout, toutes naissant d’un manque d’amour et mourant lorsque renaît le désir. 

« Vivre était vraiment terrible. Bien sûr, pas toujours. Il y avait eu aussi pour elle des moments où elle avait désiré vivre. Par exemple quand le père du bébé lui parlait en enroulant autour de ses doigts ses cheveux qu’elle avait très longs, ou quand ils allaient manger des pizzas et qu’ils s’asseyaient l’un près de l’autre et les choisissaient différentes parce que, de toute façon, ce qui était dans l’assiette de l’un était aussi à l’autre, ou dans les excursions à la montagne, lui, attentif, derrière dans les montées, devant dans les descentes, ou bras dessus bras dessous en ville, parce que le père du bébé marchait vite et elle lentement, et alors elle s’accrochait et se laissait entraîner par ce doux courant, ou au lit : comme il lui plaisait, au lit. »  (p. 42).

Une petite nouvelle toute simple qui ne m’a pas tant conquise que cela, contrairement à d’autres critiques dithyrambiques dans la presse - Télérama – et dans la blogosphère - Des livres et des champsCulturofilBrik à book, etc…

 

AGUS, Milena. – Mon voisin / trad. de l’italien par Françoise Brun. – Editions Liana Levi, 2009. – 51 p.. – (Piccolo ; 60). – ISBN 978-2-86746-500-0 : 3 euros.