Mots-clefs ‘souffrance morale’

Un barrage contre le Pacifique * de Marguerite Duras (1950)

28.09
2005

La mère de Suzanne et Joseph a offert toutes ses économies pour avoir le droit d’exploiter son lopin de terre dans cette Indochine colonisée des années 20. Mais la crue du « Pacifique », chaque année, réduit chaque année ses espoirs à néant. Elle a bien cru pouvoir la défier en édifiant un barrage… qui s’écroulera, dévoré par les crabes. Tous trois depuis vivotent misérablement dans un bungalow sur cette terre marécageuse, et voient en le riche Mr. Jo, amoureux de Suzanne, une aubaine, voire un gogo à plumer…

Un troisième roman de Marguerite Duras, de facture classique, un roman de la souffrance, de la misère de ces petits blancs exploités par les riches colons blancs, où fusent ses sarcasmes, sa critique acerbe des pratiques coloniales, où néanmoins miroite déjà un érotisme latent et interdit. Une histoire avec Mr Jo qui préfigure celle de l’Amant. Loin de le considérer parmi ses meilleurs romans, je le qualifierai plutôt de galop d’essai virulent.

La joie de vivre ** d’Emile Zola (1884)

16.09
2005

Orpheline à 10 ans avec un bel héritage, Pauline Quenu est recueillie par son oncle et sa tante. Douce et calme, elle se fait aussitôt accepter par eux et par son cousin Lazare, qui vient d’obtenir son baccalauréat mais ne rêve que de musique au grand dam de sa mère, qui nourrit beaucoup plus d’ambitions pour lui. Peu à peu, la petite se dévoue entièrement à cette famille d’adoption et à tous ces pauvres gens du village qui envoient leurs enfants mendier auprès d’elle tous les samedis, mais plus encore pour Lazare pour lequel elle va consentir à alléger le paquet de titres dont elle a hérités. Et plus les années passent, plus Lazare change de passions, plus le ménage de la famille vient à manquer, et tandis que le magot s’allège, la famille, ayant mauvaise conscience, commence à beaucoup moins l’aimer…

Ce roman psychologique semble être le plus intimiste de Zola, en ceci que Lazare souffre comme lui de cette idée de sa mort prochaine. Zola essaie ainsi de réagir contre sa propre hantise de la mort en brossant le portrait de ce personnage nerveux, jamais heureux, antinomique de celui de Pauline portée par une pulsion de vie et d’altruisme, contre le scepticisme et le désespoir pour ceux qui sont trop instruits pour croire aux promesses religieuses. Toute une machinerie du corps est ainsi mise en branle dans le roman à travers les maux dont souffrent l’oncle avec sa goutte, puis la tante, et enfin Louise dont l’enfantement est terrifiant. Zola confronte ainsi la maladie, la douleur physique, à la joie de vivre, à la patience de Pauline qui croit en la médecine et en la toute-puissance de la volonté. C’est ainsi que Pauline, en lutte d’abord contre sa jalousie et son besoin d’être aimée, puis pour son droit d’être pleinement femme et mère, atteindra l’ultime abnégation d’elle-même. A tel point que le lecteur est révolté devant cette souffrance morale, il a bien envie de la secouer, et de rêver pour elle d’une autre vie possible que lui laisse entrevoir le cher médecin, seul à voir clair dans son dévouement sans borne.

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