Mots-clefs ‘Rosa Montero’

Belle et sombre de Rosa Montero (2011)

12.06
2011

copyright Métailié

Titre original : Bella y oscura

« Ce que je vais raconter, j’en ai été témoin : la trahison de la Naine, l’assassinat de Segundo, la venue de l’Etoile. Tout s’est passé à une époque reculée de mon enfance dont je ne sais plus maintenant si je m’en souviens ou si je l’invente : car en ce temps-là, pour moi, le ciel ne s’était pas encore détaché de la terre et tout était possible. L’univers venait d’être créé, comme avait pris soin de me l’expliquer dona Barbara : »Quand je suis née, m’avait-elle dit, le monde a commencé. » Comme j’étais petite et elle déjà très vieille, cela m’avait semblé un temps très long. » (incipit).

Oublié l’orphelinat dès que la fillette âgée d’une dizaine d’années retrouve sur le quai de la gare sa tante Amanda et la suit jusqu’au quartier sombre et trouble d’une grande ville, pour rejoindre bon an mal la seule famille qu’il lui reste, une famille de saltimbanques, composée de sa grand-mère doña Barbara, qui sait se faire respecter, de son silencieux cousin Chico, de sa tante, craignant son oncle, et de la lilliputienne Airelai, qui devient sa meilleure amie. Le grand absent, c’est son père qu’elle n’a jamais vu, Maximo, et qui un jour ou l’autre devrait rentrer et reprendre tout en mains.

Dans ce monde cruel où des gamins jouant au caïd meurent très vite, où les femmes s’offrent derrière des vitrines pour faire vivre leur famille, la fillette occulte le pire et imagine les explications les plus fantaisistes à tout ce qui arrive, en particulier grâce à celles que lui donne Airelai, la Naine. Aussi ce qui rend si singulier ce roman d’apprentissage remarquablement bien écrit, c’est mojns l’intrigue en elle-même, pourtant bien ficelée, que l’atmosphère qu’a su rendre Rosa Montero, nourrie d’un monde imaginaire qui oblitère la violence du monde réel menaçant la fillette.

MONTERO, Rosa . – Belle et sombre / trad. de l’espagnol par Myriam Chirousse. – Paris : Métailié, 2011. – 189 p. ; 22 cm. – (Bibliothèque hispanique). – EAN 9782864247715 : 18 EUR.
Reçu en service de presse.

Instructions pour sauver le monde de Rosa Montero (2010)

20.01
2010

 

cop. Métailié

Titre original : Instrucciones para salvar el mundo

 

« L’humanité se partage entre ceux qui se plaisent à regagner leur lit le soir et ceux que le fait d’aller dormir inquiète. » (incipit) 

Ce jour-là, sur fond des crimes perpétués par celui que les médias surnomment « l’assassin du bonheur », ce sont les quarante-cinq ans de deux hommes, qu’aucun d’entre eux n’a envie de fêter. Chauffeur de taxi, Mathias a perdu toute raison de vivre le jour où Rita meurt de son cancer. Incapable de poursuivre une vie normale, il ne rentre pas dans leur ancien foyer, part se réfugier dans la maison qu’il était en train de construire, dort le jour et passe la nuit à l’Oasis, un bar où il fait la connaissance de Fatma, la sublime prostituée Africaine, au passé dramatique, et de Cerveau, une vieille scientifique devenue alcoolique.Daniel Ortiz, lui, n’a pas le courage de quitter la sienne, Marina, et, aigri d’être resté aux urgences au lieu de gravir les échelons et les échelons, cumule les négligences. Lui quitte cette réalité privée de sens pour celle virtuelle de Second Life. Et quand Mathias cherchera un coupable à son désespoir, les chemins de ces différents personnages se croiseront…

Difficile de résister à l’envie de lire ce roman d’une traite, tant il nous agrippe dès le départ et ne nous lâche plus : bien sûr, nous avons envie de savoir ce qui va arriver aux personnages, oscillant entre le désir ou la perte d’amour, la mort et le sexe, les trois thèmes phares dans tous les arts, mais nous savourons tout autant les réflexions que Rosa Montero distille sur le sens de l’existence.

Petit bémol avec la formule malheureuse du « refuge juteux » pour décrire le sexe de la femme aimée et les monologues de Cerveau sur les hypothèses de scientifiquessur les coïncidences, l’harmonie et le désordre du monde, en ceci qu’ils peuvent nous sembler un peu plaqués dans l’intrigue, comme sortis tout droit d’une documentation sur le sujet ; mais ceux-ci prennent forcément tout leur sens dans la structure du roman, qu’admet d’ailleurs l’auteur d’un ton badin au dénouement.

Nonobstant c’est un très bon roman éclairé par une vision éminemment lucide de ces êtres forts ou faibles, les seconds englués dans une vie qu’ils abhorrent, les premiers animés par une pulsion de vie ou par l’amour d’une femme, d’un frère.


Retrouvez aussi du même auteur, dans Carnets de SeL :

Belle et sombre ** (2011)

Le Roi transparent ** (2008)

La Fille du cannibale * à ** (2006)


MONTERO, Rosa. – Instructions pour sauver le monde / trad. de l’espagnol par Myriam Chirousse. – Paris : Métailié, 2010. – 269 p. : couv. ill. en coul.. – (Bibliothèque hispanique). – ISBN 978-2-86424-714-2 : 20 €. 


Le roi transparent de Rosa Montero (2008)

19.01
2008

Titre original : Historia del rey transparente

Aussi efficace et plus militant que de l’heroïc-fantasy

Au XIIe siècle, les guerres entre seigneurs féodaux font rage. Les siens réquisitionnés pour se battre, Leola, une jeune paysanne, se retrouvant seule et vulnérable, revêt l’armure d’un jeune guerrier mort sur un champ de bataille et part à l’aventure. Mais l’habit ne fait pas la moine : elle n’est pas à même de se défendre sur les routes dangereuses. Par chance, elle rencontre dans une forêt Nynève la rousse, laquelle se prétend fée du savoir et avoir connu Merlin, et va l’accompagner, lui trouvant un maître pour lui apprendre à se battre, et lui enseignant à lire et à écrire, et surtout à penser. Toutes deux vont être amenées à rencontrer Aliénor d’Aquitaine, Richard Coeur de Lion, Héloïse, séparée irrémédiablement d’Abélard, et à être confrontées au luxe et à la cruauté d’une duchesse, à la corruption de l’Eglise et à la lutte des Cathares.

S’ouvrant sur le travestissement d’une jeune femme paysanne en un chevalier, ce roman d’aventure laissait présager la démonstration criante d’une discrimination sexuelle et sociale. Or le personnage mystérieux de Nynève, savant et polémique, permet à l’auteur de critiquer bien plus ouvertement et plus largement toutes les injustices de l’époque. Et c’est avec son grand talent de conteuse que Rosa Montero, tout en nous faisant réfléchir sur ce siècle tourmenté, nous immerge,aux côtés de personnages originaux et touchants, dans un Moyen Age à la fois réel et fantasmé, avec lequel elle prend quelques libertés anachroniques, propice à l’amour courtois, aux tournois et aux légendes, telle celle du roi transparent que nul ne peut raconter sans péril. Une lecture divertissante, piquée de critiques acerbes n’épargnant aucune classe sociale.

MONTERO, Rosa. – Le roi transparent / trad. de l’espagnol par Myriam Chirousse. – Métailié, 2008. – 471 p.. – (Bibliothèque hispanique). – ISBN 978-2-86424-634-3 : 22,50 €.
Service de presse

La Fille du Cannibale de Rosa Montero (2006)

23.01
2006

PRIX PRIMAVERA 1997

L’univers confortable et monotone de Lucia, la quarantaine, auteur de livres pour enfants, bascule lorsque son mari disparaît dans les toilettes de l’aéroport au départ pour Vienne : un coup de téléphone lui apprend qu’il a été enlevé par une mouvance politique. Déboussolée, fragilisée, elle accepte bon an mal an l’aide de son voisin de palier, Fortuna, un ancien anarchiste octogénaire, à qui jusqu’alors elle n’avait jamais adressé la parole, puis celle d’Adrian, dont le corps de vingt ans ne la laisse pas insensible. Au travers de leur dangereuse enquête pour retrouver le mari de Lucia, le trio va s’interroger sur sa vie passée et à venir…

A ce polar baignant dans les milieux interlopes mafieux se superpose le récit historique que nous relate l’octogénaire de la guerre d’Espagne et de son implication dans le plus important mouvement anarco-syndicaliste, la CNT, aux côtés de Durruti. Mais au travers de ces péripéties passées ou présentes, c’est surtout le portrait psychologique de Lucia, la narratrice, que nous brosse Rosa Montero, une femme qui traverse la crise de la quarantaine et comprend qu’elle n’éprouve plus rien pour son mari, qu’ils ont mené deux vies parallèles sans vraiment se connaître, et qu’il est temps pour elle de donner un sens à sa vie.

J’ai particulièrement apprécié les anecdotes relatées par le vieil anarchiste et  souligné de nombreux passages liés à l’introspection de la narratrice :

« Comprenez-moi bien : je ne parle pas de la peur au sujet du sort de Ramon ni de l’ébranlement provoqué par le kidnapping, mais de la peur personnelle lovée en chacun de nous, du puits qu’on creuse autour de soi au fur et à mesure qu’on grandit, cette peur exsudée goutte à goutte, aussi à nous que notre peau, la panique de se savoir vivant et d’être condamné à mort. » « Dormir, c’est faire l’expérience de la mort, d’où la terreur. » (p. 81)

« Enfant, on croit que la vie est une accumulation de choses qu’au fil des années on conquiert, gagne, collectionne, thésaurise, alors que vivre, c’est, en réalité, se dépouiller inexorablement. » (p. 112)

« Il n’y a rien qui rende mieux compte de l’ancienneté d’une coexistence que cette manière inconsciente et automatique de converser à deux, de compléter en faisant rebondir par ses pensées les pensées de l’autre. Parce que le frôlement continuel qui caractérise la conjugalité finit par brouiller les limites de l’être. » (p. 126)

MONTERO, Rosa. – La Fille du Cannibale / trad. de l’espagnol par André Gabastou. – Métailié, 2006. – 407 p.. – ISBN : 2-86424-563-9 : 20 €.
Service de presse