Mots-clefs ‘Rentrée 2009’

Les amis du crime parfait d’Andrés Trapiello

20.11
2011

cop. La Table ronde

Roman espagnol traduit en France en 2009

«Une femme, cuvée 1929 elle aussi, en tailleur noir à col blanc, leur ouvrit. C’était comme si elle les invitait à franchir le seuil du premier chapitre d’un roman gothique. En toute logique, vu l’aspect de la réceptionniste, ils n’en ressortiraient pas vivants. On les assassinerait avant d’aller vendre leurs dépouilles au factotum d’un médecin psychopathe et sans scrupules. » (p. 35)

En cette fin des années 80, à Madrid, Paco claque la porte de celui qui fut son éditeur durant 22 ans, et décide d’ouvrir une agence de détectives et de ne plus écrire. Désormais, le personnage principal, ce sera lui, celui qu’il veut être, celui qui s’invente lui-même ! Sa première enquête arrive plus vite qu’il ne l’aurait cru : son beau-père est retrouvé assassiné. Alors que le club des Amis du Crime Parfait, où chacun porte le nom de son héros préféré, édicte les règles du roman policier, Paco, alias Sam Spade, mène une enquête qui va le conduire à s’intéresser au passé politique du défunt…

Alors quelles sont les règles pour écrire un bon roman policier ? A en croire nos personnages, ce serait…
1- le lecteur doit avoir autant de chances que le détective de résoudre l’énigme,
2- l’auteur ne doit pas user de subterfuges autres que ceux employés par le criminel pour induire en erreur le détective,
3- pas d’intrigue amoureuse
4- le coupable ne peut être le détective ou un membre de la police,
5- le coupable doit être démasqué par des déductions, et non par hasard, par accident ou par un aveu.

Quelle jubilation cela doit être d’écrire un roman policier dans lequel les personnages qui ont choisi pour nom Poe, Marlowe, Sherlock ou Maigret, s’entendent sur les règles d’or du parfait roman policier, appellent l’héroïne de leur roman du nom de leur épouse, et laissent leur imagination prendre le pas sur la réalité. Malgré tout, l’histoire a dû mal à partir, le suspens semble secondaire, d’ailleurs l’auteur ne respecte pas vraiment ses propres règles (la 3e par exemple entre Hanna et Poe), et on en retient surtout les notes d’humour et les jeux littéraires plus que la résolution du crime, fondée sur la mémoire.

Apprécié

Faites-vous une opinion avec d’autres blogs qui s’en sont aussi fait l’écho, comme Bric à Book (qui a un avis positif) et Le grenier de choco (le sien l’est un peu moins).

TRAPIELLO, Andrés. – Les amis du crime parfait / trad. de l’espagnol par Caroline Lepage. – Paris : La Table ronde, 2009. – 363 p.. – (Quai Voltaire). – ISBN 978-2-82710-33149-0 : 21,50 €.

Swing mineur de José-Louis Bocquet

20.11
2009

Trois mouvements, trois temps pour cette saga dans le milieu de l’industrie du skeud (comprenez du disque), trois points de vue pour ce portrait  brossé d’un producteur, Monsieur K. C’est aussi, relatés par un narrateur passé d’assistant de production à conseiller à la direction artistique, l’ascension, la chute puis le retour médiatique de Rachid, la vedette du rap avec son tube La Rasquale

« A l’époque, si je savais depuis longtemps que le père Noêl était la caissière en blouse rose d’un supermarché, je croyais encore en la possible existence d’un ange gardien providentiel qui viendrait m’arracher des griffes des hommes du cardinal ou des gitans de la rue de Strasbourg. C’était ma dernière chance de croire encore au monde de la fiction. J’ai prié Zorro, puisque ni Jackie ni Bruce n’étaient libres.
Et c’est Rachid qui est arrivé. » (p. 15-16)

Un roman, porté par le ton familier et nonchalant d’un jeune narrateur banlieusard,sur les rouages de l’industrie du disque et sa médiatisation.

BOCQUET, José-Louis. – Swing mineur. – La table ronde, 2009. – 218 p.. – ISBN 978-2-7103-3150-6 : 18 euros.
Service de presse
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Un mensonge sur mon père de John Burnside

10.09
2009

Titre original : A lie about my father (Ecosse, 2006)

 

A un autostoppeur plein de candeur et d’admiration pour son propre père exemplaire, le narrateur raconte un mensonge sur le sien avant de nous faire le récit de sa véritable relation avec un père qui lui-même a passé sa vie à en inventer.
Un homme qui dilapide l’argent nécessaire à leur quotidien pour boire et jouer. Boire surtout. Et frapper. Alors, insensiblement, le brillant élève que fut le narrateur, n’obtenant jamais l’attention de son père ou le moindre compliment, va chercher à se brûler aux feux de la vraie vie, à se confronter aux durs, puis à s’en échapper pour presque atteindre l’orée de la mort en s’essayant aux drogues les plus dures…

 

« Mon père n’avait pas de passé dont il puisse discuter avec les autres. Personne n’évoquait avec lui le bon vieux temps, personne ne sortait d’instantanés d’une vieille boîte pour les faire circuler afin que les gens assemblés voient de quoi il avait l’air, enfant. Tout ce qu’il avait, c’était ses propres histoires, invérifiées. Ses propres récits apocryphes. A l’époque où il devint mon père, il était plus une force de la nature qu’un homme, une entité surgie de nulle part, un être imprévisible, excessif, parfois ridicule, capable de se montrer tout sourire et charmeur un instant, et totalement venimeux aussitôt après. » (p. 37)


Ce quatrième roman de John Burnside est le récit autobiographique d’une relation manquée entre un père et son fils, le premier marqué à vie par son absence d’origine, enfant trouvé s’inventant une famille et une histoire, le second en mal d’amour transformé en haine. Chacun va choisir la descente aux enfers de sa génération, l’un l’alcoolisme, l’autre les drogues. On s’étonne de lire ainsi à coeur ouvert les émotions de John, qui sans aucun pathos se livre totalement, dévoilant une enfance en errance à la Dickens ou à la John Fante. Ajoutez à cela sa plume toujours aussi admirable, et vous obtenez un roman bouleversant… mais auquel je lui ai malgré tout préféré ses précédents :

 

BURNSIDE, John. – Un mensonge sur mon père / trad. de l’anglais (Ecosse) par Catherine Richard. – Métailié, 2009. – 307 p.. – (Bibliothèque écossaise). – ISBN 978-2-86424-671-8 : 20 €.

Zumbi de Jean-Paul Delfino

07.09
2009

Zumbi

Tout bascule lors d’une belle matinée de printemps, quand Semba voit arriver des hommes armés de bâtons de fer et d’acier crachant le tonnerre et la mort. Capturé avec les siens, du moins avec ceux valides, les autres, bébés et vieillards étant assassinés, il part pour un long périple qui le mènera d’Angola au Brésil pour y être vendu comme esclave. Chose incroyable, alors que les nègres sont à l’époque moins considérés que des bêtes, Dona Josefina, sa jeune maîtresse cultivée, découvre et son attirance pour lui et sa conversation. Dès lors, il est partagé entre son désir de cette belle blanche et son rêve de recouvrer la liberté et de rejoindre un jour dans la jungle le plus grand quilombo, habité par des milliers de Nègres évadés, avec pour chef le redoutable Zumbi…

« Ceux qui ne voulaient pas obéir recevaient instantanément trois coups de fouet. Le premier les laissait pantois. Le deuxième leur arrachait un hurlement de douleur. Au troisième, ils devenaient doux et soumis, et le sentiment de leur propre soumission leur emplissait les yeux de larmes muettes. » (p. 51)


Avec Corcovado**** (2005), Dans l’ombre du Condor*** (2006), Samba triste*** (2007), publiés chez Métailié, Jean-Paul Delfino nous avait régalé d’une trilogie sur le Brésil couvrant tout le 20e siècle. Nul doute que l’un des personnages principal de cette trilogie, Zumbi, l’ait été inspiré et lui ai donné envie de nous faire découvrir son ancêtre. Au fil de sa destinée, il nous fait ainsi le récit des innombrables exactions commises au 17e siècle par les Portugais qui, non contents d’avoir dérobé les terres des Indiens, avaient fait venir par milliers à bord de leurs négriers, des Africains pour les réduire en esclavage et les traiter bien pire que leurs bêtes. Avec l’injustice sociale et le racisme, on y retrouve d’autres thèmes chers à l’auteur, comme la liberté, l’amitié, le sexe, l’amour et le plaisir de la bonne chère. Gardant toujours l’intérêt de son lecteur éveillé à la clôture de ses chapitres, cet habile conteur nous plonge très vite dans cette nouvelle histoire d’amours et de haines au Brésil fondée sur une  documentation solide. Ne boudez pas votre plaisir et faites le plein d’émotions en ouvrant ce beau roman d’aventures.

Du même auteur :

Chair de lune ** (2001)

- Corcovado *** (2005)

Dans l’ombre du Condor *** (suite de Corcovado – 2006)

Samba triste *** (fin de la trilogie – 2007)

Nous avons aussi fait sa connaissance ici.

DELFINO, Jean-Paul. – Zumbi. – Paris : Buchet/Chastel, 2009. – 471 p. : couv. ill. en coul.. – ISBN 978-2-283-02397-6 : 23,50 €.

Le bureau des chats de Kenji Miyazawa

07.08
2009

Futago no hoshi, Kumo to namejuji to tanuki, Neko no jimusho, Mekura budo to niji, Yodaka no hoshi.

Contes traduits du japonais par Elisabeth Suetsugu

Imprégné du bouddhisme pratiqué par sa famille, la Vraie Secte de la Terre pure (Jôdôshinshû), Kenji Miyazawa met en scène, dans ces quatre contes écrits à partir de 1918,  des animaux, des insectes, des végétaux, et même des phénomènes climatiques et des étoiles, pour y traiter de la notion de bien et de mal. Le conte Les Jumeaux du ciel, trois histoires en une de l’arroseur arrosé avec L’araignée, la limace et le blaireau, la fable absurde si humaine du bureau des chats, le bref récit de La vigne sauvage et l’arc-en-ciel, et enfin le destin solitaire du Faucon de nuit devenu étoile : aucun n’est écrit pour les enfants, mais au contraire pour atteindre cet âge universel auquel seuls peuvent prétendre les contes. Aussi Miyazawa n’épargne en rien son lecteur ni ses personnages confrontés à la cruauté de la vie voire à son ironie. Mon préféré ? Celui qui a donné son titre au recueil, petite comédie humaine où l’injustice et l’envie régnant dans le microcosme bureaucratique éclatent sous l’absurdité de leur raison d’être.    

MIYAZAWA, Kenji. – Le bureau des chats / trad. du japonais par Elisabeth Suetsugu. – Arles : éditions Philippe Picquier, 2009. – 101 p.. ; 17*11 cm. – (Picquier poche). – ISBN 978-2-8097-0118-0 : 6 €.

Seul dans le noir de Paul Auster

24.02
2009
Titre original : Man in the Dark (New York, 2008)


Second volet, semble-t-il d’un diptyque sur l’écrivain finissant, vieillissant, avec Dans le scriptorium **** dont j’avais tant dit de bien, ce nouveau roman de Paul Auster a forcément encore beaucoup fait parler de lui. Mais que dire de ses qualités ? L’idée initiale est extrêmement séduisante : Owen Brick, la trentaine, se réveille dans un trou, aux parois lisses et insurmontables, dans une Amérique parallèle, où les deux tours ne se sont pas effondrées et où la guerre en Irak n’a pas eu lieu, mais où une guerre civile fait rage, avec dans le camp adverse les Etats chapeautés par Georges W. Bush. Sa mission ? Tuer, à son retour à la vie « normale », August Brill, un vieil homme critique littéraire qui a imaginé toute cette histoire d’une guerre sans fin. On suit donc en parallèle les mésaventures fantastiques d’Owen, heureux avant que le ciel (l’écrivain) ne lui tombe sur la tête, et la vie de trois âmes endeuillées : ce veuf se rappelant sa chère Sonia, vivant avec sa fille Miriam, que son mari a quittée, et sa petite-fille, Katya, anéantie depuis la mort de son fiancé Titus en Irak.

Le plus jouissif, dans les romans de Paul Auster, c’est l’univers qu’il sait créer, ce suspens causé par les arcanes de l’écriture, par un autre personnage, double de l’écrivain lui-même, qui crée des vies, des personnages, un destin, pour d’un coup les laisser tomber sans crier gare. Mais on finit par se lasser de ce ressort romanesque, fréquemment utilisé. Et que reste-t-il alors ? Une écriture sobre et simple, mais pas du tout exceptionnelle, une mise en abime d’une histoire dans l’intrigue qui après nous avoir bien mis en haleine, finit en queue de poisson, nous laissant sur notre faim, un peu comme dans La nuit de l’oracle*** où le héros de l’écrivain se retrouvait enfermé, sans échappatoire. Ici, la solution offerte au personnage secondaire, quelle qu’elle soit, c’est la mort. Tout comme le peuple américain d’ailleurs, prisonnier de cette guerre meurtrière. Alors l’écrivain est-il un monstre ? Est-ce là le sentiment que nous livre Paul Auster ? Et à broder une histoire autour de cet autre monstre aux commandes du pays qui a engendré d’autres horreurs ? Evacuant son dégoût de la politique de Bush et l’horreur que lui inspirent ces films diffusés sur le net mettant en scène l’exécution de ses compatriotes. Le nouveau Paul Auster ? Plus engagé, certes, que tout autre. Plus allégorique aussi, fiction et réalité nous rappelant la nôtre. Mais pas au summum de son talent, il faut bien l’avouer. Le meilleur serait-il advenu ?


AUSTER, Paul. – Seul dans le noir / trad. de l’américain par Christine Le Boeuf. – Actes Sud, 2009. – 181 p.. - ISBN 978-2-7609-2887-9 : 19,50 €.
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