Mots-clefs ‘Prix Goncourt des Lycéens’

Philippe Claudel

31.01
2015
cop. mediatheque

cop. bibliothèque les Jacobins

Ce vendredi 16 janvier 2015, une fois n’est pas coutume, c’est à la bibliothèque des Jacobins, à Fleury-les-Aubrais qu’il m’a été donné d’écouter Philippe Claudel répondre aux questions de ses lecteurs. Comme à la librairie des Temps modernes, l’assemblée était dans la fleur de l’âge, tant et si bien qu’on me donna même du « jeune fille » ! Ce qui ne lasse pas de m’inquiéter sur la pérennité de ces rendez-vous dans quelques décennies. Mais ceci est un autre sujet…

Tenace, l’équipe des bibliothécaires des Jacobins relançait Philippe Claudel depuis 2009 avant de pouvoir l’accueillir entre ses murs avec son club lecture.

Philippe Claudel, trop occupé ? Sans aucun doute. Ses nombreux succès et prix littéraires (prix Renaudot pour les Ames grises, prix Goncourt des lycéens pour Le Rapport de Brodeck, César du meilleur premier film pour Il y a longtemps que je t’aime), ses nombreuses activités professionnelles (écrivain, réalisateur, maître de conférence à l’université de Nancy sur l’écriture scénaristique, membre de l’académie Goncourt), ses nombreux déplacements à l’étranger où ses romans sont traduits, le rendent finalement peu disponible. Une chance, donc, de pouvoir le réécouter, après une première fois lors de son intervention auprès des lycéens à Rennes en décembre 2003, pour les Ames grises.

Voici dans ses grandes lignes l’échange qui eut lieu ce soir-là :

Vous êtes un auteur imprégné d’Histoire. Votre thématique s’inscrit autour de la mémoire, de la tolérance, de l’étranger. Est-ce que ce sont autant de batailles que vous menez ?

L’histoire des grands traumatismes est au coeur de mon oeuvre, en effet.

D’abord par sa dimension nationale : dans la littérature française, la guerre est souvent présente. La France est un pays qui examine beaucoup son passé. La littérature française est une littérature du ressassement, du traumatisme.

Ensuite par sa dimension personnelle, liée à ma région, à la Lorraine, et à ma famille. J’ai grandi à mi-chemin entre Verdun et le camp de Struthof. Enfant, mes voyages scolaires oscillaient entre les deux, ma commune était encerclée par des cimetières militaires, et ma famille parlait sans cesse des guerres.

Mais j’écris de la fiction, rien d’autre, et vous remarquerez que dans Les Ames grises, il n’y a ni datation, ni géographie identifiée, et dans Le Rapport de Brodeck, la langue est inventée, et les mots « juif », « nazi » et « holocauste » ne sont jamais prononcés pour évoquer une situation humaine.

En littérature, ce qui m’intéresse, c’est d’inspecter les moments de rupture, où l’homme doit se placer sur l’échiquier.    

cop. Carnets de SeL

cop. Carnets de SeL

Votre écriture est très visuelle dans vos romans. La passion du cinéma vous est-elle venue en même temps que l’écriture ?

Mon amour du cinéma a toujours été là, en même temps que mon amour de la littérature.

Enfant, je fréquentais deux cinémas. J’ai grandi dans une famille modeste mais qui avait un grand intérêt pour la culture. Il était plus facile d’écrire que de filmer, enfant. A la faculté j’ai pu réaliser mes premiers court-métrages, mais ce n’est qu’à 45 ans que j’ai réalisé mon premier long-métrage, et publié à 37 ans mon premier roman. Avant j’écrivais, bien sûr, mais tout ce qui a précédé n’était pas intéressant.

Vous auriez envie d’adapter vos romans ?

Je ne veux surtout pas adapter mes romans car si un livre est un livre, c’est que ça ne pouvait pas être autre chose. C’est la réciproque pour un film. Quand j’écris un roman, mon outil principal c’est la langue, l’histoire est née dans le langage, alors que le film est né avec un désir d’acteurs, un désir de lumières, de sons. Au cinéma on peut filmer sans un mot. J’ai donné l’autorisation il y a deux ans d’adapter Le Rapport de Brodeck en BD. Remarquez d’ailleurs : mes quatre films n’abordent absolument pas la problématique de la guerre, mais sont plutôt des histoires contemporaines sur l’intimité. Suivant le support, je traite de thématiques différentes. 

Qu’est-ce qui vous permet de vous exprimer le mieux, roman ou film ?

Mon espoir, que ce soit un livre ou un film, c’est que cela continue à vivre en chaque lecteur, en chaque spectateur.

Comment écrivez-vous ?

Je n’ai pas de règle : quand j’ai envie d’écrire. C’est ma seule règle. Et encore…

Je n’écris pas le soir. Je suis plutôt du matin. Et je préfère l’hiver à l’été, où j’ai envie de sortir. J’adore tout ce qui est papeterie – carnets, crayons,… – mais je suis incapable d’écrire sans ordinateur portable. 

Comment fait-on pour passer à un autre roman après avoir fini Le Rapport de Brodeck ?

L’Enquête, qui a suivi, n’est pas un roman à proprement parler. Je m’y suis essayé à tous les genres par le biais de mon protagoniste : le fantastique, la SF, … Parfums non plus. Je me pose beaucoup de questions sur le roman. 

Derrière la façade sombre de vos romans êtes-vous un optimiste ?

Ce n’est pas à moi de vous le dire. A partir du moment où mon roman est publié, je le donne au public. Et c’est ce dernier qui interprète. Quant à moi, chaque matin, je peux être d’un plus ou moins grand optimisme.

Qui dans votre carrière vous a soutenu, vous a aidé ?

Si j’ai un conseil à donner en tout cas à ceux qui écrivent, c’est de ne surtout pas montrer ce que vous faites, car cela peut vous être dommageable : on peut vous flatter ou vous démoraliser.

Je n’ai pas eu de mentor. Mais il y a des écrivains qui ont compté pour moi : Jean-Claude Pierrotte, qui m’a encouragé. Céline est l’un de mes écrivains préférés. A 20 ans, j’étais sous l’influence de Céline, Proust, Simenon, Giono, Baudelaire, Kadaré, Julien Gracq…

Vous semblez accorder à la Nature une place toute particulière dans Le Rapport de Brodeck.

La Nature a une réelle importance dans Le Rapport de Brodeck, effectivement. J’y évoque le rapport de l’homme à la Nature, et surtout de l’indifférence totale de la Nature au destin des hommes. C’est un roman émaillé d’événements météorologiques : la brume, le gel, la neige, le soleil,… Au contraire, L’Enquête est un roman dans la ville, dont la Nature est exclue, sur un modèle économique inhumain, labyrinthique. Dans mon dernier film, la Nature agit comme un terreau d’inspiration. Je me sens très proche de ce que Rousseau disait de la nature dans ses Promenades.

Vous êtes membre de l’Académie Goncourt. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle, sur son fonctionnement ?

Nous nous réunissons chaque premier mardi du mois, chez Drouot, durant deux heures qui s’achèvent par un déjeuner.

L’académie connait une forte activité toute l’année et à l’étranger. Car les autres pays veulent tous imiter le modèle du Goncourt des lycéens.

Au Goncourt on lit le plus possible de livres, autant par curiosité que par plaisir. Je lis ainsi une centaine de romans de mi-mai à fin août. Je ne suis absolument pas influencé par la presse. On est honnête, surtout depuis l’arrivée de Françoise Chandernagor et de Bernard Pivot.

En 2012 je soutenais Patrick Deville pour Peste et Choléra. Mais il a reçu le Fémina trois jours plus tôt. Et dans l’Académie, d’autres n’ont pas voulu lui donner un deuxième prix.

Quelques mots sur Jean-Marc Robert ?

C’était le patron des éditions Stock, lui-même auteur de très courts romans d’une grande finesse. Il a été mon éditeur depuis 2001 ; il est devenu mon meilleur ami. C’était quelqu’un qui aimait les auteurs. Ce n’est pas pour rien que je ne publie plus. D’ailleurs j’avais écrit un roman avant sa mort, qui n’a jamais été publié depuis. On travaille toujours dans l’incertitude quand on écrit. On ne sait même pas si un roman est bon ou mauvais. On a besoin d’un jugement littéraire extérieur. Un éditeur, c’est à la fois un accompagnateur de livres et un commerçant. Pour pouvoir exercer son métier, il doit savoir équilibrer la qualité de ses publications avec des ouvrages qui vont toucher un grand public.

Quel sera votre prochain livre ou votre prochain film ?

Mon roman n’est pas suffisamment bien pour être publié. Quand on a la malchance d’être connu, on est sûr d’être publié, donc il faut être exigeant envers soi-même. Je suis dans deux autres romans dont j’espère que l’un pourra être publié. Ma femme aussi joue un rôle essentiel. Avec Jean-Marc Robert, c’est mon autre relecteur. Elle me fait couper beaucoup. Cela fait partie du travail d’écrivain, comme quand on est réalisateur, d’avoir beaucoup de matière pour pouvoir couper.

Mon dernier film a été tourné à 12 kms de Nancy, dans une ville de campagne. J’ai eu envie de filmer cette innocence de l’enfance, sauf qu’on refuse à cet enfant de prendre des décisions.

Merci pour cette rencontre qui s’est achevée autour d’un apéritif convivial.

J’ai lu de lui :

J’abandonne (pas encore critiqué)

Les Ames grises ***

La Petite fille de Monsieur Linh (pas encore critiqué)

Le Rapport de Brodeck ****

Parfums *

J’ai vu de lui :

Il y a longtemps que je t’aime (pas encore critiqué)

 

Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants ** de Mathias Enard (2010)

02.01
2011

GONCOURT DES LYCEENS 2010

Furieux du pape Jules II qui tarde à lui payer les travaux entrepris pour son tombeau, Michelangelo part en 1507 pour Constantinople, sur la demande du sultan Bajazet, et prend la suite de Léonard de Vinci qui, avant lui, a échoué dans l’entreprise d’un pont qui doit relier les deux rives de la Corne d’or.

Pour qui connaît à la fois Rome et Istanbul, la chapelle Sixtine au Vatican ou à la basilique Saint-Marc à Venise, ce roman est un enchantement intellectuel, faisant le pont entre ces lieux éminemment fascinants, fortement inspirés, on le sait, de la basilique Sainte-Sophie.

Mathias Enard choisit ici de retracer un court épisode de la biographie de Michel-Ange, qui pourtant s’imprimera durablement dans sa mémoire, dans son oeuvre et dans son coeur. Nonobstant, une grande partie du roman n’est que factuelle, fruit d’un long travail de recherche, sans que jamais on n’entre dans la conscience de Michel-Ange. Au contraire, le narrateur, dans un certain nombre de chapitres (les plus beaux), n’est autre que le seul homme que Michel-Ange semble jamais avoir aimé : il s’agit de Mesihi, le poète mandaté par le grand Vizir auprès de Michelangelo, qui le guide jour et nuit dans la cité impie. Et c’est sa voix lourde d’amour, d’admiration et de jalousie pour le grand homme qui donne seule de l’émotion à ce roman richement documenté :

« Je sais que les hommes sont des enfants qui chassent leur désespoir par la colère, leur peur dans l’amour ; au vide, ils répondent en construisant des châteaux et des temples. Ils s’accrochent à des récits, ils les poussent devant eux comme des étendards ; chacun fait sienne une histoire pour se rattacher à la foule qui la partage. On les conquiert en leur parlant de batailles, de rois, d’éléphants et d’êtres merveilleux ; en leur racontant le bonheur qu’il y aura au-delà de la mort, la lumière vive qui a présidé à leur naissance, les anges qui leur tournent autour, les démons qui les menacent, et l’amour, l’amour, cette promesse d’oubli et de satiété. Parle-leur de tout cela, et ils t’aimeront ; ils feront de toi l’égal d’un dieu. Mais toi tu sauras, puisque tu es ici tout contre moi, toi le Franc malodorant que le hasard a amené sous mes mains, tu sauras que tout cela n’est qu’un voile parfumé cachant l’éternelle douleur de la nuit. » (p. 66-67)

Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants / Mathias Énard. – Arles : Actes Sud, impr. 2010. – 153 p. : ill., couv. ill. en coul. ; 22 cm. – (Domaine français). – ISBN 978-2-7427-9362-4 (br.) : 17 EUR. – EAN 9782742793624

Emprunté au CDI

La mort du roi Tsongor *** de Laurent Gaudé (2002)

28.11
2005

Laurent Gaudé

Au cœur d’une Afrique ancestrale, le vieux Tsongor, roi de Massaba, souverain d’un empire immense, s’apprête à marier sa fille. Mais au jour des fiançailles, un deuxième prétendant surgit, ancien camarade de jeu des enfants Tsongor, ayant jadis emporté avec lui la promesse de cette même jeune fille de l’épouser. Le roi ne choisit d’autre issue que de demander à son fidèle serviteur Katabolonga de le ôter la vie. Avant de mourir, il charge son plus jeune fils d’une mission pouvant prendre toute une vie : celle de parcourir le continent pour y construire sept tombeaux à l’image de ce qu’il fut, roi vénéré après avoir été un belligérant sanguinaire…


Ce roman atemporel met au jour la honte au fond de chacun, l’orgueil vain, la concupiscence, la rivalité entre fratrie, et révèle surtout l’issue de toute guerre : la perte de vies humaines, la défaite. Une magnifique tragédie dont Laurent Gaudé a su donner la valeur d’un symbole.

GAUDE, Laurent. – La Mort du roi Tsongor. – Arles : Actes Sud, 2002. – 204 p. ; 22 cm. – ISBN  2-7427-3924-6 : 15,90 €.

Sorti en poche.
Roman dédicacé le 15/03/2008 au Salon du Livre.

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Magnus de Sylvie Germain

20.11
2005

cop. Albin Michel

Magnus, c’est l’ourson en peluche seul rescapé des souvenirs qu’a pu conserver Franz-Georg de sa courte vie précédant ses 5 ans, un passé qu’une longue fièvre a entièrement gommé. C’est toujours Magnus qu’il emporte ensuite lorsque la guerre fait fuir ses parents, les sépare puis les lui enlève, le confiant à un oncle anglais. Désormais il s’appellera Adam. Grandissant à Londres, il se prend de passion pour les langues et surtout l’espagnol, qui lui permet bientôt de partir pour le Mexique, pays-linceul où se serait réfugié son père, criminel nazi. Une autre fièvre l’emportera alors, autant pour lui un soulagement qu’un dépouillement identitaire, révélatrice de son adoption cachée… Et Alias Magnus il devient, double de cet ourson muet. Pourra-t-il jamais vivre pleinement cette vie dont on lui a dérobé l’origine ?

Nul doute que ce roman mérite ce prix un peu différent qu’est le Goncourt des lycéens. C’est un bon roman, abordant les thèmes de l’abandon, de la culpabilité, de l’amour et de la quête identitaire, dans lesquels peuvent se reconnaître bon nombre d’adolescents. Néanmoins mon avis reste partagé, divisé entre la magie, le ravissement qu’opère le chapelet de mots incantatoires qu’égrène délicatement Sylvie Germain en véritable virtuose, et ce non-consentement à me laisser prendre par l’histoire, pourtant touchante, mais précisément presque dans l’excès, comme si la manipulation pour atteindre ce but était par trop visible. Et que viennent donc faire dans le dénouement ce frère Jean et ses abeilles ?

GERMAIN, Sylvie. – Magnus. – Albin Michel, 2005. –274 p.. – ISBN : 2-226-16734-X : 17,50 €.

La joueuse de go ** de Shan Sa (2001)

19.09
2005

Prix Goncourt lycéens 2001

Tout les sépare. Elle habite la Manchourie sous l’occupation japonaise des années 30. Elle a 16 ans. Elle excelle dans le jeu de go auquel elle se livre depuis l’âge de 4 ans avec son cousin. Lui descend d’une famille de samouraï japonais. Il quitte mère, frère et sœur à Tokyo, prêt à se donner la mort au combat en Mandchourie plutôt que d’être lâche. Ils se retrouvent tous deux autour du jeu de go, sur la place des Mille Vents d’une petite ville, chacun ignorant tout de l’identité de l’autre. Elle va de son côté, en quelques jours, connaître l’amour, la sexualité, la trahison, la honte de la maternité. Lui va oublier geishas et prostituées pour s’attacher à cette chinoise dont il ignore tout. Ils vont se séparer pour Pékin. Le destin va les réunir tragiquement sans qu’ils se soient connus.

Un rythme binaire construit par des chapitres souvent très courts, alternant le «je» des deux protagonistes. Des phrases brèves et ciselées. Le rôle social des jeunes chinoises déchirées entre une soumission à leur futur époux et un début d’émancipation de la femme. La fuite. Un accès à la sexualité, à l’amour d’une jeune héroïne. Un homme qui ne vivait que pour le sens du devoir, de la patrie et le code de l’honneur ; un homme qu’un mariage avec une femme ne peut qu’entraver et que la compagnie de geishas entretenues soulage ; un japonais qui tombe peu à peu amoureux de son ennemie, une chinoise inconnue… Vraiment superbe !

SA, SHAN. – La Joueuse de go. – Paris : Grasset, 2001. – 342 p..
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