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L’île aux fleurs de Jorge Furtado (1989)

08.01
2016

Ce court-métrage peut avoir quelque chose de déstabilisant par son approche humoristique et sa surabondance d’informations documentaires pseudo-pédagogiques. Mais très vite, plus le film avance, plus l’humour devient grinçant. Car si l’on suit la chaîne de la tomate, c’est bien le progrès de l’être humain qui est remis en question, sa liberté le réduisant à passer après le porc sans monnaie d’échange. La musique d’ailleurs s’électrise à la fin, sur cette île aux fleurs où les porcs passent avant les humains, car ils ont un riche propriétaire, et les fleurs absentes, à l’opposé de l’image idyllique de la famille modèle mangeant du cochon grâce à une vente de parfums.

Quelle liberté est possible dans la chaîne capitaliste ?

Quel est le coût d’une vie humaine ?

Ce sont les questionnements qui émergent de ce court-métrage fréquemment utilisé en cours de sciences économiques et sociales.

Le Soleil des Scorta *** de Laurent Gaudé (2004)

29.11
2005

Imaginez un chemin rocailleux où même les pierres semblent crier sous le soleil, qui déboucherait sur un village écrasé par la chaleur, donnant sur la mer, déserté par ses habitants confinés chez eux, volets clos. C’est là que Laurent Gaudé plante son décor et met en scène sur une centaine d’années le destin de la lignée des Scorta, enfants et petits-enfants de mécréants pour le village, qui, de génération en génération, vont construire leur vie, à la sueur de leur front pour, au seuil de la mort, au moment du bilan, transmettre à leurs descendants une phrase, un secret de famille…

Laurent Gaudé ouvre son premier acte sur une ambiance à l’odeur du western spaghetti, sublimée par son pouvoir de suggestion et son talent de conteur : un bandit de retour au village viole cette vierge consentante avant d’être lapidé par les habitants ; mais, dans cette lignée, c’est sur ses petits-enfants qu’il va s’attarder quelques chapitres plus tard, sur ces trois puis quatre Scorta, dont il va prôner les valeurs d’amitié et d’ardeur au travail. Conjointement, il sait si bien donner vie à ce petit village d’Italie du Sud, évoluant au fil du temps comme la famille des Scorta, qu’on reste saisi par la retranscription de tel ou tel épisode marquant, comme ses habitants se liguant tous contre le curé n’honorant pas la promessse faite, ou encore ce banquet mémorable de poissons et d’aubergines grillés qu’on leur envie, tout en dévorant quant à nous ce roman d’une traite !

GAUDE, Laurent. – Le Soleil des Scorta. – Actes Sud, 2004. – 248 p..- ISBN 2-7427-5141-6 : 20 €.

Gouverneurs de la rosée ** de Jacques Roumain (1946)

12.09
2005

cop. éd. Le Temps des cerises

Manuel rentre de Cuba où il fut envoyé pour travailler dans les plantations. Sur le chemin du retour, il rencontre Annaïse, une belle noire, qui change de visage à l’annonce de son nom. C’est que, lui apprennent ses parents, non seulement la famine et la désolation planent désormais sur leur village, mais, pire, qu’une vieille haine a scindé Fonds-Rouge en deux. Mais Manuel ne compte pas baisser les bras et s’en remettre aux divinités implorées. A Cuba, il a appris la grève, la volonté, la solidarité. Il part à la quête d’une source, qui redonnerait vie aux jardins brûlés par la sécheresse, dont le chantier d’irrigation reposerait sur le pardon des villageois.

Gouverneurs de la rosée est un titre qui à lui seul annonce tout à la fois l’engagement politique et la richesse poétique de ce roman posthume. En fait, Jacques Roumain a forgé cette expression à partir de la traduction littérale du créole haïtien « èt lawouze », littéralement «maître de l’arrosage», désignant le gestionnaire de l’’irrigation de toute une communauté. Publié pour la première fois en France en 1946, probablement avec l’aide d’Aragon, ce roman majeur de la littérature haïtienne a pris une dimension internationale, prônant des valeurs universelles telles que l’altérité, la solidarité, chères au communisme. Nonobstant, Jacques Roumain a su dégager sa spécificité linguistique et poétique, faisant balancer son lecteur au rythme chaloupé de la langue créole haïtienne, lui faisant respirer le parfum d’un amour interdit, brossant au sein d’un paysage écrasé par la chaleur des portraits de paysans haïtiens hauts en couleurs. Un très beau texte à valeur de symbole.

ROUMAIN, Jacques. – Gouverneurs de la rosée. – Le Temps des Cerises, 2004. – 202 p. ; 20 cm.. – ISBN : 2-84109-234-8 : 14,48 €.