Dans cet essai, Pascal Quignard annonce qu’il va « chercher à comprendre ce mouvement qui, s’il n’est pas universel, est invétéré (…) qui consiste à prélever des fleurs dans les champs, sur les rives, dans les forêts, au haut des montagnes, et à les disposer dans les demeures souterraines auprès des os rassemblés et teints d’ocre des morts(…)«
Les fleurs, rappelle-t-il, apparaissent en même temps que ces petits animaux musaraignes, insectivores puis fructivores, dont sont issus les humains. Ces derniers s’offrent des fleurs quand ils se rendent visite, tout comme quand ils rendent hommage aux morts. Pascal Quignard revient alors sur le célèbre vers d’Horace, Carpe diem, « cueille le jour », qu’il réinterprète comme « tue le jour ». Car il s’agit d’apprendre à couper, et cueillir une fleur en France ou au Japon, c’est la « sacrifier, c’est offrir de la vie à la vie pour plus de vie« . Quand on dépose des fleurs fraîches sur une tombe, on offre ainsi le printemps, la vie fauchée dans son meilleur moment, au corps sans vie qu’on aime. Aussi, au Japon, dans l’ikebana, on arrange une branche naissante horizontale en un bouquet triangulaire vertical mystique, extrêmement codé et symbolique, comme peuvent l’être là-bas la voie de la calligraphie, la voie du thé, la voie du bâtonnet d’encens et de la fumée parfumée qui s’élève.
Pascal Quignard rappelle aussi que l’unité de mesure pour la vie est le jour, la contrainte des sept jours n’étant que religieuse. Pour lui, les mois lunaires ainsi que les saisons gardent leur utilité, mais l’année devrait être découpée de mars à mars, voire de février à février, et ainsi du printemps à l’hiver, de la naissance à la mort.
Inclassable, ce petit essai recueille les pensées de Pascal Quignard sur l’acte symbolique de cueillir une fleur, de former et donner un bouquet, sur le découpage temporel de la vie. Les cinquante premières pages m’ont passionnées, moins les suivantes. Il est un détail, et non des moindres, qu’il n’a pas évoqué : ce sont les enfants, qui, dès le plus jeune âge, offrent naturellement à leur mère un bouquet de fleurs des champs cueillies pour le plaisir de s’approprier cette vie si belle à regarder. Monsieur Quignard, qu’en dites-vous ?