Mots-clefs ‘national-socialisme’

Triangle rose

15.02
2012

Le mercredi, c’est bande dessinée…

cop. Quadrants

Scénario de Michel Dufranne

Dessin de Milorad Vicanovic – Maza

Couleurs de Milorad Vicanovic – Maza et de Christian Lerolle

Le triangle rose, vous en avez déjà entendu parler ? Et le paragraphe 175 qu’on pouvait encore lire jusqu’en 1988 dans le code pénal allemand ? Peut-être pas, ou très peu.

cop. Quadrants p61

C’est justement pour révéler ce pan méconnu de l’Histoire, mais aussi pourquoi aujourd’hui encore il reste tu, que Michel Dufranne imagine l’histoire d’Andreas, le grand-père d’un lycéen, lequel vient l’interroger avec ses amis sur son passé d’ancien détenu des camps. Ce sont des souvenirs douloureux qui ressurgissent alors à sa mémoire, un passé que sa femme et lui ont toujours gardé pour eux. Car Andreas, dans le Berlin des années 30, était homosexuel. Dessinateur de publicité et professeur de dessin, il vivait en toute insouciance avec ses amis et sa mère, n’hésitant pas à avoir une liaison avec Hans, un jeune apollon sous l’uniforme nazi. Mais l’accession des Nazis au pouvoir provoque un durcissement de la répression. Ignorant les mises en garde de Dieter, son ex-petit ami qui préfère l’exil, Andreas fait le choix de rester. Hélas, le paragraphe 175 condamne l’homosexualité masculine : en refusant de se reproduire, ces hommes deviendraient inutiles, des nuisibles qui entraveraient l’expansion de la race aryenne. Or son subterfuge de s’afficher en compagnie d’Angela, qui est lesbienne, échoue. Dénoncé par sa concierge, Andreas fait l’expérience de la prison puis du camp de concentration…

 

A partir d’un fait historique, Michel Dufranne a imaginé cette histoire bouleversante d’un homme sensible et discret, qui, à partir du régime nazi, va devoir toute sa vie renier ce qu’il est fondamentalement, pour pouvoir vivre paisiblement : car l’homosexualité, si elle a été violemment stigmatisée durant le nazisme, au point de coûter la vie à bon nombre de détenus, continue bon an mal an à être difficilement acceptée dans notre société. Le changement des mentalités est lent et difficile, même s’il est rarement question de haine de nos jours, mais plutôt d’incompréhension. Difficile donc, et le scénariste le montre très bien dans la scène qui oppose le vieillard aux adolescents, de révéler au grand jour ce qu’on a dû taire toute sa vie, d’autant plus si la question de la filiation se pose. Tandis que la couleur du présent ouvre et ferme cet épisode sombre de la vie d’Andréas, ce dernier se traduit par un dessin en lavis impressionnant, montrant la métamorphose physique du personnage et celle, morale, de la société qui l’entoure.

Un coup de coeur pour cette bande dessinée didactique, qui révèle de manière particulièrement poignante la persécution dont les homosexuels ont fait l’objet durant le nazisme.

Beaucoup aimé

DUFRANNE, Michel, VICANOVIC, Milorad, LEROLLE, Christian. - Triangle rose. - Editions Quadrants, 2011. – 143 p. : ill. en coul. et lavis ; 24 cm. – EAN13 9782302017238 : 17 €.

Galadio de Didier Daeninckx (2010)

25.09
2010

Galadio, c’est le prénom secret d’Ulrich, celui que sa mère qui l’élève seule ne prononce jamais. L’adolescent vit mal sa soudaine mise à l’écart de certaines activités comme la natation, et assiste, impuissant, à la confiscation des animaux de ses voisins Juifs, telle Takouze la tortue, puis à leur mise à mort. Un jour, c’est lui que les SA viennent chercher pour faire des « analyses » à l’hôpital, où il retrouve d’autres métis que l’on destine à être stérilisés. C’est alors qu’un couple le choisit comme figurant pour un film de propagande nazie pour son grain de peau, lui, le fruit des amours interdits entre un tirailleur Sénégalais recruté sous le drapeau français et une Allemande, qui fut tondue…

Entre les deux guerres mondiales, le narrateur assiste, dans les rangs des opprimés, à la montée du nazisme et à ses corollaires : l’antisémitisme et le racisme. Pour alimenter cette haine de l’autre, il joue lui-même en tant que figurant puis acteur tous les clichés de rumeurs et de préjugés racistes, de Noirs violeurs de femmes allemandes, de benêts « Y’a bon Banania » recensés dans les scénarii de films de propagande nazie. Il ne peut dès lors jouer que le rôle qu’on lui assigne, devenir que ce que l’on veut qu’il soit. De la même façon, il ne se révolte pas lorsqu’on lui interdit l’accès à la piscine, et d’ailleurs personne ne prend son parti ni ne désobéit. Le silence entoure son exclusion, la passivité permet l’injustice. Les seuls résistants, ce sont les voisins Juifs qui lisent entre les lignes de la presse écrite ennemie, pour se tenir informés, et abritent chez eux Galadio en fuite, et la mère de Galadio qui choisit de le mettre au monde malgré l’opprobre et de le garder… Les actes de résistance, ce sont la recherche d’informations, la lecture, l’esprit critique, la solidarité et l’amour.


DIDIER DAENINCKX GALADIO
envoyé par Backstreetprod. – Regardez plus de courts métrages.

Dans toute son oeuvre, Didier Daeninckx n’a de cesse de rappeler ces détails de l’Histoire qui ne figurent dans aucun manuel, aucun programme. Par le biais d’un destin individuel, il lève tout un pan d’une réalité vécue par des victimes de décisions politiques, exclus et opprimés. Ici encore, il a rassemblé une documentation fouillée pour donner jour à ce roman d’aventures dont le héros, persécuté en Allemagne nazie, partira en quête de son identité en Afrique subsaharienne. Une oeuvre militante écrite d’une plume simple mais efficace.

Dans la même veine, on songera au sort réservé aux Canaques lors de l’Exposition Coloniale de 1931 dans son roman Cannibale, publié en 1998, dans lequel intervient un homme de l’entretien dans un métro, ancien tirailleur sénégalais, et aux esclaves africains au 17e siècle, dans Zumbi de Jean-Paul Delfino.

Du même auteur dans Carnets de SeL :

Meurtres pour mémoire ** (1984),

La mort n’oublie personne ** (1989),

Cannibale ** (Verdier, 1998),

Ceinture rouge précédé de Corvée de bois ** (2001-2002),

Itinéraire d’un salaud ordinaire ** (2006).

DAENINCKX, Didier. – Galadio. – Larousse, 2010. – 175 p. ; 18 cm. – (Les Contemporains, classiques de demain). – ISBN 978-2- : 3,95 euros.

ou Gallimard, 2010. – 139 p.. – ISBN 978-2-07-012953-9 : 15,50 euros.

Un homme changé * à ** de Francine Prose (2008)

10.09
2005

Titre original : A changed man (USA, 2005)

Trad. de l’
américain par
Céline Schwaller.
Publié chez Métailié. Sortie le 14 février 2008.


Gardant en tête les leçons de La Voie du samouraï,
Vincent, un néonazi, entre, un sac de marin à l’épaule, le crâne rasé, le symbole SS sur un biceps et une tête de mort sur l’autre, dans les bureaux d’une fondation de défense des droits de l’homme, en plein Manhattan. Il vient y rencontrer son fondateur, un vieux juif survivant de l’Holocauste, Meyer Maslow, dont il a lu les livres, et lui annonce : « Je voudrais vous aider à empêcher des types comme moi de devenir des types comme moi. » (p. 28). C’est du pain béni pour la fondation qui peinait à récolter des dons pour libérer des réfugiés politiques ou sauver des enfants du génocide, et qui va être aux petits soins avec lui, en particulier Bonnie, l’assistante, qui va devoir l’héberger et expliquer à ses deux fils pourquoi un ex-néonazi couche dans leur chambre d’ami.

« Tout le monde est sûrement raciste, pense Meyer. Mais qui se soucie de ce qu’on est au fond de soi ? Ce qui compte, c’est ce qu’on fait.
- J’avoue que la colère, ça me branchait
un peu, dit Vincent. Et peut-être parce que je n’ai pas été élevé comme ça, je trouvais ça bon de laisser sortir toute cette rage. Ca aide toujours, d’avoir quelqu’un à accuser. Tout le monde le sait. »
(p. 122)

Sur les traces du film
American History X, réalisé en 1999 par Tony Kaye, ce roman a pour protagoniste un ex-néonazi, revenu sur cette haine qui l’a nourri dans les moments difficiles et qui charrie de nombreux paumés de l’Amérique profonde. Mais si le premier avait pour objectif de se sauver lui-même et son frère, le second, incarné par un Vincent Nolan lucide et intelligent, veut poursuivre sa métamorphose et s’engager totalement  aux côtés du Bien. Entier, attentif, généreux de sa personne, et désireux de bien faire, bien qu’encore sur ses gardes, Vincent Nolan devient un héros en réinventant son histoire pour qu’elle devienne ce que tous veulent entendre, manipulant ses auditeurs comme les médias, et un père de substitution fraternel pour les deux fils de l’assistante (pas toujours crédible d’ailleurs et cela donnera lieu à quelques scènes cocasses lorsqu’il est pris par l’aîné en flagrant délit du vol d’un peu de sa marijuana), qui aimerait bien l’avoir finalement dans son lit.

Adoptant tour à tour les pensées des uns et des autres, ce roman commence par celle d’un néonazi qui n’en a pas encore fini avec sa vision raciste d’autrui et s’achève sur celle d’un homme que d’aucuns pensent changé, mais qui peut encore se montrer très violent, donnant une leçon de morale à la remise des prix à l’école du fils aîné, Danny. Alors, qu’en penser ? L’auteur, elle, ne semble pas condamner ce dernier excès et achève son histoire d’amour qui se voyait à 2000 kilomètres par une happy end. Pour autant, elle n’a cessé durant tout le roman de dresser un portrait satirique des donateurs, de jeter le doute sur Meyer, qui semble rechercher aussi sa notoriété, et de discréditer totalement les médias.

Tour à tour drôle, cynique et émouvant, sans être non plus ni sur le fond ni sur la forme transcendant, c’est tout compte fait un bon roman, devenant très lisible après les premières pages, dès qu’on a compris à quel narrateur on avait affaire.

Lire aussi l’article Un homme changé : un nazi au grand coeur, excellent roman américain, posté par Myosotis le 11.02.08 sur Fluctuat.net.

PROSE, Francine. – Un homme changé / trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Schwaller. – Métailié, 2008. – 428 p.. – (Bibliothèque anglo-saxonne). – ISBN 978-2-86424-639-8 : 21 €.