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Mon voisin de Milena Agus

25.10
2009

cop. Liana Levi

Qu’il serait doux d’échapper à cette vie dont elle n’espère plus aucun bonheur. Elle n’a qu’un souci : maquiller son suicide en accident pour ne pas le faire peser sur sa famille, qui s’occupera de son petit garçon de deux ans qui n’a jamais parlé. Oui, mais voilà, du mur du beau voisin à son balcon, il n’y a qu’un petit pas à franchir, un pas que le fils de ce dernier va faire chaque jour pour les rejoindre…

Une nouvelle douce-amère comme la vie, une vie que seul l’amour peut faire supporter, que seul l’amour entre deux êtres peut faire aimer. L’amour aussi d’enfants pour leurs parents qui ne peuvent plus les aimer, déchirés eux-mêmes de l’intérieur par la souffrance d’une séparation, d’une rupture de désir qui lui rappelle l’autre. Mais rien n’est dit, tout est suggéré. Ce sont ces petits riens de la vie banale d’une vie en Sardaigne, écrasée par un soleil toujours trop cuisant. Mais sous cette apparente légèreté du style de Milena Agus, auteur de Mal de pierres (2007) et de Battement d’ailes (2008), derrière ces actes anodins, c’est tout un monde de pensées intimes qu’elle révèle, ces peurs de la maladie, de la mort, ou au contraire ces envies de mourir plus fortes que tout, toutes naissant d’un manque d’amour et mourant lorsque renaît le désir. 

« Vivre était vraiment terrible. Bien sûr, pas toujours. Il y avait eu aussi pour elle des moments où elle avait désiré vivre. Par exemple quand le père du bébé lui parlait en enroulant autour de ses doigts ses cheveux qu’elle avait très longs, ou quand ils allaient manger des pizzas et qu’ils s’asseyaient l’un près de l’autre et les choisissaient différentes parce que, de toute façon, ce qui était dans l’assiette de l’un était aussi à l’autre, ou dans les excursions à la montagne, lui, attentif, derrière dans les montées, devant dans les descentes, ou bras dessus bras dessous en ville, parce que le père du bébé marchait vite et elle lentement, et alors elle s’accrochait et se laissait entraîner par ce doux courant, ou au lit : comme il lui plaisait, au lit. »  (p. 42).

Une petite nouvelle toute simple qui ne m’a pas tant conquise que cela, contrairement à d’autres critiques dithyrambiques dans la presse - Télérama – et dans la blogosphère - Des livres et des champsCulturofilBrik à book, etc…

 

AGUS, Milena. – Mon voisin / trad. de l’italien par Françoise Brun. – Editions Liana Levi, 2009. – 51 p.. – (Piccolo ; 60). – ISBN 978-2-86746-500-0 : 3 euros.

Mal de pierres de Milena Agus

17.09
2009

 

cop. Liana Levi

Sa vie, elle l’a vécue avec un avant et un après. Après cette fameuse chose principale qui lui manquait. Avant sa cure, elle a failli rester vieille fille, faisant fuir tous ses prétendants par des lettres enflammées, et se vit contrainte d’épouser un communiste, le grand-père de la narratrice, sa petite-fille, qui tente de rassembler avec tendresse les pièces du puzzle de son existence : tous deux se sont alors apprivoisés sans jamais s’aimer, chacun bien à l’opposé du lit sans se toucher. Après sa cure, elle mit au monde un fils qui deviendra un pianiste de renommée internationale.  Car cette chose principale, qui lui est arrivée, qui lui faisait défaut, c’est l’amour, croit-on deviner, et cet amour, elle l’aura connu au travers du Rescapé qu’elle a rencontré lors de sa cure, un intellectuel doublé d’un artiste, qui aura su  aimer tout d’elle, même ses cicatrices aux bras, même sa folie…

« Elle avait donné son cahier au Rescapé parce que désormais elle n’aurait plus le temps d’écrire. Il lui fallait commencer à vivre. Parce que le Rescapé fut un instant, et la vie de grand-mère tant d’autres choses. » (p. 103)

 

Sa rencontre avec le Rescapé constitue l’acmé de la vie de cette femme  qui a toujours été considérée comme folle par son entourage. Un premier thème d’ailleurs surgit, celui de l’incommunicabilité entre les êtres, l’incompréhension de motivations, de raisons d’être différentes. Car ce roman n’est pas une histoire d’amour. Loin s’en faut. Est-ce vraiment l’amour qu’elle a trouvé  auprès  du Rescapé ? Certes, il a été le seul à la respecter, le seul à ne pas considérer sa fantaisie comme folie, et à prendre au sérieux sa sensibilité poétique et artistique. Plus important, elle a trouvé auprès de lui une raison de s’aimer. Cette rencontre, c’est aussi l’énigme du roman dont la narratrice, sa petite-fille, nous donne la clé dans les deux dernières pages, et nous oblige à réviser toutes nos conclusions hâtives. Son bonheur ne l’a-t-elle pas plutôt créé  ? Car sa vie, ne l’a-t-elle pas écrite, inventée, imaginée et embellie ainsi une vie que l’on n’a pas eue ?

Un roman lapidaire, justement, à la voix douce et limpide, qui rend hommage à la folie de l’écriture, à cette faculté de pouvoir inventer et imaginer des morceaux de vie, de pouvoir embellir ou noircir la réalité, de façon à rendre inextricables la réalité des mensonges qui l’embellissent. Pourquoi une étoile seulement ? Peut-être parce qu’il n’a pas eu le souffle suffisant pour m’emmener, peut-être parce que je l’ai reposé un peu déçue, au regard de son immense succès.