Mots-clefs ‘liberté’

La zone du dehors d’Alain Damasio

08.01
2012

 

cop. Folio

 

Professeur de philosophie au grand jour, Capt aime le soir à s’aventurer illégalement dans la Zone du Dehors, à l’extérieur des limites de la métropole climatisée Cerclon, satellite de Saturne. Mieux, il est dans les coulisses à la tête de la Volte, mouvement contestataire de [ré]voltés, laquelle dénonce à l’aide de « clameurs » une société de consommation basée sur l’avoir, une pseudo-démocratie ultra-policée pour protéger ses citoyens de tout conflit, et un système de notation et d’identification des citoyens résumant leur individualité à leur rang social. Arrivent les technogreffes qui, introduites dans le corps des citoyens, leur inoculent le plaisir voulu : un nouveau pas vers la perte consentie de la perception physique de la réalité et, à terme, de de la liberté individuelle, estiment les Voltés…

 

Premier roman de l’auteur, La Zone du dehors est un roman de science-fiction politique, qui, comme Fight Club, attaque la société de consommation en ceci qu’elle privilégie la possession d’objets aux sensations physiques,

« Un message publicitaire nie la vie parce qu’il dégrade les désirs en besoins. »

(p. 246)

et qui, contrairement à 1984, ne dénonce pas une dictature mais une démocratie, cent ans après, en 2084 :

«le summum du pouvoir : une aliénation optimum sous les apparences d’une liberté totale. »

(p. 368)

Qui plus est, sous couvert de raconter un futur possible en campant un intellectuel anarchiste influencé par les idées de Nietzsche, Foucault et Deleuze, Alain Damasio, fantasmé en Capt, dénonce nos démocraties présentes, aseptisées, érigées sous une fausse alternance. Malgré tout, il a la présence d’esprit de nuancer son discours d’anarchiste {ré}volutionnaire, en l’opposant dans un dialogue au point de vue censé de A, Président de la Clastre, et en en montrant les limites et les revers. Au final, il nous livre une démonstration éblouissante d’une pensée politique qui se cherche dans ses moyens d’éducation des non-initiés et dans ses mises en application inspirées des demi-succès confidentiels et des échecs des milieux libres du début du siècle :

« Ce qu’il y a d’extraordinaire chez tous les révolutionnaires que j’ai rencontrés, monsieur Capt, c’est que, comme vous, ils voient le peuple à leur image : bon, généreux, énergique… c’en est presque émouvant – peut-être faut-il voir dans cette chimère une manière de narcissisme, un égocentrisme qui vous est propre, je ne sais pas, ce serait à creuser. » (p. 369)

Beaucoup aimé

 

Un excellent roman d’anticipation politique.

 

Gallimard, 2010. – 650 p. – (Folio ; 350).

Cadeau d’Alexis.

 

La cité fertile ** d’Andrée Chédid (1972)

28.08
2011

cop. J'ai Lu

 

« Au milieu d’un petit attroupement, Aléfa, la vieille, danse. (…)

Elle a déjà ses habitués auxquels se joignent, sans cesse, de nouveaux promeneurs. On lui lance :

- Fais l’arbre. Fais la pierre. Fais le silence !

Elle écoute. Elle n’écoute pas. Selon l’humeur.

- Fais l’air. Fais la ville. Fais les larmes !

Elle s’exécute. Elle ne s’exécute pas, selon l’instant. Elle interprète ce que son public réclame, ou bien ce qu’il ne demande pas ; pour faire plaisir, pour se faire plaisir. L’un ou l’autre. Elle passe ou ne passe pas à l’action.

Ses cheveux gris, ramassés dans un épais chignon, dégagent le front, la face. Une face craquelée, hâlée. Un visage de carte ancienne, ravivé par l’éclat bleu de l’oeil. » (p. 8-9)

La vieille Aléfa danse et déclame des poèmes sur les berges du fleuve. Les parents s’inquiètent de la mauvaise influence de cette folle sur leurs enfants qui l’adorent. Un jeune agent l’accompagne vérifier son identité. Il sortira de chez elle, désorienté, sans avoir vu ses papiers. Chez elle, c’est l’immeuble où habitent aussi Simon, Livie et leurs enfants. Après une énième tournée dans les villages, avec d’autres jeunes comédiens, Livie quitte Simon en emmenant les enfants chez Natia et Deric, le frère de Simon, celui « qui a réussi ». Mais est-ce cela la vie qu’elle attend ? Où est « la vraie vie » marginale à laquelle elle a pu goûter, comme Aléfa et Simon ?

Andrée Chédid s’étend avec tendresse sur le personnage d’Aléfa plus que sur celui du couple, Aléfa la marginale, l’illuminée, qui s’ouvre au monde toute entière. Elle nous offre là un bijou de prose poétique, véritable hymne à la vie, à l’humanité, à la poésie, à l’art, à la liberté, quel qu’en soit le coût, celui de s’inscrire en marge de la société, vivant de peu, mais vivant.

La cité fertile :  roman / Andrée Chedid. - Paris  : J’ai lu , 2000.- 150 p.  : couv. ill. en coul.  ; 18 cm .- (J’ai lu  ; 3319). – ISBN 2-290-30850-1 (Br.), Prix : 13 F

La musique du hasard de Paul Auster (1990)

21.09
2005

Titre original : The Music of Chance
Traduit de l’américain par Christine Le Boeuf

Jim Nashe parcourt tout le pays au volant de sa belle Saab rouge, îvre de cette liberté d’aller et venir, et de sillonner les routes. Il fend l’espace, immobile dans sa voiture et bien réel, au milieu de ce paysage fugitif qui défile à chaque instant. Il se vide la tête et les neurones.Il avait du mal à joindre les deux bouts, devant rembourser les derniers versements dûs à la pension de retraite de sa mère décédée. Alors sa femme l’a quitté, lui laissant leur petite fille qu’il a déposée chez sa soeur, en attendant. Et puis soudain, cet héritage de son père inconnu qui lui est tombé dessus, ces deux cent mille dollars comme désormais inutiles. Et le voilà qui quitte son boulot, vend sa maison, liquide son passé et prend la route. Seulement, la source avait beau être fabuleuse, au bout de plus de treize mois, elle se tarit et il lui faut songer à arrêter son périple. C’est alors qu’il prend un matin sur le bord de la route Jack Pozzi, un joueur de poker, qui lui parle d’une très bonne partie à faire avec Flower et Stone, deux milliardaires, dans leur château. Jim Nashe risque tout ce qui lui reste dans cette partie, même sa voiture, mais Jack perd. Les deux milliardaires fous leur proposent alors un marché…

Je suis heureuse d’avoir relu ce roman, l’un des premiers que j’ai pu lire de Paul Auster (était-ce Mr Vertigo ou lui ?) et je me suis rendu compte que j’en avais gardé le goût bileux, l’atmosphère oppressante et absurde d’irréalité, mais que j’en avais oublié la chute (tant mieux !). Voilà quelqu’un qui sait raconter des histoires, nous amener tout doucement là ou il veut, avec le souci minutieux du détail. Ce n’est pas tant le style qui nous plaît chez lui mais son art de raconter, d’imaginer ces récits angoissants mais vraisemblables qui poussent leurs personnages à leurs dernières limites, de nous transporter dans une logique absurde mais pourtant si logique et rationnelle en même temps ! A quelles extrémités en arrivent par hasard ses personnages, se retrouvant plus ou moins de fil en aiguille dénués de tout, de leur liberté, par un contrat qui les lie à une sorte de bagne avec un mirador zélé et presque sympathique. L’un de ses meilleurs.

« Le véritable avantage de la richesse, ce n’était pas la possibilité de satisfaire ses désirs, c’était celle de ne plus penser à l’argent. » (p.22)


Quel cruel renversement de situation par la suite, une dette de jeu conditionnant leur vie !

AUSTER, Paul.- La musique du hasard / trad. par Christine Le Boeuf. – La Librairie Générale Française. – 223 p.. – (Le Livre de Poche ; 13832). – ISBN : 2-253-13832-0.

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