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L’été des noyés de John Burnside

10.09
2017
cop. Métailié

cop. Métailié

J’ai un faible pour cet auteur écossais que je suis depuis sa terrible Maison muetteL’été des noyés ne déroge ni à ses personnages fétiches, souvent des adolescents au seuil de la vie, toujours un peu à l’écart des autres, ni à ses thèmes de prédilection, une inquiétante étrangeté jaillissant dans le monde réel pour assassiner des personnages.

Cette fois, l’histoire se déroule dans une île tout au nord de la Norvège, l’île de Kvalaya, là où, comme en Islande, le soleil ne se couche pas l’été. La vie, la lumière, l’atmosphère y sont différentes. Dès l’incipit, la protagoniste, Liv, qui vient d’achever le lycée et doit décider de son avenir, se montre choquée par une vérité qu’elle est seule à connaitre sur les trois noyades de l’été, une vérité tellement difficile à croire qu’elle ne l’a confiée à personne, même pas à sa mère. Cette mère, peintre de renommée internationale, a choisi de vivre retirée sur cette île, isolée avec sa fille et sa petite cour de prétendants qu’elle reçoit une fois par semaine. Liv avait une confiance absolue en sa mère qui ne lui a jamais parlé de son père, jusqu’à la fin de cet été et de ces trois noyades…

Il y a tant de choses qui m’ont chagrinée dans ce dernier roman de John Burnside que j’en oublierai presque la beauté poétique de ses décors, de ses atmosphères et de la fantasmatique Angelika. Mais c’est surtout le sentiment de s’être sentie flouée qui prédomine : dès le début, on sait plus ou moins qui va mourir et comment, qui est la coupable, quelle est la part de surnaturel là-dedans, et on attend d’en savoir plus durant tout le roman, qui n’est qu’une énorme digression, parenthèse explicative dressant le portrait de cette adolescente ayant grandi à l’ombre de sa mère, et semblant bien trop lucide pour son âge. Cela reste néanmoins un bon roman, gâché par un sentiment de publicité mensongère !

Du même auteur, vous pouvez lire :

- La Maison muette

- Une vie nulle part

- Les empreintes du diable

- Un mensonge sur mon père

- Scintillation

Scintillation de John Burnside

11.09
2011

 

cop. Métailié

Dans Une vie nulle part, John Burnside avait déjà suivi les errances d’une jeunesse cherchant à sortir de l’ombre de l’usine où avaient trimé ses parents. Dans ce nouveau roman, il plante l’intrigue dans un décor sans nom, l’Intraville, une ville ayant poussé à la périphérie d’une usine chimique désormais à l’abandon, qui fit vivre un temps ses habitants, avant de les empoisonner insidieusement, tout comme le bois aux arbres noircis. Il y campe un adolescent, Leonard, qui raconte cette histoire avant de l’oublier, on ignore pour quelle raison, une histoire qui commence par la mystérieuse disparition de cinq adolescents. Un mensonge de l’unique policier de la ville, corrompu, car aucun d’entre eux n’a en réalité réussi à fuir ce purgatoire, où tout végète avant de pourrir lentement. Il le sait bien, lui qui a découvert, dans le bois empoissonné, la première victime pendue par quelqu’un ou quelque chose…

John Burnside démarre son roman comme un thriller, mais déjoue ensuite notre horizon d’attente car ce n’est pas une enquête qu’il va ouvrir, avec ses indices, mais il va plutôt prendre son temps, s’intéresser à cette ville gangrénée par l’absence d’espoir à une vie meilleure, à sa jeunesse désoeuvrée et à ce jeune Leonard, qui découvre les plaisirs de la sexualité et les grands auteurs de la littérature, qui aime observer la nature, seul ou aux côtés de son ami l’Homme-Papillon, avant de s’arrêter sur le meurtre absurde d’un innocent. Un dérapage prévisible. Mais qui l’est vraiment, innocent, dans cette ville où l’on ne lit que des histoires d’amour, où l’on préfère regarder la télévision pour se vider la tête que de se soucier des sorties nocturnes de sa progéniture, et où chacun ferme les yeux sur ce qui le dérange ? Les coupables ne manquent pas, mais pas ceux auxquels on s’attend : John Burnside s’en prend à tous ceux qui, dans l’Extraville, ont pu s’enrichir grâce au fruit du travail des habitants de l’Intraville, qui les tue à petits feux, pour ensuite les abandonner, à celui qui a trouvé le moyen de faire fructifier son capital dans la ville, en étouffant la vérité sur les meurtres d’adolescents, à tous ces parents qui ne croient pas en un avenir meilleur pour leurs enfants, à tous ceux qui pour se divertir aiment à faire souffrir les autres, dans une vertigineuse spirale de violence. Seul Leonard déroge à cette inertie, même s’il se prend aussi dans les rets de la folie collective, lui qui pense qu’il faudrait raser cette ville et donner à ses habitants un lopin de terre à cultiver pour tout recommencer. Et lui seul semble connaître la lumière, la scintillation donnée en titre français à ce roman d’une incroyable noirceur poétique, et dont on ne pourra interpréter le sens qu’à la toute fin de son histoire.

« Au bout d’un moment, quand même, je commence à me sentir drôle, comme chaud à l’intérieur, mais pas fiévreux, et tout a l’air changé. Les arbres ont plus de détails, les couleurs sont plus subtiles, tout a l’air plus compliqué et, en même temps, plus cohérent, l’air d’être là pour une bonne raison. Je ne dis pas que c’est conçu intentionnellement je ne suis pas en train de parler de je ne sais quelle connerie du genre n’est-ce pas que la nature est merveilleuse. Mais bon… c’est là, et ça n’a pas besoin d’être expliqué. » (p. 149)

Un roman psychologique d’une noirceur inquiétante, née de l’oscillation entre l’étrange et le thriller.

A ne pas manquer.

 

Prix Lire et Virgin Megastore 2011.


Du même auteur, autres romans chroniqués dans Carnets de SeL :

Un mensonge sur mon père ** (2009)

Les empreintes du diable (2008)

Une vie nulle part *** (2005)

La maison muette *** (2003)

 

BURNSIDE, John. – Scintillation / trad. de l’anglais (Ecosse) par Catherine Richard. – Métailié, 2011. – 282 p.. – EAN 978-2-86424-838-5 : 20 €.

 

Un mensonge sur mon père de John Burnside

10.09
2009

Titre original : A lie about my father (Ecosse, 2006)

 

A un autostoppeur plein de candeur et d’admiration pour son propre père exemplaire, le narrateur raconte un mensonge sur le sien avant de nous faire le récit de sa véritable relation avec un père qui lui-même a passé sa vie à en inventer.
Un homme qui dilapide l’argent nécessaire à leur quotidien pour boire et jouer. Boire surtout. Et frapper. Alors, insensiblement, le brillant élève que fut le narrateur, n’obtenant jamais l’attention de son père ou le moindre compliment, va chercher à se brûler aux feux de la vraie vie, à se confronter aux durs, puis à s’en échapper pour presque atteindre l’orée de la mort en s’essayant aux drogues les plus dures…

 

« Mon père n’avait pas de passé dont il puisse discuter avec les autres. Personne n’évoquait avec lui le bon vieux temps, personne ne sortait d’instantanés d’une vieille boîte pour les faire circuler afin que les gens assemblés voient de quoi il avait l’air, enfant. Tout ce qu’il avait, c’était ses propres histoires, invérifiées. Ses propres récits apocryphes. A l’époque où il devint mon père, il était plus une force de la nature qu’un homme, une entité surgie de nulle part, un être imprévisible, excessif, parfois ridicule, capable de se montrer tout sourire et charmeur un instant, et totalement venimeux aussitôt après. » (p. 37)


Ce quatrième roman de John Burnside est le récit autobiographique d’une relation manquée entre un père et son fils, le premier marqué à vie par son absence d’origine, enfant trouvé s’inventant une famille et une histoire, le second en mal d’amour transformé en haine. Chacun va choisir la descente aux enfers de sa génération, l’un l’alcoolisme, l’autre les drogues. On s’étonne de lire ainsi à coeur ouvert les émotions de John, qui sans aucun pathos se livre totalement, dévoilant une enfance en errance à la Dickens ou à la John Fante. Ajoutez à cela sa plume toujours aussi admirable, et vous obtenez un roman bouleversant… mais auquel je lui ai malgré tout préféré ses précédents :

 

BURNSIDE, John. – Un mensonge sur mon père / trad. de l’anglais (Ecosse) par Catherine Richard. – Métailié, 2009. – 307 p.. – (Bibliothèque écossaise). – ISBN 978-2-86424-671-8 : 20 €.

La maison muette *** de John Burnside (France, 2003)

27.01
2008

copyright Métailié

Titre original : The Dumb House (Ecosse, 1997)

« Nul ne pourrait dire que ce fut un choix de ma part de tuer les jumeaux, pas plus qu’une décision de les mettre au monde. Ces événements s’imposèrent l’un et l’autre comme une nécessité inéluctable, un des fils dont est tissée la toile de ce que l’on pourrait appeler destin, faute de mot plus approprié… un fil que ni moi, ni personne n’aurait pu ôter sans dénaturer le motif entier. » (p. 15) : c’est ainsi que commence l’histoire d’un célibataire, vivant seul depuis la mort de sa mère, dont il reste obsédé, jusqu’à cette histoire qu’elle lui contait, qui va conditionner toute son existence et lui faire tenter cette expérience de savant fou, celle d’enfermer ses nouveaux-nés au sous-sol pour vérifier si le langage est acquis ou inné, au quel cas à quoi il ressemblerait dans sa pureté originelle…

Un vrai cas de conscience que ce roman extraordinaire, atrocement beau, nous laissant tiraillé entre l’envie de reposer là cette histoire violente, n’ayant encore jamais autant poussé de cris d’horreur à la lecture d’une simple livre, et le désir intact et plus fort que jamais de lire jusqu’au bout ce texte poétique pourtant magnifique décrivant la logique implacable d’un savant fou, d’un monstre, pour lequel l’être humain comme l’animal est quantité négligeable, jusqu’à l’inciser vivant, sans aucune hésitation et sans remords, et au contraire en prenant un plaisir évident à disséquer les mécanismes du vivant. C’est pourquoi on se prend à se demander comment évaluer une telle oeuvre, tenté de confondre le texte avec son sujet, gêné de cette violence inouïe, jamais jugée. Et puis, on songe à Psychose d’Alfred Hitchcock, dont Norman Bates semble assez proche de notre narrateur, marqué par sa mère au point de dormir auprès d’elle morte, auVentre de la fée d’Alice Ferney, sujet déroutant et fascinant pour cet autre premier roman d’un auteur qui n’a fait que se confirmer depuis, où une femme quasi-parfaite met au monde un futur nécrophile, à l’impression durable qu’ils ont laissés sur nous et à leurs qualités cinématographiques ou littéraires intrinsèques.

A quoi tient ce sentiment d’horreur ? A la cruauté des actes commis, sans aucun doute, mais surtout c’est la focalisation interne qui nous permet d’appréhender, de façon quasi clinique, la souffrance et la mort d’êtres vivants telles que les perçoit le narrateur, et crée de fait tout à la fois un effet de distanciation bien plus grand que ne le ferait un témoin qui contemplerait les scènes, et le sentiment intolérable d’une complicité subie dans ce désir de savoir inassouvi.

A ce sentiment d’horreur se superposent des réflexions sur le consumérisme, sur le langage, sur l’âme, sur l’émerveillement devant le principe de vie et de mort, sur la beauté de l’anatomie et de la femme, sur la nature de relations avec autrui, sur la connaissance scientifique par laquelle seule le narrateur ne voit et n’opère, passant à côté de l’expression poétique d’un être-au-monde ou un être-pour-autrui qui dépasse la raison, qui touche à l’indicible…

Le tout est écrit dans une prose poétique… Un pur délice !

A vous de juger si vous vous sentez capable de supporter un tel choc, à la fois littéraire et émotionnel. Terrifiant !

BURNSIDE, John. – La Maison muette / trad. de l’anglais (Ecosse) par Catherine Richard. –Métailié, 2008. – 201 p.. – (Suite écossaise). – ISBN 978-2-86424-637-4 : 8 €.
Service de presse
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Les empreintes du diable *** de John Burnside (2008)

21.01
2008

cop. Métailié

Titre original : The Devil’s footprints (Ecosse, 2006)

 

Beau, tout simplement

Une légende circule dans la petite ville écossaise de Coldhaven, celle du diable qui l’aurait jadis traversée par une nuit d’hiver, laissant sur son sillage ses empreintes noires, ni animales ni humaines, dans la neige toute fraîche. Un jour, dans la presse locale, un fait divers horrible attire l’attention de Michael Gardiner, qui a toujours vécu dans cette bourgade de pêcheurs : voyant en son époux violent le diable en personne et en ses fils ses successeurs, Moira Birnie tente de le poignarder avant de mettre le feu à sa voiture en rase campagne, ses deux fils avec elle à l’intérieur, mais après avoir pris soin de déposer son aînée, Hazel. Or Moira était autrefois la petite amie de Michael, lequel commence à voir ressurgir les vieux démons du passé, s’interrogeant sur son éventuelle paternité, et surtout se remémorant un terrible secret, celui, enfant, d’avoir assassiné le frère de cette dernière…

Ces quelques lignes suffisent amplement à imaginer combien l’auteur va jouer avec l’attention du lecteur, ménageant son suspens par des va-et-vient temporels. Mais elles ne parviennent pas à évoquer l’immense solitude ressentie par le héros et par ses parents due à la méchanceté et à la bêtise humaines. On en sort triste et révolté, emporté par l’histoire jusqu’à l’achever, l’élan interrompu par quelques pensées, juste ce qu’il faut pour se poser :

« De temps à autre, je trouvais ma mère occupée à des travaux domestiques, en train de cuisiner ou de repriser, ou bien installée sur le palier, à côté de la grande fenêtre qui donnait sur la pointe, devant son chevalet, et je l’observais, témoin silencieux d’une existence qui était à mes yeux un complet mystère. (…) j’étais fasciné par le visage différent qu’elle avait, endormie. J’en étais à cette époque de la première adolescence où tout semblait n’être que gigantesques découvertes philosophiques : le fait que nous sommes foncièrement seuls, l’idée que nous ne nous voyons jamais tels que les autres nous perçoivent, la découverte des mensonges auxquels nous nous livrons, ceux dont nous nous berçons nous-mêmes, pour tenter en vain de tromper le temps, de tromper la mort. Tout est lié ; tout se tient, dans cette philosophie puérile : nous traversons l’existence dans un rêve, vivant une vie et en imaginant une autre, percevant notre propre voix comme personne d’autre ne la perçoit, nous contemplant de l’intérieur tel que jamais personne d’autre ne nous verra. » (…) (p. 97)

« L’autre caractéristique du mariage, c’est qu’il s’agit d’une histoire. Il faut continuellement y ajouter quelque nouvelle péripétie de temps à autre, une ligne par-ci, un paragraphe par-là, des chapitres entiers que les protagonistes, même s’ils ne restent pas jusqu’à la fin de la pièce, pourront toujours partager, indirectement, pendant qu’ils sont sur scène. » (p. 119)

et repartir de plus belle, tout simplement ravi à la réalité par la musicalité de sa prose.

Du même auteur ses autres romans chroniqués dans Carnets de SeL :
BURNSIDE, John. – Les empreintes du Diable / trad. de l’anglais (Ecosse) par Catherine Richard. – Métailié, 2008. – 217 p.. – (Bibliothèque écossaise). – ISBN 978-2-86424-636-7 : 18 €.


Une vie nulle part de John Burnside

10.09
2005

Année de publication en France : 2005


Prendre racine dans l’histoire d’un personnage déraciné…

Attirés par les promesses des aciéries, les familles d’émigrants sont restés dans les rets de la ville nouvelle de Corby, désormais imprégnés par la poussière de ses cendres, qui ne laisse rien germer, si ce n’est l’espoir illusoire d’un retour au pays. Seuls Francis et Jan semblent différents, trop intelligents, portant un regard presque clairvoyant sur les choses et les êtres qui les entourent, avec ou sans LSD. Pour leurs frère et sœur, pour leurs parents, il est évident qu’ils sont destinés à un avenir plus singulier qu’une banale embauche aux aciéries. Un jour, l’un d’eux meurt sous les coups d’une bande de jeunes, l’autre s’enfuit…

Dès les premières pages, on sent qu’on tient quelque chose, un texte à la fois beau, puissant et profond, une prose sombre et poétique qui va nous sembler trop courte malgré ses quelques quatre cent pages. Mais, pour commencer, John Burnside va jouer à un petit jeu frustrant : il va d’abord emprunter à chaque chapitre le point de vue de chacun des membres des deux familles de Francis et Jan, leur accordant autant de poids et d’épaisseur que ceux qui apparaîtront plus tard comme les figures emblématiques du récit. Si bien qu’on aurait bien aimé connaître le passé d’Alma, la mère d’origine lettone de Jan, que l’on s’attache à Alina, sa sœur, dont est secrètement amoureux Derek, le frère de Francis, rêvant de vivre de sa musique… personnages que l’on ne retrouvera que vingt ans plus tard, car John Burnside choisit ensuite de ne plus s’intéresser qu’au parcours initiatique de Francis, errant seul de ville en ville, sans jamais ressentir la nécessité de s’installer nulle part. Le coup de cœur inattendu de la rentrée, un roman magnifique, à la noirceur pénétrante, à ne pas manquer.

BURNSIDE, John. – Une vie nulle part / traduit de l’anglais par Catherine Richard. – Métailié, 2005. – 427 p.. – (Bibliothèque écossaise). – ISBN : 2-86424-551-5 : 22 €.

Ses autres romans :
2003 La Maison muette ***

2008 Les empreintes du diable ***

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