- Vous écrivez à la main ou à l’ordinateur ?
<« Quand j’étais journaliste, je pissais de la copie, comme on dit dans le métier, c’est-à-dire que je tapais directement à l’ordinateur des informations prémâchées que m’envoyait l’agence France Presse. Cela n’avait aucun intérêt mais me permettait de manger. Et quand je me suis mis à écrire des romans, j’ai une technique bien à moi : le matin, j’écris à la main. Ensuite, je ne fais rien au moins jusqu’à 16 h. Et encore, le matin c’est juste 10-12h. Après, l’après – midi, je tape à l’ordinateur ce que j’ai écrit le matin. Puis, plus rien. J’ai mes autres activités. Et le lendemain matin, je me lève, je relis ce que j’ai tapé à l’ordinateur et imprimé, je corrige et je continue à la main. Cela me permet à la fois de corriger un premier jet que j’ai écrit la veille et en même temps de me remettre complètement dans l’ambiance.«
- Comment vous vous organisez pour écrire? Par le début, par la fin ?
« Non, je sais exactement quelle est la première scène parce que c’est là que je donne 30 pages de possibilités, c’est-à-dire que si au bout de 30 pages je m’ennuie davantage qu’à la première, je laisse le livre, c’est qu’il n’est pas pour moi. Mais je laisse toujours une chance à un livre. Quand je dis trente pages pas vraiment, il y a 50 000 livres qui sortent chaque année, vous imaginez. Donc j’essaie d’attraper le lecteur dès le début, je sais ce qui va se passer à la fin, parce qu’il faut que la fin soit digne de ce nom. Et, entre les deux, je suis un escroc parce que ce n’est pas moi qui écris, ce sont les personnages qui me racontent leur histoire. Et c’est vraiment l’impression que j’ai quand vous mettez en scène quelqu’un comme Joao Domar, qui tue mais pour la bonne cause et devient coupable à partir du moment où il décide de s’enrichir sans avoir de tabou, mais jusqu’au moment où il tue accidentellement ce fils de mafieux et où il va au Brésil, c’est plutôt une victime, parce qu’il peut tout à coup trop rêver. Car avant il était aconier sur le port de Marseille, c’est-à-dire un col bleu, il avait sa petite vie bien réglée, n’ayant pas de femme, il allait voir les prostituées de temps en temps, il mangeait à sa faim, donc c’était le bonheur au début des années 20. Et d’un coup, il est obligé de fuir. Il arrive au Brésil. Il sait lire, écrire, compter. Il parle italien, portugais et français. Il rencontre un oncle providentiel, lequel va l’inciter à rêver plus haut que ce dont Joao avait l’habitude, c’est-à-dire vivre dans la misère des ports. Et là, il lui dit « Tu vas être docteur. » Et ça va lui échauffer l’esprit, et quand le projet du Christ vacille, il se dit que tous les moyens sont bons pour réaliser les rêves qu’on l’a incité à avoir. Et j’ai eu beaucoup de mal (350 pages étaient écrites) à faire remonter la pente à ce salaud. Finalement, il n’y a que par l’intermédiaire de la magie qu’il remonte la pente. On a tous le droit de commettre des erreurs. Au final, je le trouve attachant ce gars. »
- Comment faites-vous pour intégrer dans votre texte des procédés littéraires ?
« Moi, je n’insère rien. J’ai lu énormément d’auteurs et j’ai aimé quelques-uns de ces auteurs, de moins en moins dans la littérature contemporaine française, mais davantage de Rabelais jusqu’aux années 1950. Et après, je crois que c’est un travail inconscient. Certains se disent « Là, ja vais faire une mise en abime, etc…. » Moi, non, j’essaie de raconter une histoire. Un intellectuel, c’est simple, il comprend le monde avec sa tête et ensuite il le ressent par les tripes. Moi, je suis l’inverse, c’est-à-dire que je reçois le monde par les tripes et après je peux éventuellement l’intellectualiser ou le conceptualiser par la tête. Pour moi, c’est une différence fondamentale. Donc, en fait, toutes ces gifles d’émotions que j’ai reçues en lisant Boris Vian, Blaise Cendrars, Prévert, et puis les étrangers Italo Calvino, Marquez, Georges Amade… je les ai lus comme on boit des potions un peu fortes, un peu enivrantes, et ça reste à un moment donné en soi, et je ne fais pas de copie. Je connais des auteurs qui lisent des romans de fin 19ème et début 20ème, qui soulignent des passages et les recopient dans leurs propres livres. Pour moi, c’est l’antithèse de la littérature.
La littérature, c’est donner des visions du monde qu’on a propres en utilisant notre propre style.
Et pour moi, la considération sera atteinte quand un jour on fera une lecture aveugle de quelques lignes que j’ai écrites sans savoir que c’est moi qui les ai écrites, et que les gens puissent dire : »Ah ça, c’est du Delfino ! C’est la musique de Delfino. » C’est-à-dire que l’histoire en elle-même, je pense qu’on peut en prendre une vingtaine, c’est toujours la même, cela se passe seulement dans des lieux et des époques différents. Entre Roméo et Juliette et le Titanic il n’y a pas de différence. Il y a toujours un homme et une femme qui s’aiment mais que la société sépare. C’est toujours pareil, ce qui est intéressant, c’est de savoir comment c’est raconté, sur quels détails on s’arrête. »
- Est-ce que vous vivez de votre plume ?
« Eh oui ! Si, il y a 8 ans, on m’avait dit que j’aurai publié une douzaine de romans, que je serai traduit en Espagne, en Italie, au Brésil, en Corée du Sud… »
- Pourquoi avez-vous décidé de faire tourner l’histoire autour du Christ ? Etes-vous croyant ?
« Je vais vous répondre très sincèrement : je crois. Je ne crois pas en Dieu, Mahomet… car la première cause de guerre dans le monde, après l’enrichissement personnel, c’est le représentation des dieux sur Terre, c’est vouloir expliquer aux autres, que ce n’est pas bon de manger du porc, de jurer le nom de Dieu. Mais, je ne suis pas assez matérialiste et peut-être un peu trop poète, je crois qu’il y a quelque chose, qu’on ne vient pas là uniquement pour souffrir. Je me dis parfois qu’on a plusieurs vies. Je parle dans Corcovado de Candomblé et de Macumba, ce que bien entendu la religion catholique refuse parce que ce sont des sorcelleries, et j’ai vu, dans la procession pour Iemanjà (déesse de la mer, protectrice des pêcheurs), toute une nuit les mères des saints, les pères des saints, en train de lisser une bande de 1 m de large et de 10 m de long de sable blanc et les fillettes, préparées, défilaient sur le sable blanc et n’étaient acceptées que celles qui ne laissaient pas de trace. Pour moi ça, c’est de la lévitation. »
D’où vous vient votre passion pour le Brésil ?
« C’est un mot très compliqué qui fait peur mais cela ne fait pas mal, c’est métempsychose. La métempsychose, c’est une théorie qui dit qu’on a plusieurs vies et que lorsqu’on meurt, on se réincarne. Et quand je me suis retrouvé au Brésil pour la première fois, j’ai eu l’impression de rentrer chez moi, alors que je n’y avais jamais mis les pieds. Et au bout d’une semaine je parlais le brésilien couramment alors que je n’en parlais pas un mot trois jours avant, et trois jours encore plus tard, je parlais l’argot des bidonvilles. C’est un sentiment curieux, étrange. Et d’ailleurs une libraire que je connaissais très bien, quand j’étais jeune, férue d’ésotérisme, avait fait une recherche sur mes vies précédentes et m’avait annoncé que j’avais été sorcier dans une tribu d’Amazonie. Cela m’avait fait mourir de rire. Mais quand je suis allé au Brésil pour la première fois, et que j’ai eu ce sentiment, je me suis dit qu’on ne peut pas tout expliquer. Moi, j’aime tout ce qui fait rêver. Même si ce n’est pas vrai. La réalité et la vérité sont des valeurs extrêmement relatives. »
- Quel est le livre qui a eu le plus de succès?
« En roman, incontestablement, c’est Corcovado. Actuellement, dans l’édition on arrive à des aberrations comme tirer un roman à 800 exemplaires. Un éditeur, quand il vend 1200 exemplaires, il est déjà très content. A partir de 8000 exemplaires, on estime que c’est le succès. Mais, ce qui m’intéresse ce n’est pas tant combien j’en ai vendus, mais ce que je vais écrire après cela. »
- Pourquoi êtes vous interdit de séjour aux Etats Unis ?
« Je vous conseille d’emprunter Dans l’ombre du Condor au CDI et de lire aussi le troisième parce que je livre des affaires, documents et témoignages à l’appui, sur la CIA et les multinationales. Je ne fais pas cela pour faire de la provocation mais parce que j’ai les sources qui me permettent de dénoncer ces gens qui ont fait basculer les démocraties de l’Amérique Latine dans la dictature, simplement pour pouvoir piller leurs richesses. En commençant par désinformer les gens, par leur faire peur. Soyez vigilants. Comparez, recoupez les informations données par les médias. Vérifiez. »
- Lequel préférez-vous ?
« Je serais incapable de choisir entre tous mes neveux et nièces (je n’ai pas d’enfant), ne me demandez donc pas de choisir entre mes différents romans. En revanche, j’ai été nègre aussi. J’ai écrit pour des gens peu intéressants. Mes deux gros succès de librairie, ça a été les biographies de Rocco Siffredi et de Clara Morgane. J’ai accepté car à l’époque je ne vivais pas de mes droits d’auteurs. En 3 ans, 75 000 exemplaires se sont vendus du Kama-Sutra, alors que pour les 5 ans et demi de travail consacrés à la trilogie, on n’a pas dépassé 50 000 exemplaires. Donc c’était purement alimentaire, comme le faisait Balzac, payé à la ligne dans les journaux. »
-Relisez-vous vos livres ?
« Non, jamais, même en public dans les salons, j’aurais trop peur de découvrir une faute de frappe, comme une verrue sur la femme qu’on aime. »
« La vraie littérature, c’est fait par des hommes et des femmes qui vivent comme vous et moi. Il faut les respecter pour ce qu’ils font mais pas obligatoirement pour ce qu’ils sont. »