Mots-clefs ‘grève’

Mineur de fond par Augustin Viseux (1991)

25.10
2010

Fosses de Lens : soixante ans de combat et de solidarité

Briquet (1908)

Né en 1909, fils et petit-fils de mineurs, Augustin Viseux, faisait partie de ces gueules noires du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Dès l’âge de quinze ans, il lui a fallu travailler à la mine : d’abord galibot, il pousse la berline de charbon, puis il passe par presque tous les métiers de la mine. Après avoir étudié avec acharnement à l’école des mines de Douai, il devient porion, puis ingénieur divisionnaire, et finit ingénieur en chef.

Ce récit de 440 pages, avec annexes, illustrations, croquis… illustre parfaitement ce que pouvait être le dur travail de mineur dans la première moitié du siècle. C’est d’ailleurs l’un de mes grands-pères qui me l’a prêté, mineur durant vingt ans dans le Nord, l’autre ayant succombé depuis à la silicose, cette maladie du mineur comme on l’appelait. Grâce à ce témoignage, m’a-t-il dit, non seulement il se replongeait dans son passé, mais il comprenait mieux certains modes de fonctionnement explicités par cet ancien ingénieur. Pour les nouvelles générations, cette autobiographie traduit en mots simples le travail et la conscience d’un mineur qui a toujours oeuvré pour l’amélioration des conditions de travail et de rendement dans les exploitations minières.

Forcément subjectif, ce témoignage, ne l’oublions pas, est aussi celui d’un supérieur hiérarchique, qui n’adhère pas toujours aux mouvements de grève de ses subalternes… C’est là tout ce que l’on peut reprocher à cet admirable portrait d’une profession qui a beaucoup souffert. Deux romans évoquent aussi le métier de mineur : Germinal, bien sûr, pour la période du 19e siècle, et La poussière des corons pour le début du 20e siècle.

Une visite au musée de Lewarde ne pourra que compléter le tableau. D’anciens mineurs en assurent encore la visite guidée. Intérieur de coron, salle des pendus, lampisterie, galerie, vous visualiserez d’autant mieux la vie que menaient autrefois ces hommes courageux et galvanisés par leur sens de la solidarité.

Plon, 1991. – (Terre humaine).
Emprunté à mon grand-père.

Aragon au pays des mines * de Lucien Wasselin (2007)

12.03
2008

Suivi de 18 articles retrouvés d’Aragon
avec la collaboration de Marie Léger

Rien ne semblait prédestiner Louis Aragon, issu d’un milieu aisé, à devenir communiste en épousant les revendications du monde ouvrier et des mineurs, à la suite de la première guerre mondiale. De la même manière, alors qu’il ne traversa le pays des Mines qu’au cours de la seconde, on observe, lors d’une lecture très attentive de ses textes par Lucien Wasselin, des références fréquentes à la vie quotidienne et aux grèves de mineurs.

Suivent 18 chroniques d’Aragon, méconnues, parues en 1950 dans La Tribune des mineurs, qui nous valent quelques belles pages de vraie critique littéraire, entière et engagée, et même quelques conseils à un nouvel auteur prometteur.

WASSELIN, Lucien. – Aragon au pays des mines, suivi de 18 articles retrouvés d’Aragon / avec la coll. de Marie Léger. – Le Temps des Cerises, 2007. – 241 p.. – ISBN 978-2-841-09662-6 : 18 €.

Mai 1968 : la révolte en images ** de Laurent Chollet

17.09
2005

Mai 1968 : il y a un peu plus de quarante ans maintenant, ce mois de mai-là entra dans l’Histoire comme l’une des plus grandes grèves ayant existé en France. De nos jours, il véhicule autant de fantasmes que de préjugés. Qu’en était-il exactement ? Dans quel contexte politique et social a-t-il surgi ? Qui furent les situationnistes ? Qu’écoutait-on alors ? Que lisait-on ? Qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres ? Autant de réponses données dans cet album abondamment illustré de dessins, d’affiches et de photographies de l’époque, souvent inédites.

Un excellent documentaire, brossant le portrait complet de la France d’alors, jusqu’à rappeler la grève des mineurs en 1963, la guerre d’Algérie terminée, évoquant la culture underground d’alors (SF, BD, Comics, jazz, rock, pop music) comme la culture de masse. Il met aussi l’accent sur les dissensions entre les différents partis d’extrême gauche, les opinions des détracteurs de mai 68 (L’Humanité), ou encore la censure dans les médias. Une authentique plongée dans ce mois de mai effervescent.

CHOLLET, Laurent. – Mai 1968 : la révolte en images / préface de Michel Le Bris. – Hors Collection, 2007. – 112 p. : photogr. en coul.. – ISBN 978-2-258-07314-2 : 21 euros.

Germinal d’Emile Zola

13.09
2005

1866, dans le Nord. Etienne Lantier, embauché comme herscheur au Voreux, découvre la condition des mineurs s’épuisant au travail, y laissant souvent leur peau, tout cela pour ramener un maigre salaire qui suffit à peine à nourrir toute leur famille. Or, prétextant de boisages bâclés, la Compagnie entend changer ses tarifs, au détriment des mineurs : la colère gronde, et Etienne se retrouve bientôt à la tête de la grève…

Le lendemain de l’écriture, le 2 avril 1884, de sa première page de Germinal, Emile Zola écrivait à un ami peintre, Antoine Guillemet, qu’il s’était « remis au travail, à son grand coquin de roman qui a pour cadre une mine de houille et pour sujet central une grève. »

Car Emile Zola se proposait d’étudier la grève comme la forme extrême des luttes ouvrières, et cela chez les mineurs, là où le travail est le plus pénible et le plus dangereux. Pour ce faire, tout son roman est ici orchestré pour mettre en évidence une criante inégalité sociale, la richesse de quelques-uns, oisifs, face à la misère de tous les autres, travailleurs. Par conséquent, il dénonce l’exploitation d’une classe travaillant et ne possédant rien par l’autre, possédant tout et ne travaillant pas.
En revanche, il insiste aussi sur le caractère versatile et dangereux de la foule, capable de tout et du pire, bercée ici par un idéal politique, que bientôt ne pourra plus canaliser son orateur, Etienne, qui se voyait déjà en héros, gravissant les marches de l’ascenseur politique jusqu’à Paris, et ne valant en cela pas mieux, selon Souvarine l’anarchiste, que les bourgeois.

A la relecture de ce roman, je me suis aperçue me rappeler, depuis le collège, de ses trois temps cruciaux, l’incipit, l’acmé qui, pour moi, constitue la vengeance des femmes sur le commerçant profiteur de leur misère, et la chute, avec cette lente agonie au milieu des cadavres, dans l’eau et le noir, des personnages principaux.
Il est clair que c’est certainement, comme dans mon souvenir, le roman  le plus ouvertement militant de toute la fresque des Rougon-Macquart. Porté par un souffle épique, il soutient le combat de ces ventres affamés, de ceux qui finissent par se révolter parce qu’ils ont trop faim, de ceux qui crient « du pain ! » alors que chez eux, bien au chaud, les bourgeois festoient, comme lors de la chute de la royauté, voulant faire tomber bas le capitalisme qui l’a remplacée. AussiGerminal n’a-t-il hélas rien perdu de sa force ni de son actualité : avec une nette diminution du pouvoir d’achat conjuguée à la suppression des classes moyennes, nous voilà revenus au clivage riches et pauvres ; seulement, la grève n’est même plus comprise par l’autre moitié des Français, PDG, actionnaires, hommes politiques comme médias ayant réussi à diviser pour régner.

Chef-d’oeuvre.

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L’établi ** à *** de Robert Linhardt (1978)

12.09
2005

Au lendemain des événements de mai 1968, un jeune militant intellectuel se fait embaucher chez Citroën pour s’y « établir » le temps d’observer de l’intérieur les conditions de travail des salariés, de s’y familiariser, pour pouvoir ensuite les dénoncer et les inciter à protester collectivement. Un beau jour, alors qu’on leur annonce qu’ils devront travailler gratuitement 3/4 heure de plus le soir, pour récupérer les heures perdues en mai 1968, le narrateur organise des réunions. Une grève est décidée. La première semaine, elle compte 400 grévistes.

Sociologue français, Robert Linhardt rejoint fin 1968 la Gauche prolétairienne, qui vient d’être fondée par Benny Lévy. Il décide alors de devenir un « établi », c’es-à-dire de pratiquer ce que l’on appelle une observation participante. En quoi cela consiste-t-il ? Pour Jean Peneff, « on appelle observation participante en usine le fait, pour un sociologue, de participer, en tant que salarié, à la production dans l’entreprise pour en tirer l’information et la documentation la plus proche des faits et du travail concret. Cette participation se déroule généralement sur une longue période (trois mois à un an (… ) de manière à s’intégrer dans le collectif de travail, à se familiariser avec la forme spécifique de l’activité et à contrôler sur un grand nombre de cas les analyses dégagées » (Jean Peneff, Les Débuts de l’observation participante ou les premiers sociologues en usine in Sociologie du Travail, 38, n° 1/96, p. 26.)

« Le premier jour d’usine est terrifiant pour tout le monde, beaucoup m’en parleront ensuite, souvent avec angoisse. Quel esprit, quel corps peut accepter sans un mouvement de révolte de s’asservir à ce rythme anéantissant, contre nature, de la chaîne ? L’insulte et l’usure de la chaîne, tous l’éprouvent avec violence, l’ouvrier et le paysan, l’intellectuel et le manuel, l’immigré et le Français. Et il n’est pas rare de voir un nouvel embauché prendre son compte le soir même du premier jour, affolé par le bruit, les éclairs, le monstrueux étirement du temps, la dureté du travail indéfiniment répété, l’autoritarisme des chefs et la sécheresse des ordres, la morne atmosphère de prison qui glace l’atelier. » (p. 25)

C’est donc en tant qu’« établi », ayant pu travailler pendant plus d’un an comme ouvrier spécialisé dans l’usine Citroën de la porte de Choisy à Paris, que Robert Linhardt va pouvoir tirer de cette expérience ce roman, paru presque dix ans après, en 1978, auxéditions de Minuit.

En l’occurence, l’auteur nous livre une observation complète des différents rouages d’une usine automobile. Son immersion, dès les premières pages, dans cet univers bruyant, mécanique, implacable et raciste, donne le ton à ce roman social, qui va dénoncer le caractère inhumain du travail à la chaîne, et la peur du licenciement qui gangrène toute tentative de protestation. A travers cette description fine et lucide du travail à l’usine, Robert Linhardt nous offre toute une galerie de portraits de personnages, occupant un certain nombre de postes, du directeur au manoeuvre, du gros Bineau en visite éclair en costume  trois-pièces à Ali le Marocain, gréviste isolé, relégué au nettoyage des toilettes. Il y a aussi Gravier, le contremaître, Mouloud, plus habile que le narrateur mais simple manoeuvre, soudeur à l’étain, Georges et ses deux autres collègues Yougoslaves, Christian, Sadok, Primo. Au final, ce travail à l’usine ressemble davantage à une immersion dans un univers carcéral, avec les cheffaillons qui font le travail de matons, et les employés indésirables qu’on mute ou qu’on transfère à un poste exécrable comme si on les mettait au « trou ». Cette analyse n’est pas pour autant manichéenne, l’auteur faisant bien ressortir, au moment de la grève, qu’au sein des manoeuvres, qu’au sein des salariés, il n’y a jamais de réelle entente : il y a les mouchards, le syndicat jaune, et puis chacun pense à soi avant de penser aux autres, ayant peur de perdre son travail.

Difficile de trouver meilleur reflet du travail à l’usine dans les années 60 et 70 que ce roman, dont je conseille vivement la lecture, édifiante, et dont on ne manque pas de sortir révolté.

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