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Le chat de Georges Simenon

25.12
2011

« Mamie, je t’aime ! » Que de vieilles dames entendent-elles cette exclamation aux fêtes de fin d’année, songeant à part elles que dans les yeux de leurs petits-enfants brillent moins leur amour que la perspective de beaux cadeaux de Noël. Une fête devenue davantage une aubaine pour la société de consommation qu’une manifestation d’affection. Au moins la famille est-elle réunie… Mais quid de cette fête quand on s’y retrouve seul, sans famille pour nous accueillir mais aussi sans amis, ces derniers étant invités dans leur propre famille ? N’est-ce pas alors le jour le plus triste de l’année ?

C’est en croyant remédier à cette solitude qu’Emile et Marguerite vont choisir de faire ménage ensemble…

cop. Livre de Poche

Tous deux veufs, Marguerite Doise et Emile Bouin se sont mariés par peur de finir leurs vieux jours seuls. Depuis des années, la maison seule émet des bruits, trahissant leurs déplacements, sans qu’ils aient besoin de s’observer. Car pas un mot ne sort plus de leur bouche depuis bien longtemps. Les mots, c’est sur le papier qu’ils se les jettent à la figure, comme pour cracher leur venin : « Le chat » écrit Emile, « le perroquet » rétorque Marguerite….

Ainsi Georges Simenon entame son récit, in medias des, avant d’introduire le passé de l’un, prolo, fils de maçon, aux manières rustres, ayant toujours su profiter de la vie avec son ex-femme, et de l’autre, bourgeoise rentière, nostalgique d’un rang social révolu car ruinée, et d’un mari premier violon à l’opéra. Et puis arrive l’élément perturbateur qui à jamais va les faire sombrer dans le mutisme… La mort suspecte du chat, vengée sous le coup de la colère. Et le jeu commence, ou plutôt la guerre du mutisme.

« Il riait à son tour, en dedans. Ils avaient beau être seuls dans la maison silencieuse et s’être condamnés tous les deux au mutisme, ils ne s’y en échangeaient pas moins des réparties féroces.

- Attends un peu… Je vais te dégoûter de ton dîner…

Il sortait le calepin de sa poche, écrivait trois mots, détachait la bande de papier qu’il lançait avec adresse dans l’assiette de sa femme.

Sans s’étonner, elle dépliait le billet.

« Attention au beurre. »

C’était plus fort qu’elle : elle se raidissait. Elle n’avait jamais pu s’habituer complètement à cette plaisanterie-là. Elle savait que le beurre n’était pas empoisonné, puisqu’elle le gardait sous clef dans son buffet à elle, quitte à ce qu’il devienne mou, parfois coulant. » (p. 24)

Lu dans le cadre du Challenge Littérature belge

 

La suite, bien sûr, je me garderai bien de vous la dévoiler, si vous n’avez pas non plus vu son adaptation cinématographique, car il y a une suite, forcément, une fois racontées les circonstances qui les ont amenés à cette extrémité : vont-ils rester ensemble ? Pourquoi Emile ne part-il pas ? Vont-ils finir par s’attacher l’un à l’autre ? Qui des deux mourra le premier ?

Il semblerait que Georges Simenon, pour écrire cette histoire publiée en 1967, se soit largement inspiré de ses parents retraités pour décrire l’atmosphère du Chat. Ici le drame, pour ce maître du polar, c’est le quotidien entre deux personnages issus d’horizons différents qui s’acharnent à vouloir rester ensemble, s’étant peu à peu habitués l’un à l’autre, comme s’accrochant à un récif pour ne pas être emporté par la mort, alors qu’ils font vivre l’un à l’autre un enfer. Une histoire qui pourrait paraître invraisemblable si on n’avait pas vu de nos propres yeux, bien souvent, un couple d’une ancienne génération tenir par la seule force de l’habitude et du qu’en dira-t-on, voire à qui l’idée d’une séparation ne traverse même pas l’esprit.

Ici l’histoire est très habilement amenée, presque en huis clos avec deux magnifiques portraits de personnages : une chronique de la vie ordinaire où les silences en disent plus que les mots.

Un petit bijou d’introspection de l’âme humaine.

 

J'ai beaucoup aimé

Le chat /Georges Simenon. - Paris  : Librairie générale française , 2007.- 190 p.  : couv. ill.  ; 18 cm .- (Le livre de poche  ; 14321). - ISBN 978-2-253-14321-5 : 5 €.