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La pluie d’été de Marguerite Duras

21.06
2020

IMG_20200621_155857C’est une famille nombreuse qui vit d’allocations. Le père, un bel Italien, et la mère, venue de l’est, se sont rencontrés à Vitry sur Seine alors qu’ils y travaillaient, puis sept enfants sont arrivés, et ils se sont arrêtés pour les regarder grandir et s’aimer. Les deux ainés, Ernesto et Jeanne, s’occupent de leurs brothers et sisters. Un jour les parents se sentent obligés de les mettre à l’école, comme les autres. Mais Ernesto revient quelques jours après en affirmant « Je ne retournerai pas à l’école parce qu’à l’école on m’apprend des choses que je ne sais pas. » Et personne ne comprend vraiment, mais tout le monde comprend qu’Ernesto est différent, surdoué, qu’il peut tout comprendre de lui-même sans suivre d’enseignement, et qu’entre Jeanne et lui, un amour grandit…

La pluie d’été, c’est d’abord une langue, une façon de parler de cette famille qui n’a pas appris à lire ni à écrire, qui désarçonne puis entre en contagion avec la langue de tous ceux qui l’approchent. C’est aussi une existence marginale, hors de Dieu, du travail, de l’école, de tout ce qui structure habituellement la société. C’est un jour sans fin au cours duquel la mère, d’une beauté saisissante qu’elle oublie, épluche les patates, et les enfants lisent dans une remise des livres trouvés, un livre brûlé déniché dans une cave, qu’Ernesto lit à tous sans savoir lire, un livre qui raconte l’histoire d’un roi, des vanités et de la poussière du vent. C’est un soir par mois la virée des parents avec l’argent pour boire dans les bars. C’est l’avènement de l’enfant surdoué autodidacte, devant la sagesse duquel les autres s’inclinent. C’est accessoirement une histoire d’inceste, mais précisément pour raconter l’amour fort qui unit Ernesto à sa sœur Jeanne, qui ressemble tant à sa mère, et qui n’est qu’un passage vers l’âge adulte. C’est une lecture perturbante, jouant sur l’indicible, plus peut-être que d’habitude…

 

Les solidarités mystérieuses de Pascal Quignard

11.12
2011

 

cop. Gallimard

A l’occasion de funérailles, Claire retourne dans sa ville natale, en Normandie, y croise son ancien professeur de piano et son premier amour, devenu maire, et finit par tout quitter Versailles, son métier de traductrice, pour s’installer dans sa ferme abandonnée, de la même manière qu’elle a quitté il y a bien des années de cela son mari et ses deux filles, à peine nées. Du haut de la falaise, elle s’unit aux éléments, à cette terre, à cette mer, et aussi à Simon, celui qu’elle a toujours eu dans la peau… jusqu’au jour où l’une de ses amies appelle son frère, Paul, pour lui porter secours…

« J’étais émerveillé devant la solidité du lien qui les unissait. Rien de ce que l’un ou l’autre pouvait faire n’était capable d’altérer l’affection qu’ils se portaient. Rien de ce qu’ils avaient pu connaître au cours de leurs métiers, mariages, démissions, divorces, ni le frère ni la soeur ne voulaient l’examiner. Et surtout, en aucun cas ils n’auraient voulu le juger. Ce n’était pas de l’amour, le sentiment qui régnait entre eux deux. Ce n’était pas non plus une espèce de pardon automatique. C’était une solidarité mystérieuse. » (p. 185)

En fait de solidarités mystérieuses, Jean, le compagnon prêtre de Paul, évoque ici les liens forts qui unissent un frère et une soeur, à ne pas confondre avec l’amour passionnel qui unit et désunit Claire et Simon, ou l’amour qu’essaient de retrouver l’une pour l’autre une fille, Juliette, pour sa mère. Ni avec un autre, celui de l’attachement viscéral à un territoire, à une terre qui a vu grandir Claire.

Comme dans Villa Amalia, Pascal Quignard évoque une relation homosexuelle, sans s’appesantir dessus, mais surtout, il reprend le thème de la fuite. Car ici aussi, l’idée de fuite est omniprésente et traitée de manière positive : l’héroïne ne fuit pas une situation, mais elle tourne la page là encore, elle va de l’avant, elle cherche dans la fuite un moyen de se retrouver. Et, pour cela, une fois encore, elle s’accomplit dans la solitude, la fusion avec les éléments naturels. Sauf qu’ici elle tend à s’oublier dans un amour passionnel. C’est donc un beau roman, oui, par les thèmes qu’il aborde, à la langue sobre et simple, mais peut-être aurait-il fallu élaguer davantage pour qu’il monte en puissance, certains longueurs se faisant ressentir, surtout vers la fin.

Vous pouvez l’écouter en parler ici :


Interview de Pascal Quignard by carnets de sel

ou ici :

Bien aimé

Les solidarités mystérieuses / Pascal Quignard
[Paris]  : Gallimard , 2011.- 251 p. ; 21 cm
ISBN 978-2-07-078479-0 : 18,50 €