Un matin où Daniel Sempere se réveille la peur au ventre, persuadé d’avoir oublié le visage de sa défunte mère, son père, libraire de son métier, le fait pénétrer dans un lieu secret et mystérieux en plein Barcelone : Le Cimetière des livres oubliés. Là, dans un dédale d’étagères couvertes de livres en attente d’un lecteur qui les ressusciterait, son père l’invite à choisir un livre qu’il adoptera et chérira pour toujours. Ce matin-là, du haut de sa dizaine d’années, Daniel jette son dévolu sur L’Ombre du vent, un roman écrit par un dénommé Julian Cartax.
Curieusement, lorsque Daniel commence à l’interroger sur son auteur, l’ami de son père, Barcelo, se montre particulièrement intéressé par ce roman dont personne n’a jamais entendu parler et lui apprend que sa nièce, Clara, adolescente aveugle, s’est elle aussi prise de passion pour cet écrivain. Daniel commence alors à multiplier ses visites chez la fascinante Clara, des années durant, jusqu’au soir de ses seize ans où il la retrouve dans les bras d’un crétin méprisable, et tombe la même nuit nez à nez avec un homme sans visage, sentant la mort et le brûlé : ce dernier lui réclame le roman, se faisant appeler Lain Coubert,… comme le personnage de L’Ombre du vent qui n’est autre que le Diable…
Ce ne sont là que les trente premières pages de ce roman qui en fait 620, mais dès ces premières pages, l’auteur a su pleinement développer l’horizon d’attente de son lecteur, qui, forcément ne peut qu’être séduit : une relation intime se noue entre les livres et leur lecteur, puis entre ce dernier et l’écrivain dont il découvre peu à peu la tragique histoire, un stylo plume passe de main en main, instrument de l’écrivain, un récit-gigogne prend forme, multipliant intrigues et personnages secondaires, un soupçon de fantastique naît avec l’irruption d’un personnage angoissant puis l’intrusion dans une maison hantée,… c’est enfin un beau roman d’apprentissage, suivant l’itinéraire de cet adolescent qui après l’amitié découvre l’Amour, la tendresse d’un père, poursuivant une enquête bien trop dangereuse et pleine de non-dits, de secrets enfouis, et de haines tenaces sur fond de guerre civile espagnole,…
Et puis, cette plume, bien sûr, ce style qui nous fait songer dès les premiers chapitres à des exemples d’incipit ou de portraits à analyser en classe, à tel point d’ailleurs que ce roman m’a à vrai dire semblé au début (avant de me laisser gagner par l’intrigue) trop parfait, trop adapté à un public-cible d’amoureux des livres et de la lecture que sont les bibliothécaires, les profs de lettres, les documentalistes, et tous les bibliovores. C’est d’ailleurs un best-seller qui semble, lui aussi, passer de main en main, de bouche à oreille, recommandé par tous ceux qui l’ont lu, à commencer par celle qui me l’a prêté, puis ma collègue qui l’a regardée d’un air entendu ; et enfin, en arrivant chez mes amis, l’un d’eux s’exclama en me voyant le lire que tout récemment son père, instituteur, lui en avait aussi fait cadeau en lui affirmant que ce roman l’avait marqué… Je poursuis à mon tour la chaîne en l’évoquant sur ce blog et en en conseillant à tous la lecture, en s’armant de temps, de son regard d’amoureux des livres et de son coeur d’adolescent rêveur.
publié puis traduit du catalan en 2004
L’ombre du vent [Texte imprimé] / Carlos Ruiz Zafón ; traduit de l’espagnol par François Maspero. – Éd. collector. – Paris : Librairie générale française, impr. 2007 (45-Malesherbes : Maury impr.). – 2 vol. (636, 31 p.) : couv. ill. en coul. ; 18 cm. – (Le livre de poche ; 30912).
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