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Vers l’aube de Dominic Cooper

18.10
2009

« Comment pouvait-il quitter tout cela ? Chaque pierre, chaque coin de rue, chaque détail éveillait un souvenir dans son esprit embrouillé. Ces souvenirs étaient pour la plupart mauvais, porteurs d’instants de tristesse et de douleur au fil des ans. Même les quelques bons moments, remontant aux premiers mois qu’il avait connus avec Margaret, même ces rares souvenirs de bonheur étaient diminués par ce qu’ils étaient devenus. Oui, Acheninver l’avait vu traverser des années noires. Et pourtant, c’était ce qu’il connaissait, ce qui constituait sa vie. Aussi terrible que cela avait pu être, comment pouvait-il, lui, un homme de plus de cinquante ans, mettre en pièces tout ce qui s’était passé avant et se lancer dans un avenir imprévisible ? » (p. 24)

 

 

Au mariage de Flora, sa fille unique, Murdo Munro prend soudain conscience qu’il va désormais se retrouver seul avec cette femme qu’il a épousée il y a tout juste vingt-six ans et avec qui il n’a jamais été heureux. Il quitte l’église et, arrivé chez lui, décide de mettre le feu à sa maison, à sa maison à elle qui l’a toujours méprisé et avec qui il n’a rien partagé, même pas l’amour de leur fille qu’elle a manipulée. Il fuit sa maison, son village, son travail dans les forêts de cette île de l’ouest de l’Ecosse, sa vie passée. Sans toit, il décide de rejoindre sa soeur Bessie, avec la peur du gendarme au ventre. Un incident met rapidement un terme à son séjour : il reprend la fuite, pareil à un animal traqué…

 

La beauté des descriptions de paysages mélancoliques est à l’image des tourments intérieurs de cet homme livré à lui-même, et souffrant d’un manque d’amour. Cet homme qui a tiré violemment un trait sur son passé, cet homme n’ayant plus rien, se retrouvant à vagabonder sur les routes, n’est pas sans rappeler les personnages solitaires touchant le fond de Paul Auster. Mais lui ne semble avoir ni l’énergie ni le désir de recommencer une nouvelle vie. Aucune échappatoire ne s’ouvre à lui. Dominic Cooper signe là un roman sombre et sans espoir, comme si n’était pas libre qui voulait.

 

COOPER, Dominic. – Vers l’aube / trad. de l’anglais (Ecosse) par Céline Schwaller. – Métailié, 2009. – 185 p.. – (Bibliothèque écossaise). – ISBN 978-2-86424-700-5 : 18 euros.

Un mensonge sur mon père de John Burnside

10.09
2009

Titre original : A lie about my father (Ecosse, 2006)

 

A un autostoppeur plein de candeur et d’admiration pour son propre père exemplaire, le narrateur raconte un mensonge sur le sien avant de nous faire le récit de sa véritable relation avec un père qui lui-même a passé sa vie à en inventer.
Un homme qui dilapide l’argent nécessaire à leur quotidien pour boire et jouer. Boire surtout. Et frapper. Alors, insensiblement, le brillant élève que fut le narrateur, n’obtenant jamais l’attention de son père ou le moindre compliment, va chercher à se brûler aux feux de la vraie vie, à se confronter aux durs, puis à s’en échapper pour presque atteindre l’orée de la mort en s’essayant aux drogues les plus dures…

 

« Mon père n’avait pas de passé dont il puisse discuter avec les autres. Personne n’évoquait avec lui le bon vieux temps, personne ne sortait d’instantanés d’une vieille boîte pour les faire circuler afin que les gens assemblés voient de quoi il avait l’air, enfant. Tout ce qu’il avait, c’était ses propres histoires, invérifiées. Ses propres récits apocryphes. A l’époque où il devint mon père, il était plus une force de la nature qu’un homme, une entité surgie de nulle part, un être imprévisible, excessif, parfois ridicule, capable de se montrer tout sourire et charmeur un instant, et totalement venimeux aussitôt après. » (p. 37)


Ce quatrième roman de John Burnside est le récit autobiographique d’une relation manquée entre un père et son fils, le premier marqué à vie par son absence d’origine, enfant trouvé s’inventant une famille et une histoire, le second en mal d’amour transformé en haine. Chacun va choisir la descente aux enfers de sa génération, l’un l’alcoolisme, l’autre les drogues. On s’étonne de lire ainsi à coeur ouvert les émotions de John, qui sans aucun pathos se livre totalement, dévoilant une enfance en errance à la Dickens ou à la John Fante. Ajoutez à cela sa plume toujours aussi admirable, et vous obtenez un roman bouleversant… mais auquel je lui ai malgré tout préféré ses précédents :

 

BURNSIDE, John. – Un mensonge sur mon père / trad. de l’anglais (Ecosse) par Catherine Richard. – Métailié, 2009. – 307 p.. – (Bibliothèque écossaise). – ISBN 978-2-86424-671-8 : 20 €.

Le coeur de l’hiver de Dominic Cooper

16.05
2006

cop Métailié

Traduit de l’anglais (Ecosse) par Bernard Hoepffner

Ayant très tôt quitté l’école pour pouvoir aider son père veuf, se retrouvant seul après le décès de ce dernier et le départ de son frère, Alasdair Mor est resté envers et contre tout dans sa petite ferme écossaise près de Cragaig, village déserté par ses habitants partis ailleurs quérir de quoi subsister. Il vit de sa pêche au homard et des produits de ses bêtes. Sa vache, ses moutons, ses chèvres, ses poules, constituent les seules amies auxquelles il parle pour rompre sa solitude. Il se satisfait de peu, la nature et sa faune suffisant à son bonheur. Un couple s’installe alors au village, vivant aussi de la pêche au homard. L’homme, An Sionnach, ne semble vouloir se lier à personne. Et même, il semble nourrir à l’encontre d’Alastair une jalousie haineuse. Le jour où, à la suite d’une tempête, il perd tous ses casiers de pêche, il pille sans vergogne ceux d’Alastair qui, l’apercevant, le poursuit en barque sans succès.  Mais il n’en reste pas là…

Le début du roman nous offre de magnifiques descriptions de l’homme solitaire en osmose avec la nature, avec la mer. Le roman tout entier respire cette relation rude mais essentielle, ce retour aux sources, ces simples plaisirs de la vie. Alastair d’ailleurs n’aura jamais connu d’autres divertissements, aussi bien dans ses relations sociales, en amitié ou en amour, que dans d’autres lieux, plus citadins, puisqu’il n’a jamais quitté cette ville, pas même pour acheter ses provisions.

Puis, peu à peu, l’intrigue se noue, faisant apparaître cet étranger comme incompréhensible et malfaisant, face à un Alastair candide et simple digne de figurer aux côtés de Lennie dans Des Souris et des hommes.

Cet étranger va-t-il réveiller la bête sauvage ou le chasseur qui sommeille en ce brave homme ? Va-t-il devenir son ami ? Et son épouse, va-t-elle suivre Alastair ?

 

Beaucoup aimé

Et précisément vous apprécierez bien davantage ce roman sans lire le résumé de la 4e de couverture, en allant de surprise en surprise, le roman nous emmenant bien loin dans sa démonstration sur la nature humaine.

Un beau roman, poignant.

COOPER, Dominic. – Le coeur de l’hiver / trad. de l’anglais par Bernard Hoepffner. – Métailié, 2006. – 186 p.. – ISBN : 2-86424-577-9 : 18 €.