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Les naufragés de la méduse de Bordas & Deveney

02.06
2020

IMG_20200601_171959Théodore Géricault entreprend, deux ans après, de peindre le drame qui s’est joué après le naufrage de la Méduse près du Sénégal le 2 juillet 1816, et qui fit scandale en France. Contre l’avis de son oncle royaliste, avec la femme duquel il a une liaison, il consulte les archives, écoute les témoignages des rescapés, fait revivre le procès de son commandant, le royaliste Hugues Duroy de Chaumareys, dont l’incompétence envoya à la mort 160 personnes, dont 147 hommes abandonnés sans vivres sur un radeau de fortune. Décidant de rompre avec sa tante Alexandrine, il laisse le sujet le dévorer tout entier et expose son gigantesque tableau en 1819.

Pour relater l’histoire de ce chef d’œuvre de la peinture romantique, Jean-Christophe Deveney choisit d’entremêler le récit biographique du jeune peintre Théodore Géricault, cherchant à s’éloigner d’un amour interdit et à marquer les esprits par son tableau, avec celui des rescapés du radeau, réchappant de peu à la mort et à la folie en se livrant à des actes d’anthropophagie. Le résultat est brillant : son histoire tout comme les dessins de Jean-Sébastien Bordas nous transportent à cette époque et nous tiennent en haleine durant 170 pages. Un album superbe, qui peut toutefois heurter les sensibilités.

Les naufragés de la méduse de Jean-Sébastien Bordas & Jean-Christophe Deveney
Casterman, 2020
170 p. : ill. en coul. ; 29*22 cm
EAN13 9782203132429 : 26 €
Théodore Géricault / drame / 19e siècle

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Une bête au paradis

28.12
2019

Lumière pâle sur les collines de Kazuo Ishiguro

03.03
2018
cop. Gallimard

cop. Gallimard

 

Niki, la fille cadette d’Etsuko, délaisse Londres quelques jours pour venir passer quelques jours chez sa mère à la campagne. Elle s’éloigne de la chambre depuis longtemps déserte de Keiko, sa demi-soeur, qui, après avoir quitté la maison depuis plusieurs années, vient de se pendre dans son appartement. Ne la portant apparemment pas dans son coeur, elle n’a pas souhaité assister à son enterrement, tout comme Keiko n’est pas allée à celui de son beau-père. La vue d’une petite fille jouant à l’extérieur, alors qu’elles sont allées prendre un thé, rappelle à Etsuko une autre fillette, qu’elle a connu au Japon alors qu’elle était enceinte de Keiko, après la guerre. Une fillette souvent seule, révoltée et traumatisée par la vision d’une mère noyant son bébé après la guerre…

J’avoue avoir préféré me dispenser de lire ce roman jusqu’au bout. Déjà un peu refroidie par l’annonce du suicide de la fille aînée de la narratrice dès l’incipit, j’ai abdiqué lorsque les traumatismes de la fillette livrée à elle-même sur le terrain vague sont ressortis. Quand on est soi-même mère, il y a certaines histoires qu’on ne préfère plus lire ou regarder. Nonobstant on reconnait tout à fait le style et les non-dits qui caractérisent l’écriture d’Ishiguro, dont je viens de lire Auprès de moi toujours, qui m’a beaucoup plu. Mais alors que pour le précédent, horrible d’une toute autre manière, le suspens m’avait donné envie de le lire d’une traite, ici, je n’ai eu aucunement envie de connaitre le fin mot de ce drame.

Le rapport de Brodeck de Larcenet

09.08
2017
cop. Dargaud

cop. Dargaud

 

Lors de sa venue à la bibliothèque de Fleury, Philippe Claudel nous avait parlé de l’adaptation en cours de son roman Le rapport de Brodeck, couronné par le prix Goncourt des lycéens.

Le récit n’a pas changé :

Dans un village isolé, peut-être en Alsace, vient d’être assassiné l’Anderer, l’autre, celui qui est arrivé un jour tout sourire sans jamais dire son nom. Alors les hommes du village, comme pour se disculper, chargent Brodeck, le seul à ne pas être coupable, d’une mission, celle de raconter comment tout cela s’est passé, depuis le début, dans un rapport. Mais en rappelant ses souvenirs à lui, Brodeck fait ressurgir aussi, malgré lui, tout un passé qui date de bien au-delà de l’arrivée de cet homme doux mais étrange, un passé ancré dans l’Histoire, dans ce qu’elle a connu de plus inhumain, et dans celle du village, qu’il ne faut surtout pas déterrer…

Larcenet a choisi de faire des nazis des monstres réels, en contraste avec la jeune épouse du commandant, son bébé dans les bras, venant assister à chaque pendaison. Pourquoi cette singularité ? Pourquoi les avoir fait monstres si la plus monstrueuse a ce visage si ordinaire ? Pourquoi ne pas leur avoir laissé figure humaine ? Ainsi, les villageois détruisent leur propre image peinte, si vraie et donc si introspective, si monstrueuse pour eux, oeuvre de l’Anderer. N’importe qui d’extérieur au village aurait salué le talent du peintre, eux n’ont vu que le fait d’avoir été démasqués, percés à jour. Et il est des secrets qu’il ne vaut mieux pas déterrer. Ainsi c’est Brodeck que les villageois chargent sous la menace d’établir le rapport sur un meurtre qu’il n’a pas commis et dont il n’a pas été témoin, lui qui fut aussi la victime du village, revenu des camps, où il était devenu le chien Brodeck, et dont la femme fut à son tour donnée en pâture aux Nazis, pour étancher leur soif de vengeance, avec l’amertume de la défaite. Et, cette fois, quand le maire lui fera comprendre que le village va tout faire pour oublier ses crimes, Brodeck, cette fois, comprend que sa famille doit partir avant d’être massacrée à son tour, comme leur rappelant à chaque fois leurs crimes envers elle.

Larcenet nous offre ici des planches muettes d’un noir et blanc remarquable, distillant le non-dit, le secret, la monstruosité de la délation, de la xénophobie et de la lâcheté. Hélas, sans doute qu’un certain nombre de villages en France pourrait se reconnaitre dans cette ambiance délétère. Il n’y a qu’à voir le résultat des élections pour constater combien l’isolement rural attise la peur et la haine. Cette fois, du coup, si l’histoire est triste et révoltante, elle n’est pas aussi glauque que peut l’être Blast.

 

 

Il Bidone

22.04
2014

ilbdoneMardi cinéma

Scénario : Federico Fellini, Tullio Pinelli et Ennio Flaiano

Sortie en salle : 1955

Résumé

En pleine campagne italienne, trois escrocs, le vieil Auguste, Roberto et un peintre sans talent surnommé « Picasso »  se déguisent en hommes d’église et débarquent dans de vieilles fermes isolées, où la misère est visible, pour faire miroiter à ses propriétaires un trésor enterré que leur aurait légué le meurtrier du squelette enseveli avec le butin, à la seule condition qu’ils paient 500 messes pour lui à l’Eglise… Les trois hommes empochent les économies et les emprunts de ces pauvres gens et repartent pour Rome : Auguste et Roberto le dilapident en champagne et en voiture, tandis que Picasso préfère payer ses dettes à l’épicier et rapporter quelques cadeaux à sa femme et à sa petite fille. Le jour de l’An, alors qu’Auguste se fait éconduire par son hôte, un « bidoniste » au sommet de sa gloire, Roberto se fait prendre la main dans le sac en train de voler, et la femme de Picasso, choquée, soupçonne que son époux lui cache ses véritables activités. Au cours de larcins aux stations services, Picasso confie à Auguste son désir de placer l’amour de sa famille au-dessus de l’argent, choix qu’Auguste n’a pas fait, puisqu’il vit seul, sans sa femme ni sa grande fille…

 

Analyse du scénario

Cet étalage de duperies, d’escroqueries aux plus pauvres, aux plus démunis, pour s’enrichir et dilapider son argent, rend les trois protagonistes complètement immoraux : on touche le fond de l’abjection et de l’ignominie quand Auguste discute avec la fille paralysée des deux jambes à qui il vient de confisquer, à elle et à sa soeur, tout espoir d’un avenir meilleur. Pari risqué, donc, de rendre ces personnages antipathiques puisque foncièrement égoïstes, jusqu’à Picasso, qui change de voie uniquement pour ne pas finir seul, et non pas par pitié pour ceux qu’ils dépouillent. Le scénario est très bien ficelé, avec un personnage principal en la personne du vieil Auguste et un personnage secondaire en celle de « Picasso » qui ne fait pas le même choix à son âge. Un grand classique à voir.

Philomena

11.02
2014

PhilomenaLong-métrage écrit par Steve Coogan & Jeff Pope

Le film est adapté de l’histoire vraie de Philomena Lee, rapportée par le journaliste britannique Martin Sixsmith.

Le pitch

Un grand journaliste aide à contre-coeur une vieille Irlandaise à retrouver son fils, qu’on lui avait retiré au couvent il y a de cela près de 50 ans, alors qu’elle était fille-mère, pour le confier à un couple plus fortuné.

Le synopsis court

Lorsque le journaliste de la BBC Martin Sixsmith tombe en disgrâce, il ne sait plus quoi faire. Quand il parle d’écrire son grand ouvrage sur l’histoire de la Russie, on sourit d’ennui. C’est alors qu’une extra, lors d’une réception, lui parle de sa mère, Philomena, une Irlandaise ayant accouché adolescente dans un couvent catholique, et n’ayant aucune nouvelle de son fils depuis près de 50 ans, adopté contre son gré. Martin commence par refuser : il ne fait pas dans l’aventure humaine. Mais les circonstances l’y contraignent. Martin se charge alors de la quête de Philomena, qui les amènent tous deux aux Etats-Unis, et à se découvrir l’un l’autre, chacun avec ses croyances et son but personnel à atteindre.

Ma critique

On pourrait rapprocher ce thème de celui de The Magdalene Sisters, qui traitait aussi du sort des jeunes filles « perdues » placées dans des couvents en Irlande au XXesiècle, et d’ailleurs évoqué pendant le film par Martin Sixsmith. Mais, finalement, l’enjeu de l’histoire ne réside pas seulement dans cette dénonciation d’un extrêmisme religieux reniant presque la qualité d’être humain libre et aimant, à ces pauvres filles-mères qui sont plus pauvres et isolées que vicieuses et pécheresses. – La scène pleine de suspens du départ du fils alors que la mère n’en est même pas informée, est particulièrement révoltante. – Il réside peu dans les flash-back sur le fils menant sa propre vie sans sa vraie mère, ni dans la quête proprement dite, vite évacuée. Elle réside surtout dans l’interprétation que le spectateur peut faire du duo formé par cette vieille dame de la classe populaire, qui arrive encore à pardonner à celle(s) qui lui a (ont) gâché une partie de sa vie de mère, et qui nous est en cela assez agaçante de conviction religieuse intégrée, et par ce journaliste habitué au luxe, condescendant à faire de l’aventure humaine pour pouvoir remonter sur la scène publique. Rien n’est vraiment dit, mais tout geste qui paraît humain de la part du journaliste n’est en réalité que guidé par son intérêt personnel… Un traité de manipulation finalement…

 

La raconteuse de films de Hernan Rivera Letelier

06.10
2013

laraconteuse  »A la maison, comme l’argent courait toujours plus vite que nous, quand un film arrivait à la Compagnie et que mon père le trouvait à son goût – juste d’après le nom de l’actrice ou de l’acteur principal – on réunissait une à une les pièces de monnaie pour atteindre le prix du billet et on m’envoyait le voir.

Ensuite, en revenant du cinéma, je devais le raconter à la famille, réunie au grand complet au milieu de la salle à manger. » (incipit)

Comment faire quand on aime le cinéma mais que dans une famille de cinq enfants, on a tout juste de quoi acheter une seule entrée ? On vote pour celui des cinq enfants qui raconte le mieux un film : désormais c’est donc la seule fille, la cadette de la famille, qui a l’immense privilège d’aller au cinéma. Son talent de raconteuse de films lui taille une si belle réputation qu’elle prend un nom d’artiste, Fée Ducinée, et que bientôt toute la Compagnie vient payer son entrée pour aller la voir elle, se donnant en spectacle avec force mimiques, jeux d’acteurs et accessoires.

Tout commence par le regard naïf et fier d’une fillette heureuse d’être l’élue de la famille pour avoir le droit d’aller au cinéma et de devenir la starlette de la Communauté. Et puis, et puis, la réalité prend le dessus, d’abord avec les vices, la concupiscence des hommes, puis avec le monde extérieur qui arrive jusque là : comment une merveilleuse idée née des impératifs de la misère va finalement se tarir au contact des technologies nouvelles. Mais plus encore, ce sont les conditions de vie de toute la Communauté que le progrès va remettre en cause. C’est aussi et surtout le drame d’une famille, dont la mère a quitté le foyer, le père ayant un accident l’obligeant à être en fauteuil roulant. Une histoire tragique sur fond de salpêtrière dans le fin fond du désert.

 

RIVERA LETELIER, Hernan. – La raconteuse de films / trad. de l’esp. (Chili) par Bertille Hausberg. – Métailié, 2012. – 128 p..  - (Suites ; 168). – EAN13 9782864249368 : 9 €.