Mots-clefs ‘colonisation’

Lettre du bout du monde de José Manuel Fajardo

08.07
2012

 

cop. Métailié

 

Laissé en 1514 par Christophe Colomb sur l’île d’Hispaniola avec trente-huit autres naufragés de la Santa Maria, Domingo Pérez relate, dans une lettre destinée à son frère, ses relations avec les Indiens et surtout avec une Indienne, Nagala, qu’il rencontre lors d’une expédition lancée avec quelques confrères, assoiffés d’or.

Cette lettre, qui se transforme en journal fictif des découvertes et aventures du protagoniste, reflète bien la cupidité des conquistadores de l’époque, convaincus par ailleurs de l’infériorité morale des païens qu’ils découvraient sur ces terres lointaines.

« Pendant les nombreuses semaines qui se sont écoulées depuis lors, j’ai observé chez ces Indiens maintes choses qui provoquent l’étonnement. Par-dessus tout, leur peu de désir de richesses. Au rebours de notre patrie où l’homme doit travailler jusqu’à épuisement pour survivre, le travail dans ces contrées, même s’il est dur, ne sert qu’à produire la nourriture nécessaire pour la cité ; quand il y en a trop, de grandes fêtes sont préparées, auxquelles on invite aussi les habitants des villages voisins, pour épuiser le surcroît de provisions. » (p. 123-124)


Un petit roman d’aventures, plein de suspens, dénonçant les exactions des Espagnols envers les Indiens, dès leur première rencontre.

 

 

FAJARDO, José Manuel. – Lettre du bout du monde / trad. de l’espagnol par Claude Bleton. – Métailié, 2012. – 153 p. ; 19 cm. – (Suite hispanique). – EAN13 9782864248750 : 9 €.

Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras (1950)

10.06
2010

Duras

La mère de Suzanne et Joseph a offert toutes ses économies pour avoir le droit d’exploiter son lopin de terre dans cette Indochine colonisée des années 20. Mais la crue du « Pacifique », chaque année, réduit chaque année ses espoirs à néant. Elle a bien cru pouvoir la défier en édifiant un barrage… qui s’écroulera, dévoré par les crabes. Tous trois depuis vivotent misérablement dans un bungalow sur cette terre marécageuse, et voient en le riche Mr. Jo, amoureux de Suzanne, une aubaine, voire un gogo à plumer…

Un troisième roman de Marguerite Duras, de facture classique, un roman de la souffrance, de la misère de ces petits blancs exploités par les riches colons blancs, où fusent ses sarcasmes, sa critique acerbe des pratiques coloniales, où néanmoins miroite déjà un érotisme latent et interdit. Une histoire avec Mr Jo qui préfigure celle de l’Amant. Loin de le considérer parmi ses meilleurs romans, je le qualifierai plutôt de galop d’essai virulent.

Manituana de Wu Ming

29.11
2009

cop. Métailié

«La chose au pied des guerriers offensait les yeux. La chose au pied des guerriers avait une apparence humaine. Le corps de Samuel Waterbridge était maintenant une proie écorchée, laissée à pourrir au sol.

Molly connaissait la mort, obscène et cruelle, mais elle ne l’avait jamais vue dans le lieu où se conservait la vie. Pas traînée au milieu du village, pas exhibée pour que de jeunes mâles puissent se promettre vengeance. » (p. 62)

 

En 1775, dans un monde baptisé Iroquirlande proche de la frontière canadienne, les colons se disputent les terres des tribus iroquoises dans la vallée mohawk.

 

Hélas, on se doute bien du sort tragique de ces Indiens d’Amériques. Mais dans cette formidable épopée historique, le collectif italien Wu Ming se place du côté des futurs vaincus, hommes comme femmes, Joseph l’interprète ou le jeune Peter comme la sage Molly ou sa nièce Esther, la visionnaire. Et, plutôt que de décrire avec force détails les batailles, il renouvelle le genre du roman d’aventures en hachant ce récit dramatique, dépourvu de manichéisme, par des chapitres brefs et incisifs et des ellipses narratives, où tout est terriblement perçu par ces grands perdants de l’Histoire des Amériques. Un roman foisonnant et passionnant, oui, qui nous prouve qu’il est possible d’écrire d’un même élan à cinq.
Vous pouvez lire d’autres avis particulièrement enthousiastes sur ce roman dans la blogosphère : Journal d’une lectrice, Actu du noir, Sur mes étagères.

Manituana / Wu Ming ; trad. de l’italien par Serge Quadruppani. – Paris : Métailié, 2009. – 507 p. : couv. ill. en coul. ; 22 cm. – (Bibliothèque italienne). – ISBN 978-2-86424-688-6 : 24 €.