Mots-clefs ‘censure’

Tout va bien ! de Mana Neyestani

03.12
2014
cop. çà et là

cop. çà et là

 

C’est à l’occasion de son exposition de planches à BD Boum ce mois-ci que j’ai découvert Mana Neyestani.

Dessinateur de presse depuis l’âge de 16 ans, Mana Neyestani commence par travailler en Iran pour des journaux réformistes puis gouvernementaux  jusqu’à ce qu’un de ses dessins ne le fasse emprisonner. A sa sortie de prison en 2006, il fuit en Malaisie, puis en France en 2011, où il vit à présent en tant que réfugié politique. La population iranienne a continué à distance de suivre son travail de dessinateur pour des sites dissidents iraniens, et même à utiliser certains de ses dessins, lors de manifestations contre le régime théocratique et tyrannique de la république islamique d’Iran. Membre de l’association Cartooning for Peace, créée par Plantu, il a reçu le prix international du Dessin de Presse, le 3 mai 2012, des mains de Koffi Annan.

En un seul dessin de presse, Mana Neyestani croque avec ironie des situations vécues au Moyen-Orient d’intimidation, de censure, de meurtre, d’emprisonnement, d’interrogatoire. Et lorsque la couleur pointe dans ses dessins en noir et blanc aux fines hachures, d’un humour noir proche de Topor, c’est comme pour indiquer une note d’espoir qui permet de survivre.

Mais assez parlé, il faut acheter et voir cette petite bombe ! Vous hésitez ? Tapez son nom dans Google images, et vous aurez un assez bon aperçu de ses dessins.

NEYESTANI, Mana. – Tout va bien !. – Editions çà et là, 2013. – 200 ill. n.b. et coul. ; 18*18 cm. – EAN13 978-2-916207-83-4 : 22 €. 

Objecteurs, insoumis, déserteurs * de Michel Auvray (1983)

03.01
2011

« Des premiers chrétiens aux réfractaires au S.T.O., des paysans récalcitrants aux milices de l’Ancien Régime aux déserteurs du premier Empire, des objecteurs de la Première Guerre mondiale aux opposants au conflit algérien, des insoumis « totaux » aux renvoyeurs de papiers militaires, c’est l’histoire des réfractaires en France » (p. 14) que Michel Avray propose à notre lecture, des origines à mai 1983.

Même si la guerre ne nous a jamais semblé aussi lointaine (et pourtant nous sommes actuellement en guerre en Afghanistan), même si le service militaire sera aboli par la suite (non pas par Mitterrand), cet ouvrage datant de presque trente ans désormais dresse l’historique de ces Français qui ont su dire « non ». Qui, pour quelles raisons, de quelles manières, et avec quelles sanctions à la clé ?  Il a fallu du courage à ces hommes pour oser désobéir, alors que le plus facile aurait été d’obéir passivement, comme tout le monde. Un statut pour ces personnes, souvent pacifistes ou antimilitaristes, refusant d’accomplir certains actes allant à l’encontre de leurs principes religieux (Témoins de Jéhovah), moraux ou éthiques, fut créé en décembre 1963.

A lire une chronique détaillée sur leconflit.com.

Objecteurs, insoumis, déserteurs : histoire des réfractaires en France / Michel Auvray. – Paris : Stock 2, 1983. – 438 p. : couv. ill. ; 24 cm. - En appendice, texte du statut des objecteurs de conscience, 8 juillet 1983. – Bibliogr. p. 421-429. - ISBN 2-234-01652-5 (Br.) : 95 F.
Emprunté à la médiathèque

Metronom ** de Corbeyran et Grun (2010)

17.09
2010

Tome 1 : Tolérance zéro

Dans une pseudo-démocratie du futur qui prône un vote démocratique biaisé pour légitimer une politique sécuritaire et des décrets liberticides, une jeune femme, Lynn, tente d’avoir des nouvelles de son compagnon, parti en mission depuis deux mois. Lorsque le hasard lui fait rencontrer Linman, un journaliste, peintre et anarchiste, dont les articles sont constamment censurés, elle en apprend enfin davantage. Mais ce dernier est soupçonné d’avoir envoyé au Président un livre illustré pour enfant ô combien condamnable…

A travers cette société futuriste, condamnant les familles de suicidés et les sans-logis, le scénariste dénonce les dérives possibles d’une politique actuelle qui, au nom du bien de chacun, commence à lui interdire un certain nombre de libertés individuelles (tabagisme, nomadisme, …).

Le dessin n’est pas foncièrement original ; parfois même il diffère les traits de ses personnages.

Néanmoins l’histoire est bien ficelée, captivante, et on entre complètement dans cet univers étouffant, morne et grisâtre, où l’on s’identifie rapidement aux deux héros.

On a hâte de lire le prochain tome !

Enki Bilal honore d’ailleurs ce premier opus d’une préface.

CORBEYRAN, GRUN. – Metronom’ : tome 1 : Tolérance zéro. – Glénat, 2010. – 55 p. : ill. en coul.. – ISBN 978-2-7234-6811-4 : 13,50 €.

Le Canard enchaîné par Laurent Martin (2005)

20.07
2010

Histoire d’un journal satirique (1915-2005)

L’historien Laurent Martin dresse ici l’histoire détaillée, ponctuée de chiffres et de portraits, de cet hebdomadaire conçu en 1915 comme une « protestation contre l’esprit de guerre« , contre le bourrage de crâne et la censure. Son éloge d’un certain nombre de revues politiques et littéraires, dont la plupart se classaient à gauche, est significative. Roland Dorgelès y entra en 1917, signant ses articles sous son vrai nom ou sous le pseudonyme de Roland Catenoy.

En novembre 1918, l’hebdomadaire compte déjà 40 000 lecteurs sur tout le territoire français, et il est lu en cachette par les soldats du front, étant peu apprécié de l’état-major.

A la fin de la guerre et jusqu’en 1940, il lui faut assurer sa reconversion en temps de paix, d’autant qu’il subissait de plein fouet l’augmentation du prix du papier, qu’il refusait par principe toute publicité et que le Merle blanc lui faisait concurrence. Il y eut d’ailleurs trois tentatives malheureuses d’investissement dans Le Quotidien de Paris, Le Pélican et une salle de théâtre. Les salaires sont alors divulgués, proportionnels à la notoriété du dessinateur. Les journalistes, ayant acquis une expérience avant leur entrée au Canard, avaient surtout travaillé dans la presse de gauche ou continuaient à y travailler en parallèle, en particulier à L’Humanité, Le Crapouillot et L’Oeuvre.

Comme les autres, ils demeurent aveugles sur la réalité de l’Allemagne nazie et se sabordent le 5 juin 1940 quand Paris est conquis.

En septembre 1944 comme en septembre 1954, le journal tire à 100 000 exemplaires environ, dans le contexte très particulier de la Libération et de la Guerre froide, avec la naissance de quantité de journaux et sa difficulté à retrouver un siège à Paris, et soutient durablement le seul politicien qui trouvera grâce à ses yeux en 90 ans d’existence : Pierre Mèndes France. Ses thèmes de prédilection furent alors l’épuration (il défend Albert Camus contre François Mauriac qui appelle à la clémence pour les collaborateurs les plus notoires, fustige Montherlant), la pénurie et l’Eglise catholique qui mène campagne pour maintenir les subventions accodrées à ses écoles.

A partir de 1954 et jusqu’en 1969, les ventes du Canard enchaîné repartent à la hausse, avec la guerre d’Algérie, les circonstances du retour au pouvoir du général de Gaulle et son départ, et mai 1968. Durant cette période, Jean Clémentin trouve des informateurs aussi bien en pleine guerre d’Algérie que dans les milieux politiques et syndicaux, et contribue à pousser le journal d’opinion vers l’investigation.

De 1969 à 1981, cette mue se poursuit, avec un pic en 1981 de 730 000 exemplaires tirés en moyenne, avec la relève d’une génération de journalistes, et avec la divulgation d’affaires, mais jamais avec des articles de fond.

Le journal soutient le droit à l’avortement, les ouvriers de Lip.

Il est placé sous écoute par le ministre de l’intérieur.

L’ampleur du succès du Canard enchaîné, le niveau de rémunération de ses collaborateurs et surtout ses ressources reposant uniquement sur la vente du journal, voire sur ses placements financiers, ne devant rien à la publicité, détonaient dans le paysage de la presse française des années 1970. En outre, ses frais sont faibles : le papier est bon marché, la pagination est réduite, le journal n’est pas broché ; l’équipe rédactionnelle et administrative est de petite taille ; il n’y a pas de correspondant à l’étranger. Ses seuls frais consistent en l’achat de leurs locaux au 173 rue du Faubourg Saint-Honoré dans les années 70.

Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, les tirages baissent car beaucoup de lecteurs, et même de journalistes (certains démissionneront), ne comprennent pas qu’on puisse critiquer  un gouvernement de gauche lorsqu’on a une sensibilité de gauche. En revanche, son attitude face au Front national et à Le Pen en particulier plait davantage.

Au Canard, seules les coulisses de l’actualité politique française apparaissent. Dénoncer, railler, tourner en dérision, voilà la mission que se sont assignés les journalistes et dessinateurs du Volatile, hebdomadaire subversif.

Extrêmement fouillée, cette étude chronologique d’un des hebdomadaires satiriques les plus originaux au monde, et l’un des rares à ne pas sembler souffrir de l’actuelle crise de la presse écrite, évite, malgré son apparente objectivité, quelques sujets qui fâchent et qu’on aurait aimé voir ici éclaircis, comme l’absence de femme au sein de la rédaction, si ce n’est en tant que secrétaire, ou comme leur manipulation possible par des informateurs haut placés divulguant telle information à un moment-clé. C’est dommage, mais cela n’enlève en rien l’intérêt qu’on peut prendre à la lecture de cette histoire absolument passionnante.

MARTIN, Laurent. – Le Canard enchaîné : Histoire d’un journal satirique (1915-2005). – Nouveau monde éditions, 2005. -  767 p.. – ISBN 2-84736-112-X : 14 €.

Paula T. une femme allemande *** de Christoph Hein

14.05
2010

Paula T. une  femme allemande

Titre original : Frau Paula Trousseau

Pour quitter au plus vite son père qui terrorise sa famille et une mère et un frère alcooliques, Paula se jette dans les bras d’un mari qui ne la veut qu’au foyer et n’hésite pas, pour arriver à ses fins, à substituer un placebo à ses pilules. Mais Paula, qui a arrêté sa formation d’infirmière et a été reçue à l’examen d’entrée de l’école des Beaux-Arts de Berlin, est fermement décidée à poursuivre ses études, même enceinte, et à devenir peintre…

Christoph Hein (Prise de territoire) signe là un magnifique roman d’apprentissage, moins par la qualité de son écriture que par les thèmes exploités et l’émotion suscitée. Il brosse en effet le portrait d’un personnage endurci par l’égocentrisme d’un père puis d’un mari de la « vieille école », qui, à son tour, va être taxé d’égoïste pour ses choix allant à l’encontre de sa nature de femme et de mère, se méfiant à jamais des hommes (p. 209), mais aussi d’artiste de l’Allemagne de l’Est. En mettant l’accent sur la non-représentation publique de sa grande toile blanche et l’impossibilité pour Paula de suivre sa tendance à l’abstrait, le roman souligne la difficulté d’être créateur dans certains pays et à certaines époques (p. 199).

« Je sentais que la nouvelle toile était enfin sur la bonne voie. J’étais soulagée, car lorsque la toile refusait de me laisser pénétrer en elle, quand elle ne me forçait pas à travailler, il y avait quelque chose qui clochait dans mon travail. Ou en moi. J’avais déjà fait cette expérience. Le matin lorsque j’étais impatiente de me trouver devant mon chevalet, ou énervée parce que j’avais des rendez-vous dont je voulais me débarrasser le plus rapidement possible pour pouvoir enfin me mettre au travail, je savais que j’étais sur le bon chemin et que je n’allais pas au-devant d’un échec, comme c’était si souvent le cas. » (p. 258)

Il évoque aussi le dilemme entre sa vocation d’artiste et ses renoncements pour des travaux alimentaires, les méthodes d’enseignement (p. 202), la beauté  de la Nature qui se dérobe comme motif (p. 330), les périodes d’inspiration et de désillusion (p. 258). Un beau roman.

HEIN, Christoph. – Paula T. une femme allemande / trad. de l’allemand par Nicole Bary. – Paris : Métailié, 2010. – 417 p. : couv. ill. en coul. ; 22*14 cm.. – (Bibliothèque allemande). – ISBN 978-2-86424-722-7 : 22 €.

Blacksad : Ame rouge * de J. Diaz Canales et de J. Guarnido (2005)

03.01
2006

Tome 3

Pour subvenir à ses besoins, Blacksad travaille comme garde du corps d’un joueur fortuné à Las Vegas. Il assiste un soir à une conférence à propos de l’énergie atomique, donnée par son vieil ami Otto Lieber. Celui-ci fait partie d’un cercle d’intellectuels dont les idées politiques sont peu appréciées en cette période de maccarthysme. Blacksad va pourtant commencer à fréquenter ces derniers, car parmi eux une jeune femme écrivain l’attire énormément…

Au premier coup d’oeil, le concept est intelligent : ce n’est plus l’habit qui fait le moine, mais l’animal par lequel Juanjo Guarnido identifie chaque personnage. A la lecture, ensuite, le contexte historique et politique est extrêmement intéressant : nous nageons en plein maccarthysme, à la pleine époque de la chasse aux sorcières aux Etats-Unis. Le héros de la série est ainsi amené à fréquenter les artistes et intellectuels de cette période. Le scénario du polar n’est pas bien palpitant, même s’il joue avec subtilité sur les clichés du genre (le héros éternel célibataire) mais le reste vaut le détour. A suivre…

DIAZ CANALES, Juan, GUARNIDO, Juanjo. - Blacksad : Âme rouge. / trad. par Anne-Marie Ruiz. – Dargaud, 2005. – 56 p. : ill. en coul. – (Blacksad ; 3).
Un cadeau de Noël offert par Nat.

Traité d’athéologie ** de Michel Onfray

11.09
2005

Physique de la métaphysique

Être athée, être privé de Dieu, privé de croyance, comme privé de quelque chose : Michel Onfray montre combien est péjoratif même le terme choisi pour désigner ceux qui ont choisi la pulsion de vie, la raison, la liberté et l’intelligence. Au contraire, nous dit-il, les athées ont choisi de ne pas se bercer d’illusions sur une vie meilleure à venir dans l’au-delà, sur une âme immortelle, sur tout ce qui peut leur faire mépriser cette vie, les besoins et les désirs de ce corps ici-bas, et la confier à d’autres qui énoncent les interdits et ôtent à la vie tout plaisir. Car les autres, entendons les trois principales religions monothéistes, ont façonné notre esprit depuis deux millénaires, condamné les impies, brûlé des livres et bibliothèques, paralysé les découvertes scientifiques et réflexions philosophiques, et animé une pulsion de mort au moyen de croisades et de génocides. Point par point, Michel Onfray raconte la supercherie à l’origine de ces textes sacrés, son alliance avec la plupart des régimes dictatoriaux et le nazisme, sa haine de l’extrême-gauche, en dénonce leurs contradictions, et surtout la barbarie, chacune enjoignant de ne pas tuer son prochain au sein de sa propre communauté mais de tuer tous les mécréants afin d’espérer dans l’au-delà, après leur sacrifice, une vie meilleure, où sont alors permis tous les interdits que leur religion leur a seule imposés.


A l’appui d’innombrables arguments, Michel Onfray fera peut-être vaciller vos croyances. Cet essai, en tout cas, n’a fait que raffermir l’opinion de la convaincue que je suis, et mis en lumière les innombrables autodafés et censures de manuscrits par le clergé et les moines copistes, pratiquant autant de coupes sombres dans notre héritage culturel, autant de lectures dont hélas nous ne profiterons jamais.


Grasset, 2005. – 281 p.. – 18,50 €.

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