Mots-clefs ‘Argentine’

L’autobus d’Eugenia Almeida

22.09
2012

cop. Métailié

Titre original : El colectivo (2005)

« Cela fait trois soirs que l’autobus passe sans ouvrir ses portes. Le village est sous une chape métallique. Grise et légèrement ondulée. Le seuil des maisons est maculé de terre et l’absence de pluie rend les chiens nerveux. Par la fenêtre de l’hôtel, Ruben se penche machinalement pour regarder les gens qui traversent la voie. Ce sont les Ponce, qui habitent de l’autre côté. Ils accompagnent cette fois encore la belle-soeur pour voir si elle peut retourner en ville. » (incipit, p. 11)

Depuis quatre jours, toujours à la même heure, les Ponce endimanchés viennent attendre le bus qui passe sans s’arrêter, voire accélère. L’avocat Ponce, humilié devant tout le village, pense à une vengeance du chauffeur, Castro. Quelques jours plus tard, des clients de l’hôtel, un homme en costume-cravate et une jeune femme, sûrement des amants, font également signe, en vain, au chauffeur. C’est bientôt tout le village, à la façon d’un toréador, qui attend le passage de l’autobus, devenu l’attraction quotidienne, ce qui n’amuse aucunement l’avocat psychorigide, dont on apprend peu à peu le secret qui aura détruit et sa vie et l’équilibre mental de son épouse. C’est alors que le couple décide de partir à pied rejoindre le prochain arrêt, au village suivant…

Le décor est planté, quelques personnages se distinguent des autres et donnent le ton (l’avocat, sa soeur, l’hôtelier, le commissaire, Gomez), à l’instar d’une pièce de théâtre. On songe d’ailleurs au début au théâtre de l’absurde, avec cet autobus qui continue à faire ses trajets sans jamais s’arrêter pour prendre des passagers. Rien ne laisse imaginer au début de ce roman que l’auteure va se servir de cet incident survenu dans un microcosme, dans ce village perdu en Argentine, pour nous dépeindre l’injustice et les atrocités d’une dictature. Par petites touches, elle dévoile le drame intimiste du couple formé par l’avocat et son épouse Marta, qui rit toujours de tout comme une écervelée, avant de planter le décor d’un autre drame, bavure occultée elle aussi, mais sur ordre hiérarchique, symptomatique d’un pays sous le joug militaire.

Un premier roman dont la puissance réside dans la subtilité.

ALMEIDA, Eugenia. – L’autobus / trad. de l’espagnol (Argentine) par René Solis. – Métailié, 2012. – 126 p.. – EAN13 978-2-86424-887-3 : 7 €.

Le tango du disparu * d’Annie Goetzinger & Pierre Christin (1988)

17.11
2008

A Buenos Aires, par un soir de grand vent, un inconnu attire l’attention de l’assistance en jouant Recuerdo dans une milonga, une boîte à tango. Un orchestre bientôt est formé de musiciens et d’un chanteur issus d’horizons différents et promis à un avenir peu rose, morose, on le sait déjà. Enrique Pracanico, joueur légendaire de bandonéon, rencontre Arnaldo Bähler, issu d’une prestigieuse famille militaire, qui va lui écrire des textes, avant de devenir « El Maestro », l’un des penseurs de l’Alianza Anticommunista Argentina, et surtout sa femme, dont il fera sa maîtresse, la sublime Elba Eva…

A l’image du tango, ce roman graphique exhale toute la nostalgie d’un temps révolu, celui du sang et de la passion, celui de l’amour et de la douleur, celui d’un bonheur trop fragile et de l’injustice. Envoûtant, il respire le parfum de la tragédie dès ses premières notes, laquelle adviendra, incontournable. Bel hommage donc que cette singulière  biographie, noire aux dessins gris, de ce bandonéoniste mort sous la dictature.

Cet ouvrage a été publié en 1988 chez Flammarion.

GOETZINGER, Annie, CHRISTIN, Pierre. - Le tango du disparu. – Métailié, 2008. – 154 p. : couv. ill. en coul. + ill. en n.b. – (Hors coll.). – ISBN 978-2-86424-668-8 : 18 €.

Voir les 2 commentaires sur l’ancien blog