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Vacances au bled

29.07
2018
cop. Casterman

cop. Casterman

Férouze, Sélim, Hassan, Nesrine et Sabrina partent en Algérie pour l’été. Mais alors que les uns recherchent la détente au soleil, en paraissant plus riches qu’ils ne le sont en France, Férouze cherche à mieux connaître sa famille restée au bled, et Sabrina, né sur le sol français, s’installe avec sa famille dans une grande maison, loin de sa belle-famille algérienne qui ne l’accepte toujours pas.

Pas tout à fait Français pour les uns, ni Algériens pour les autres, ces personnages – types nous permettent d’identifier les différentes situations vécues par la plupart de ces immigrés du point de vue des deux pays. Malgré quelques rappels historiques, le scénario paraît moins frappant que les ouvrages précédents de cette excellente collection.

 

SINGEON, BIDET, Jennifer

Vacances au bled

Casterman, 2018 (Sociorama)

164 p. : n.b.

EAN13 9782203153295 : 12 €

Le fils du pauvre ** de Mouloud Feraoun (1950)

20.02
2011

Copyright Points/Hulton archives/Getty Images

Instituteur, le narrateur (qui n’est autre que Mouloud Feraoun lui-même) décide de se peindre comme le firent avant lui Montaigne, Rousseau, Daudet et Dickens. Rien que ça.

Le Fils du pauvre décrit son enfance dans une ville kabyle de deux mille habitants, Tizi, pendant l’entre-deux-guerres.

Chaque chapitre est consacré à un sujet précis : après la description de son village, des classes sociales qui y sont visibles, et de l’intérieur des habitations, le narrateur présente les occupations quotidiennes des différents membres de sa famille, de son oncle et de ses tantes, les questions de mariages, de jalousies et d’héritages, comment ils cohabitent entre eux, avant de faire le récit quasi-autobiographique de fils choyé par rapport à ses soeurs, de sa vie d’écolier et de collégien, avant son départ pour l’École normale.

« Je ne sus le nom de chacune de mes tantes qu’après les avoir bien connues elles-mêmes. Le nom ne signifiait rien. C’était comme pour mes parents. Je me rappelle avoir appris avec une surprise amusée, de la bouche de ma petite cousine, que son père s’appelait Lounis, le mien Ramdane, ma mère Fatma, la sienne Helima. Je compris tout de suite, cependant, que c’étaient les autres qui les désignaient ainsi et que dans la famille nous avions des mots plus doux qui n’appartenaient qu’à nous. Pour moi, mes tantes s’appelaient Khalti et Nana. » (p. 46-47)

Au travers du roman c’est tout un témoignage d’une vie rude que l’on découvre. Comme le titre l’indique, la famille du narrateur vit de peu, de figues, d’olives, de blé, rarement de viande si ce n’est pour l’aïd ou pour complaire au chef du village lorsqu’il y a conflit entre deux familles. Sa famille vit de quelques bêtes, figues et olives. Seul le père travaille sur un chantier, puis au champ, rentré chez lui. Ses tantes travaillent l’argile pour la poterie et la laine.

Il est aussi question d’éducation d’un fils, et comment les garçons sont élevés comme de petits dieux dans leur famille, avec toute la discrimination sexuelle que cela induit :

« J’étais destiné à représenter la force et le courage de la famille.

Lourd destin pour le bout d’homme chétif que j’étais ! Mais il ne venait à l’idée de personne que je puisse acquérir d’autres qualités ou ne pas répondre à ce voeu.

Je pouvais frapper impunément mes soeurs et quelquefois mes cousines : il fallait bien m’apprendre à donner des coups ! Je pouvais être grossier avec toutes les grandes personnes de la famille et ne provoquer que des rires de satisfaction. J’avais aussi la faculté d’être voleur, menteur, effronté. C’était le seul moyen de faire de moi un garçon hardi. Nul n’ignore que la sévérité des parents produit fatalement un pauvre diable craintif, gentil et mou comme une fillette.(…) » (p. 28)

D’éducation à l’école aussi, et comment l’enfant décide, après avoir redoublé sa deuxième classe, de devenir bon élève, et comment l’adolescent s’applique studieusement à réussir ses études pour devenir instituteur, et ne pas retourner travailler au champ.

Enfin ce roman résonne aussi de toute la tendresse d’un petit garçon pour ses tantes qui connaîtront une fin tragique, pour sa famille et surtout pour son père, qui se saigne aux quatre veines pour lui et sa famille, partant endetté pour la France, lui permettant de partir faire des études alors qu’il se retrouve seul à assumer la charge de travail pour nourrir sa famille :

« Ce repas, sous l’oeil dédaigneux des hommes, fut un supplice pour moi. Kaci et Arab se moquaient de ceux qui ne savaient pas élever leurs enfants. L’allusion était directe, je rougissais et je pâlissais. Je me disais, pour diminuer ma faute, que mon père n’avait pas faim. Mais je dus me détromper car, en rentrant à la maison, je lui trouvai, entre les mains, mon petit plat en terre cuite, orné de triangles noirs et rouges. Ce jour-là, il retourna au travail le ventre à moitié vide, mais il grava, une fois pour toutes, dans le coeur de son fils, la mesure de sa tendresse. » (p. 71)

Un livre devenu culte de cet écrivain qui fut assassiné par l’OAS à Alger le 15 mars 1962.
Le fils du pauvre / Mouloud Feraoun. – Paris : Éd. du Seuil, 1995. – 145 p. : couv. ill. en coul. ; 18 cm. – (Points ; 180). - ISBN 2-02-026199-5 (br.) : 29 F.
Emprunté au CDI
Écrivain algérien de langue française (Tizi Hibel, Grande Kabylie, 1913 - El Biar, Alger, 1962).

L’Amour, la fantasia * d’Assia Djebar (1985)

09.01
2011

Algérie, juin 1830. La ville d’Alger est prise d’assaut par la flotte française. Ce n’est que le début d’une vaste guerre pour conquérir les terres algériennes.  Parallèlement, dans un passé plus proche, les femmes vivent cloîtrées dans un village du Sahel, ce qui n’empêche pas les jeunes filles de rêver à l’amour…

L’Amour, la fantasia fait partie de ces romans qui exigent une lecture attentive, un effort de lecture. Il mérite amplement de prendre son temps pour le lire. Or cela ne devait pas être le bon moment (cela arrive parfois) : sa lecture fut contraignante, il fut souvent abandonné pour d’autres livres, repris, posé, repris, me tombant des mains. Et puis, l’histoire étant entamée à moitié, tout fut soudain plus fluide dans la compréhension des événements.

Du reste, au final, il mérite une seconde lecture. Ecrit par une Académicienne dans une langue française extrêmement travaillée, il constitue pour cette Française native de l’Algérie un roman – somme, LE roman qu’il lui fallait à tout prix écrire pour revenir sur ses racines, sur ses origines.

Effectivement, L’Amour, la fantasia se présente sous la forme alternée de chapitres autobiographiques à la tournure impersonnelle et non linéaire, et de chapitres historiques évoquant les épisodes sanglants de la colonisation de l’Algérie par les Français en 1840. Les deux, bien entendu, se font écho. Le rapt des femmes promises à d’autres et brillant de mille bijoux répond aux mariages arrangés d’une époque plus contemporaine. C’est l’Histoire de la colonisation vécue enfin par les femmes, vue à travers les femmes, et écrite par une femme. Et comment l’écrire, précisément, sans se mettre en danger personnellement si ce n’est en évoquant son vécu comme s’il s’agissait d’une tiers personne ?

« Dire à mon tour. Transmettre ce qui a été dit, puis écrit. Propos d’il y a plus de un siècle, comme ceux que nous échangeons aujourd’hui, nous, femmes de la même tribu. » (p. 234)

En lire davantage avec des travaux universitaires :

De l’autobiographie à la fiction par Najiba Regaieg, Faculté des Lettres de Sousse

L’Amour – passion dans l’Amour, la fantasia par Aini Betoucche -Akchiche

L’amour, la fantasia [Texte imprimé] : roman / Assia Djebar. – Paris : Librairie générale française, 2001 (impr. en Allemagne). – 316 p. : couv. ill. en coul. ; 18 cm. – (Le livre de poche ; 15127). - ISBN 2-253-15127-0 (br.) : 5 EUR.

Le cimetière des princesses ** de Jacques Ferrandez (1995)

08.12
2010

Carnets d’Orient : tome 5

Marianne paie ses études aux Beaux-Arts en posant nue comme modèle chez un vieux peintre. Un jour, Sauveur, l’étudiant trop timide en médecine, dont elle est amoureuse, lui offre les vieux carnets de voyage d’un certain Joseph Constant, dont ses grands-parents possèdent un tableau. Son intérêt grandissant pour ce peintre du siècle dernier la pousse alors à suivre ses traces, accompagnée du vieux peintre, que ses amis, tous plus ou moins entichés d’elle, croient son amant. Ce qui rend furieux Sauveur et, du même coup, le pousse à trahir ses sentiments pour elle…

Dix tomes jalonnent la série « Carnets d’orient ». Avec ce cinquième tome s’achèvent les dernières heures de l’Algérie coloniale. Ferrandez rend au pays ses tons ocres et bleutés avec de superbes aquarelles. Malgré une documentation solide et des références incontournables, l’Histoire n’apparaît jamais qu’en toile de fond des destins de ses personnages, saisis dans la fleur de la jeunesse. C’est là tout l’art de Ferrandez qui est d’instruire par l’anecdote et l’émotion.

Autres tomes lus :

La guerre fantôme ** de Jacques Ferrandez (2002)

Rue de la bombe ** de Jacques Ferrandez (2004)

La fille du Djebel Amour ** de Jacques Ferrandez (2005)

Terre fatale ** de Jacques Ferrandez (2009)

Vous pouvez lire un topo sur la série sur Citrouille.

Le cimetière des princesses [Texte imprimé] / Ferrandez. – Tournai ; [Paris] : Casterman, 1995 (Impr. en Belgique). – 83 p. : ill. en coul., couv. ill. en coul. ; 31 cm. – (Carnets d’Orient. ; 5) (Studio (À suivre)). - ISBN 2-203-38873-0 (rel.) : 90 F.
Emprunté à la médiathèque

La guerre sans nom * de Patrick Rotman et Bertrand Tavernier (2001)

19.11
2010
Peut-être avez-vous vu déjà La Guerre sans nom de Bertrand Tavernier ? Ce film où d’anciens appelés de la guerre d’Algérie témoignent, habitant la région de Grenoble. On apprenait qu’ils étaient équipés des mêmes fusils que pendant la guerre 14-18, les fusils Lebel ; ils relataient leur vie quotidienne, les bordels militaires de campagne, leurs privations, les contrôles des villages, mais aussi les humiliations, les préjugés, le sourire kabyle, la torture, les corvées de bois, le sort réservé aux harkis et l’OAS…
Cet ouvrage constitue le récit du tournage du film de Bertrand Tavernier, l’ensemble « matériel » des témoignages recueillis pour le film.

Mais là où l’image suffit, ou suggère, ici il faut ajouter quelques lignes pour rendre les impressions des enquêteurs. Ce qui n’a pas été filmé aussi. Comme l’anecdote de ce cycliste qui décharge un chapelet d’injures haineuses en comprenant qu’ils parlent de l’Algérie. Comme le témoignage de Camille Pivano, difficilement audible car opéré à la gorge.

Tous les récits du film, et plus encore, retranscrits là, noir sur blanc.

La guerre sans nom [Texte imprimé] : les appelés d’Algérie, 1954-1962 / Patrick Rotman, Bertrand Tavernier. - [Nouv. éd.]. - Paris : Éd. du Seuil, 2001. - 305 p. : couv. ill. ; 18 cm. – (Points ; 913). – ISBN 978-2-02-051064-6 (br.) : 7 €.
Indice(s) Dewey : 965.046 8
Emprunté au C.D.I..

Guerre d’Algérie : des appelés vendéens témoignent * de Roger Albert (2006)

05.11
2010

Lui-même sous-officier en 1957-59 dans un régiment de dragons, Roger Albert a rassemblé ici, par ordre chronologique, des témoignages d’anciens appelés de la guerre d’Algérie. Photographies, coupures de presse  et affiches complètent le récit de ces Vendéens qui sont revenus de ce conflit meurtris.

Des récits objectifs, plus ou moins factuels, plus ou moins moins chargés d’émotion (le chapitre sur la sauvagerie d’Oued-Fodda l’est indubitablement, comme le passage où les appelés ramassent quarante morts). Peut-être pour tenir toutes ces souffrances à distance, et ne citer (le supplice de la baignoire et de la gégène), ne décrire  que pour véritablement témoigner.

Guerre d’Algérie [Texte imprimé] : des appelés vendéens témoignent / Roger Albert. - La Roche-sur-Yon : Centre vendéen de recherches historiques, impr. 2006. -  1 vol. (126 p.) : ill. en noir et en coul., couv. ill. en coul. ; 25 cm. – (La Vendée. les indispensables). - Bibliogr. et filmogr., 1 p.. – ISBN 2-911253-29-9 (br.) : 15 €.

Indice Dewey : 965.046 80922

Emprunté au C.D.I..

A quoi rêvent les loups de Yasmina Khadra (1999)

11.09
2010

« – Lève-toi, c’est un ordre.
– Je ne peux pas, je te dis.
Je braquai mon pistolet sur lui e
t je l’abattis.

Nous nous engouffrâmes dans les forêts, marchâmes une partie de la nuit et observâmes une halte dans le lit d’une rivière. Et là, en écoutant le taillis frémir au cliquetis de nos lames, je m’étais demandé à quoi rêvaient les loups, au fond de leur tanière, lorsque, entre deux grondements repus, leur langue frétille dans le sang frais de leur proie accrochée à leur gueule nauséabonde comme s’accrochait, à nos basques, le fantôme de nos victimes. » (p. 264)

 

A Alger, en cette fin des années 1980, Nafa Walid est engagé comme chauffeur au service de la famille richissime des Raja. Pas pour longtemps : dès que son collègue lui demande de l’aider à se débarrasser d’un cadavre que Junior, son patron, laisse derrière lui, il démissionne, révolté et écœuré. Lui qui rêvait de devenir une star du grand écran finit par se faire escroquer par un ancien acteur, qui lui promet de quitter ce pays, qui prend un visage austère et inquiétant avec la montée de l’intégrisme, pour partir en France faire du cinéma. Sans argent, sans travail, il trouve dans ses prières à la mosquée un peu de sérénité. Un jour, l’imam lui propose de faire le taxi et de donner sa recette pour la cause du FIS, en lui reversant un salaire correct. Nafa accepte…

 

Dès son chapitre d’ouverture, ce roman frappe très dur : ici nulle tendresse, nulle compassion. Dès les premières lignes, le narrateur vient d’égorger un bébé devant sa mère. Quoi de plus inhumain ? Les policiers ont encerclé l’immeuble où ses comparses et lui se sont réfugiés. Ils sont tous morts. On devine sa fin imminente. Comment en est-il arrivé là ?

C’est l’histoire de Nafa Walid que raconte ensuite Yasmina Khadra, ce jeune homme comme tant d’autres qui va finir par se faire enrôler par les islamistes radicaux. Il nous fait vivre le « printemps d’Alger », le refus par l’armée de la victoire du Front islamique du salut (FIS) aux élections législatives de 1991 et la guerre civile entre deux forces qui se déchirent avec l’armée d’un côté et les islamistes radicaux de l’autre.

Parfois les caractères sont tellement tranchés que l’auteur semble avoir un peu forcé le trait, mais le message est on ne peut plus clair. C’est bien d’un roman d’apprentissage qu’il s’agit ici, mais d’un apprentissage vers une véritable descente aux enfers, où la notion de bien et de mal disparait, où l’individu se dissout pour une cause dont il ne peut discuter les ordres.

Une mise en garde imparable.

 

KHADRA, Yasmina . – A quoi rêvent les loups. – Pocket, 2009 . – 274 p.. – (10979). – ISBN 978-2-266-20086-8 : 6,50 euros.

Acheté en septembre à la librairie Chantelivre d’Orléans.

A lire aussi de lui Les hirondelles de Kaboul ***