Mots-clefs ‘Afrique subsaharienne’

Petit pays de Gaël Faye

09.01
2017
cop. Grasset

cop. Grasset

Prix Goncourt des Lycéens 2016

Âgé d’une dizaine d’années, Gabriel, dit Gaby, est avec sa soeur Ana un enfant métis, nés d’un père Français, et d’une réfugiée rwandaise. En ce début des années 1990, il grandit dans l’impasse paisible d’un quartier résidentiel de Bujumbura, au Burundi, s’occupant à voler les mangues des jardins voisins avec sa bande de copains issus aussi de familles aisées. Un jour, alors qu’ils sont en visite chez Jacques, le meilleur ami de son père, un Belge qui parle et se comporte comme un colon raciste, ses parents se disputent violemment : à sa mère qui souhaite voir toute sa famille partir en France, son père répond qu’ »Ici, nous sommes des privilégiés. Là-bas, nous ne serons personne« . Lui ne voit que son confort matériel immédiat. Elle au contraire, qui a déjà dû fuir le Rwanda, est consciente d’une menace : « Quand tu vois la douceur des collines, je sais la misère de ceux qui les peuplent. Quand tu t’émerveilles de la beauté des lacs, je respire déjà le méthane qui dort sous les eaux« . Le père de Gaby a alors une parole malheureuse et raciste envers sa mère qui précipite leur séparation : sa mère quitte le domicile, et ses enfants. Plus rien dès lors ne sera jamais comme avant pour Gaby. Et, en effet, le lendemain de l’ivresse des élections présidentielles, un coup d’état de l’armée Tutsi renverse le nouveau président Hutu, élu pour la première fois démocratiquement. Aussitôt, la peur et la violence gagnent du chemin, les haines s’attisent, d’autant plus qu’au Rwanda, les massacres ont commencé…

Comme il y a un « avant » et un « après » la séparation de ses parents puis le massacre d’une partie de sa famille maternelle au Rwanda, il y a un « avant » et un « après » au Burundi, ce « petit pays » qui plonge aussi dans la guerre civile après l’assassinat de son président légitime 24h après son élection. Petite histoire dans la grande Histoire, ce récit autobiographique nous fait humer les saveurs de l’Afrique, la vraie, avant de nous plonger dans la bêtise humaine poussée à son paroxysme, jusqu’à la haine, jusqu’au génocide d’êtres humains vivant dans le même pays et ayant la même religion. Au courant, l’Occident détourne pudiquement les yeux, tandis que des gens sont brûlés vifs dans des voitures, des enfants éliminés comme des cafards dans les maisons. De tout ceci, Gaby aimerait se ternir à l’écart : ce n’est pas sa guerre, il ne la comprend pas, il ne veut pas y participer. Et pourtant, jusque dans son impasse où il se croyait à l’abri, elle va le rattraper.

C’est en partant de cette idée que Gaël Faye a voulu écrire ce premier roman, à la suite des attentats en France, évoquant par là notre naïveté de croire que la violence du monde autour ne parvient pas jusqu’à l’impasse, jusqu’à chez soi.

Un roman puissant.

Nouvelles graphiques d’Afrique de Laurent Bonneau

30.12
2016
cop. Des ronds dans l'O

cop. Des ronds dans l’O

C’est au festival BDBoum de Blois que je dois ma rencontre avec Laurent Bonneau, jeune, le sourire intimidé, les yeux limpides, que semblaient s’arracher quelques éditeurs le vendredi soir. Le lendemain, je le retrouvai sur le stand de la maison d’édition Des ronds dans l’O, derrière quelques exemplaires de cet album.

Il suffisait alors de feuilleter un exemplaire pour que son talent me saute aux yeux. Voici la belle dédicace qu’il a faite pour ce cadeau de Noël :

cop. Des ronds dans l'O

cop. Des ronds dans l’O

Je n’ai bien sûr pas résisté à la curiosité de le découvrir moi-même avant de l’offrir, et j’aurais eu tort de bouder ce plaisir…

Rentré de plusieurs voyages avec ses carnets de croquis et ses court-métrages, Laurent Bonneau nous invite là à un voyage tant géographique, humain, introspectif que graphique.

En effet, pour chacun de ces onze récits en focalisation interne, onze ressentis en Afrique subsaharienne, tantôt sous forme de pensées poétiques ou de monologues intérieurs, tantôt sous forme journalistique, Laurent Bonneau a choisi une forme graphique différente : car on ne raconte pas la même chose avec un crayon charbonneux, des couleurs pastel ou des coups de stylo bic. Difficile de ne pas être soufflé par la virtuosité de cet artiste plasticien, passant de l’une à l’autre technique avec aisance. Nombreuses sont les pages qui forcent l’admiration.

Un album magnifique.

Aya de Yopougon de M. Abouet et C. Oubrerie

22.12
2016
cop. Bayou

cop. Bayou

 

La Côte d’Ivoire dans les années 1970. A cette époque-là, insouciante, l’unique préoccupation des copines de Aya était de retrouver leur amoureux à la nuit tombée…

Avec une mise en planches sous forme de gaufrier de six cases aux couleurs pastel, cette histoire est douce, légère et pétillante de vie comme un printemps. Mais pas de quoi me donner plus que ça envie de lire les tomes suivants.

Galadio de Didier Daeninckx (2010)

25.09
2010

Galadio, c’est le prénom secret d’Ulrich, celui que sa mère qui l’élève seule ne prononce jamais. L’adolescent vit mal sa soudaine mise à l’écart de certaines activités comme la natation, et assiste, impuissant, à la confiscation des animaux de ses voisins Juifs, telle Takouze la tortue, puis à leur mise à mort. Un jour, c’est lui que les SA viennent chercher pour faire des « analyses » à l’hôpital, où il retrouve d’autres métis que l’on destine à être stérilisés. C’est alors qu’un couple le choisit comme figurant pour un film de propagande nazie pour son grain de peau, lui, le fruit des amours interdits entre un tirailleur Sénégalais recruté sous le drapeau français et une Allemande, qui fut tondue…

Entre les deux guerres mondiales, le narrateur assiste, dans les rangs des opprimés, à la montée du nazisme et à ses corollaires : l’antisémitisme et le racisme. Pour alimenter cette haine de l’autre, il joue lui-même en tant que figurant puis acteur tous les clichés de rumeurs et de préjugés racistes, de Noirs violeurs de femmes allemandes, de benêts « Y’a bon Banania » recensés dans les scénarii de films de propagande nazie. Il ne peut dès lors jouer que le rôle qu’on lui assigne, devenir que ce que l’on veut qu’il soit. De la même façon, il ne se révolte pas lorsqu’on lui interdit l’accès à la piscine, et d’ailleurs personne ne prend son parti ni ne désobéit. Le silence entoure son exclusion, la passivité permet l’injustice. Les seuls résistants, ce sont les voisins Juifs qui lisent entre les lignes de la presse écrite ennemie, pour se tenir informés, et abritent chez eux Galadio en fuite, et la mère de Galadio qui choisit de le mettre au monde malgré l’opprobre et de le garder… Les actes de résistance, ce sont la recherche d’informations, la lecture, l’esprit critique, la solidarité et l’amour.


DIDIER DAENINCKX GALADIO
envoyé par Backstreetprod. – Regardez plus de courts métrages.

Dans toute son oeuvre, Didier Daeninckx n’a de cesse de rappeler ces détails de l’Histoire qui ne figurent dans aucun manuel, aucun programme. Par le biais d’un destin individuel, il lève tout un pan d’une réalité vécue par des victimes de décisions politiques, exclus et opprimés. Ici encore, il a rassemblé une documentation fouillée pour donner jour à ce roman d’aventures dont le héros, persécuté en Allemagne nazie, partira en quête de son identité en Afrique subsaharienne. Une oeuvre militante écrite d’une plume simple mais efficace.

Dans la même veine, on songera au sort réservé aux Canaques lors de l’Exposition Coloniale de 1931 dans son roman Cannibale, publié en 1998, dans lequel intervient un homme de l’entretien dans un métro, ancien tirailleur sénégalais, et aux esclaves africains au 17e siècle, dans Zumbi de Jean-Paul Delfino.

Du même auteur dans Carnets de SeL :

Meurtres pour mémoire ** (1984),

La mort n’oublie personne ** (1989),

Cannibale ** (Verdier, 1998),

Ceinture rouge précédé de Corvée de bois ** (2001-2002),

Itinéraire d’un salaud ordinaire ** (2006).

DAENINCKX, Didier. – Galadio. – Larousse, 2010. – 175 p. ; 18 cm. – (Les Contemporains, classiques de demain). – ISBN 978-2- : 3,95 euros.

ou Gallimard, 2010. – 139 p.. – ISBN 978-2-07-012953-9 : 15,50 euros.

Trois femmes puissantes de Marie NDiaye (2009)

09.09
2009

Qu’il est ténu le fil qui relie ces trois récits  mis bout à bout pour constituer ce qui ne pourrait être un roman mais se dit tel, tant le genre de la nouvelle reste largement déprécié en France. Publiée en tant que recueil de nouvelles, jamais cette oeuvre n’aurait pu avoir le Goncourt, ou même un prix équivalent.

Ce fil, ce sont ces menus détails tout juste effleurés, la brève évocation d’un lien de parenté, d’un village, du nom d’une prison, d’un emploi de domestique chez le père d’une autre, mais c’est surtout un thème qui soude ces trois histoires en un « recueil » romanesque. Ici, la force des femmes, c’est de vouloir s’élever au-dessus de leur héritage familial, c’est de décider de leur destin, jusqu’à ce qu’un homme, père, mari ou amant, le fasse vaciller voire sombrer, par son égoïsme, sa lâcheté, son inconséquence ou sa trahison.

C’est l’histoire de Norah, de Fanta, de Khady Sambra, toutes trois parties ou voulant partir du Sénégal. La première, devenue avocate en France, retourne au pays sur la demande de son père, qu’elle retrouve juché en tongs sur un flamboyant, pour sauver son frère, Sony, bardé de diplômes, accusé du meurtre de sa jeune belle-mère. Fanta, devenue professeure d’université alors qu’issue d’un milieu très modeste, se retrouve en Gironde mère au foyer, par la faute de son époux qui n’a pas su un jour faire taire les démons de son père et a été déchu de ses fonctions. Khady, enfin, cousine de Fanta, elle a été la domestique du père de Norah. Veuve, devenue inutile, elle est confiée par sa belle-famille à un passeur. Commence un périple dangereux semé d’embûches mais accepté avec dignité…

« Il percevait près de lui un autre souffle que le sien, une autre présence dans les branches. Depuis quelques semaines il savait qu’il n’était plus seul dans son repaire et il attendait sans hâte ni courroux que l’étranger se révélât bien  qu’il sût déjà de qui il s’agissait, parce que ce ne pouvait être nul autre. Il n’en éprouvait pas d’irritation car dans l’obscure quiétude du flamboyant son coeur battait alangui et son esprit était indolent. Mais il n’en éprouvait pas d’irritation : sa fille Norah était là, près de lui, perchée parmi les branches défleuries dans l’odeur sure des petites feuilles, elle était là sombre dans sa robe vert tilleul, à distance prudente de la phosphorescence de son père, et pourquoi serait-elle venue se nicher dans le flamboyant si ce n’était pour établir une concorde définitive ? Il entendait le souffle de sa fille et n’en éprouvait pas d’irritation. » (p. 93-94)

La prose de Marie NDaye s’étire sur de longues phrases, scandées par des rimes ou la juxtaposition d’épithètes ou d’adverbes. Il peut paraître difficile, au tout début, de s’adapter à ce style, très travaillé. De même, chaque nouveau chapitre exige une attention nouvelle, la plongée dans une autre histoire, opérant autant de cassures entre chaque récit. Enfin, on referme ce roman puis on le reprend avec un certain malaise, relativement séduit par cette plume ensorcelante, mais dérouté par le portrait psychologique extrêmement négatif fait aux hommes et les affres de l’humiliation de ses personnages.

Vous l’aurez compris, malgré la finesse de ses descriptions psychologiques, mon avis reste partagé, et je lui ai préféré la simplicité et la justesse des Hommes de Laurent Mauvignier qui, hélas, n’a été distingué que par un prix méconnu.

NDIAYE, Marie. – Trois femmes puissantes. – Paris : Gallimard, 2009. – 316 p.. – (Nrf). – ISBN 978-2-07-078654-1 : 19 euros.

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Les femmes de mon père de José Eduardo Agualusa

03.04
2009

cop. Carnets de SeL

« - Avec combien de vérités fabrique-t-on un mensonge ?
La lumière très pure, filtrée d’abord par un grillage très fin fixé à la fenêtre, puis par la moustiquaire entourant le lit, se glissait en un torrent dubitatif qui communiquait son propre doute à la réalité. » (p. 15)

A la mort de son père, Faustino Manso, célèbre compositeur angolais, Laurentina, la plus jeune de ses dix-huit enfants conçus avec sept femmes différentes, décide avec son jeune neveu Bartolomeu Falcato d’entamer un documentaire sur sa vie, un road movie, qui démarre à partir de Luanda, capitale de l’Angola, et traverse ensuite toutes les villes où celui-ci a vécu, en Namibie, en Afrique du sud,…
Sous la forme d’un journal, d’un carnet de voyage, de fragments d’interviews, de rêves, José Eduardo Agualusa évoque le continent africain, ses règles sociales et les maladies qui le gangrènent, mais il écrit surtout un roman sur les liens qui se tissent entre parents et enfants, qu’ils soient de même sang ou non, sur la maternité, sur le désir et enfin sur la condition de la femme.
AGUALUSA, José Eduardo. – Les femmes de mon père / trad. du portugais par Geneviève Leibrich. – Métailié, 2009. – 325 p.. – (Bibliothèque portugaise). – ISBN 978-2-86424-678-7 : 20 €.

Bernard Magnier (2004)

15.11
2006

directeur du département « Afriques » chez ACTES SUD

Etudiant, Maryse Condé lui a fait découvrir les littératures venues d’Afrique et de la Caraïbe. Les mots étaient neufs, écrits avec leurs «tripes». Il s’y est tellement intéressé qu’il est devenu journaliste et critique littéraire.
Il y a 11 ans, Actes Sud lui propose la création d’un département «Afriques» au sein de la maison. Actuellement, il accepte 1 des 100 manuscrits qui lui parviennent. Il anime des stages de formation de bibliothécaires et de documentalistes tant en France que dans divers pays africains.

Comment choisissez-vous un roman ?

Le choix est forcément subjectif. Le tout est de choisir honnêtement.
En art, l’objectivité n’existe pas. L’histoire littéraire est jalonnée d’erreurs.
Lorsqu’un manuscrit arrive à la maison d’édition, il y a un premier tri à la réception, afin de réorienter l’auteur qui se serait trompé d’adresse et qui aurait envoyé un manuscrit plutôt destiné à une autre collection, une autre maison, ou d’éliminer les manuscrits qui, dès la première page, font preuve d’une très médiocre qualité.
Il y a un second temps constitué de manuscrits qui peuvent envisager d’être publiés, que je lis puis qui sont lus par différents lecteurs de la maison.
Par an, Actes Sud reçoit quelque chose comme 6000 ou 7000 manuscrits et en publie 500. Dans mon domaine, c’est plus difficile à chiffrer, mais c’est de l’ordre de 1 à 2 %. C’est très faible parce que je publie 5 ou 6 livres par an pour l’ensemble du continent sud-africain, y compris les livres qui sont traduits, et donc déjà publiés dans une autre langue. La sélection est donc redoutable.

Les écrivains publiés chez Actes Sud peuvent-ils aussi être publiés en Afrique ?

Beaucoup d’écrivains africains vivent en dehors de leur pays natal. Cela peut être un exil familial, économique ou politique. Certains vivent en France et sont donc plus proches des structures éditoriales. De plus il y a l’attraction de la France, vue comme prestigieuse.
Pour les autres, demeurés en Afrique, il existe peu de maisons d’édition leur permettant de tout dire ou d’être diffusés à l’étranger. En France, la diffusion est plus large, non censurée mais en revanche, les livres sont plus chers. Pour les auteurs s’exprimant dans d’autres langues que le français (anglais, portugais ou une langue africaine), ils ont, en général, déjà été publiés ailleurs, et traduits.

Combien de temps faut-il entre le temps où le livre est lu et le moment où il est vendu ?

C’est très variable.
Disons entre trois mois pour les plus rapides et parfois plus d’un an pour d’autres.

Rencontrez-vous tous les écrivains que vous publiez ?

Il y en a qui, malheureusement, sont morts, d’autres vivent loin… Mais lorsque c’est possible, c’est toujours avec plaisir.

Avez-vous une politique d’auteur ?

Oui, nous aimons suivre un auteur. Ne pas publier un seul livre. Plusieurs auteurs de la collection ont déjà deux, trois et pour l’un d’entre eux, cinq livres. On accompagne un auteur. Une complicité se crée entre un auteur et un éditeur. L’un n’existe pas sans l’autre.
J’aime à définir mon rôle comme celui d’un «passeur d’enthousiasme».

Comment Actes Sud a-t-elle eu l’idée de créer votre département  ?

Il y a d’abord eu Actes Sud, Actes Sud junior et Actes Sud papier. Puis il y eut de nombreux départs, chaque nouvelle collection devenant une question de langue. Il y a eu ainsi « Afriques » qui regroupe une notion géographique, puis «Sinbad» qui regroupe les auteurs du monde arabe.

Pourquoi Actes Sud a-t-elle décidé de s’installer à Arles ?

Nyssen, belge, écrivain, a décidé de la fonder à Arles il y a 27 ans. L’idée de s’expatrier fait parler de la maison d’édition. Il a choisi par ailleurs de se démarquer avec un format original et un papier beige de qualité.

Propos recueillis en décembre 2004

et relus par Bernard Magnier en novembre 2006