Mots-clefs ‘1914-1918’

Dictionnaire de la grande guerre

30.11
2014

cop. Larousse

En guise d’ouverture, avant d’aborder chronologiquement la Grande Guerre, les auteurs reviennent sur la mémoire collective du conflit, les torts partagés dans le déclenchement de la guerre, la ténacité des soldats et la défaite de l’Allemagne. Force est de constater qu’une sélection à été faite parmi les entrées du Dictionnaire de la Grande Guerre, sélection indispensable que résout généralement l’index.

Somme toute, un ouvrage de référence sur le sujet.

Dictionnaire de la Grande guerre / sous la dir. de Jean-Yves Le Naour. – Larousse, 2014.- 495 p. : couv. ill. en coul. ; 19 cm.- (A présent). – Bibliogr., Chronol., Index. – EAN13 978-2-03-589746-6 : 9,90 €.

L’ordre du jour ** d’Edlef Köppen (1930)

06.03
2011

Copyright éd. Tallandier

« Vous ne devriez pas lire ce livre.
Roman sans lecteurs, interdit par les nazis dès 1933, condamné au silence depuis soixante-treize ans, L’Ordre du jour figure en tête de la Liste des produits littéraires nocifs et indésirables établie par les services de propagande du Reich. » (note de l’éditeur en quatrième de couverture)

Censuré pendant la période nazie, perdant son auteur en 1939, mort des suites de ses blessures de guerre, L’Ordre du jour, qui fut pourtant salué par la critique à sa parution, tomba dans l’oubli jusque dans les années soixante-dix. Erreur que corrige cette présente édition française… datant de 2006. Or ce roman sur la première guerre mondiale, injustement méconnu à côté du succès extraordinaire que remporta A l’ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque (1929), mérite amplement qu’on s’y arrête :

Engagé volontaire, le canonnier Adolf Reisiger est envoyé dès octobre 1914 aux alentours d’Arras, commence par des corvées absurdes et répétitives, avant de partir à la bataille de Notre-Dame-de-Lorette. Au front, souvent, c’est l’attente des ordres sans pouvoir contre-attaquer les salves de l’ennemi. Soigné deux fois à l’hôpital de Douai, Adolf est transféré en 1916 à la bataille de la Somme, où une contusion pulmonaire le contraint à une nouvelle hospitalisation pendant deux mois. Fin 1916, le voilà en Russie, où un cessez-le-feu donne soudain un visage humain à l’ennemi en face, avec qui les soldats font du troc, avant de s’interrompre sans prévenir. A son grand soulagement, il repart au printemps 1918 pour l’ouest de la France où c’est la défaite…

Au tout début le narrateur se déclare extrêmement volontaire : il veut accomplir son devoir pour la patrie. Et, insidieusement, de fil en aiguille, à force de voir ses camarades se faire déchiqueter pour un ordre absurde, des gradés plus jeunes que lui perdent et la tête et la vie, découvrir des armes de plus en plus meurtrières, comme les tanks ou le gaz (description effroyable d’un bois mort qu’il traverse et dans lequel son camarade périt). De fait, au fur et à mesure, il met un visage connu sur les morts, jusqu’à reconnaître le sien sur celui d’un soldat en face, ou la voir planer sur les dormeurs dont la guerre a creusé les traits et fait ressortir les orbites. A un moment donné, il écrit deux poèmes pacifistes, sans vraiment s’en rendre compte, et qui, publiés, vont lui attirer des ennuis. Ce n’est que le signe avant-coureur d’une lente conversion vers le pacifisme, qui le mènera tout droit à un asile d’aliénés à la fin de la guerre.

« Le sol glaiseux est répugnant, on dirait du miel synthétique. Les hommes, dans leur trou, ne peuvent plus faire de mouvement normal, les membres dérapent dans une gelée visqueuse. Il n’est quasiment plus possible d’être assis. Un simple mouvement de tête suffit à mettre le corps en déséquilibre. Ils s’arc-boutent des deux mains sur le fond pour se soutenir.
L’ennemi marmite.
La pluie déverse.
L’eau monte lentement dans le trou.
Reisiger plonge dans sa poche de tunique, en ressort un carnet, déjà à moitié trempé. Il le place à travers tunique et chemise, contre la poitrine. Winkelmann veut sauver son pansement individuel. Il le tire de la poche : gonflé, graisseux comme une éponge usée. Il le laisse tomber à terre. Tous deux le voient nager comme un petit navire, puis sombrer.
L’ennemi marmite.
La pluie déverse.
Ils sont trempés jusqu’aux os. L’eau, dans le trou, est montée si haut qu’elle baigne leurs coudes.
L’ennemi marmite.
Quelle heure ?
Lorsque l’aviateur est revenu, il devait être minuit. Reisiger ressort une main de l’eau, retrousse la manche, la montre-bracelet fonctionne encore. Il la tend à Winkelmann. Sept heures du matin.
Depuis sept heures, l’ennemi marmite.
L’obus de 75 millimètres projette 508 éclats à la ronde, l’obus de 150 millimètres 2030, l’obus de 305 millimètres 8110. Profondeurs de pénétration : dans la terre  1,80 mètre, 4,10 mètres, 8,80 mètres.
L’ennemi marmite.
La pluie déverse. » (p. 227)

Largement autobiographique, L’Ordre du jour retranscrit de manière romanesque toute l’horreur de la première guerre mondiale durant ses quatre longues années, un témoignage qui s’inscrit donc davantage dans la durée qu’A l’ouest rien de nouveau, et qui permet de nous faire vivre l’horreur côté allemand. Non seulement ce récit en devient plus fort, sans chercher ni beauté ni héroïsme dans le moindre acte, mais surtout il revêt une forme littéraire bien plus moderne que celle du roman d’Erich Maria Remarque, puisqu’à sa transcription romanesque du conflit, dans un style très sobre, Edlef Köppen a joint des documents historiques provenant des archives de Potsdam et des coupures de presse ou encarts publicitaires conservés par sa mère durant la guerre : entre les extraits du journal du canonnier sont ainsi intercalés avec à propos des messages de la direction générale de la censure, de la police des moeurs, du Vatican, des télégrammes aux généraux, etc. et ordres du jour. Et c’est ainsi qu’a posteriori Edlef Köppen découvre que tous les soldats envoyés à l’ouest en 1918 n’étaient finalement que de la chair à canon, donnés en sacrifice à l’ennemi pour en détourner les forces armées.

Un de ces romans puissants qui vaut tous les discours sur l’horreur de la guerre.



traduit de l’allemand par François Poncet
postface de Jens Malte Fischer
Paris  : Ed. Tallandier , 2006
365 p.  ; 22 cm
ISBN 978-284734-259-8 (br.)

L’adieu aux armes * à ** d’Ernest Hemingway (1932)

06.02
2011

copyright Folio

Au cours de la Première Guerre mondiale, un soldat américain engagé aux côtés des Italiens fait la connaissance d’une infirmière. Blessé, il sera soigné et veillé par elle nuit et jour. Bientôt elle lui apprend qu’elle attend un enfant, alors que lui doit repartir au Front…

L’Adieu aux armes s’inspire très largement du vécu d’Hemingway dans la mesure où lui-même est parti pour le front italien comme ambulancier pendant la Première Guerre mondiale, avant d’être grièvement blessé et soigné trois mois dans un hôpital de Milan, où il s’éprend d’une jeune infirmière américaine, Agnes Von Kurowsky, qui lui inspirera le personnage de l’infirmière anglaise Catherine Barkley.

A cette belle histoire d’amour, qui se termine tragiquement, se greffe un pamphlet contre l’absurdité de la guerre, où l’on tue des innocents et fusille des gradés de son propre camp (p. 216-218), et dont chaque soldat aspire à la fin, que cette dernière se solde par un succès ou par un échec. Car Ernest Hemingway fait partie de cette génération qui est partie combattre pendant la première guerre mondiale et qui est revenue complètement désabusée, écoeurée par des actes de barbarie bien éloignés de leurs rêves de gloire et d’héroïsme, la « génération perdue » comme on a pu l’appeler.

« La rivière avait emporté ma colère avec toutes mes obligations… Celles-ci, du reste, avaient cessé dès l’instant où les carabiniers m’avaient mis la main au collet. J’aurais aimé être débarrassé de mon uniforme, malgré le peu d’importance que j’attachais aux signes extérieurs. J’avais arraché mes étoiles, mais c’était par prudence. Ce n’était pas par point d’honneur. En principe, je n’avais aucune objection. J’étais libéré. Je leur souhaitais à tous bonne chance. Quelques-uns la méritaient, les bons, les braves, les clames, les intelligents. Quant à moi, je ne faisais plus partie des acteurs de la comédie, et je ne souhaitais qu’une chose, l’arrivée de ce train à Mestre afin de pouvoir manger et cesser de penser. Il faudrait cesser, absolument. » (p. 224)

Une écriture sèche et concise pour un roman devenu un grand classique de la littérature américaine, mais qui ne m’a pas pleinement conquise.

L’Adieu aux armes / Ernest Hemingway ; trad. de l’anglais par Maurice-E. [Edgard] Coindreau. – [Paris] : Gallimard, 1972. – 319 p. : couv. ill. ; 18 cm. – (Folio ; 27). . – Trad. de : A Farewell to arms. - ISBN 2-07-036027-x (br.) : 6 F.
Emprunté au C.D.I.

Les âmes grises de Philippe Claudel

16.09
2005

copyright Stock

Un policier vieillissant noircit des pages de cahiers, cherchant dans l’écriture un exutoire à son deuil, à son chagrin, à sa faillite. Il raconte des faits datant de vingt ans, en 1917, dans un village lorrain étreint par l’hiver et les échos de coups de canon par-delà la colline. Il y a l’Affaire, ce meurtre qui l’obsède, cette petite fille qui avait l’air d’un ange, assassinée dans le froid de l’hiver, au bord de la rivière, près du château d’un procureur veuf et solitaire, Pierre-Ange Destinat. Le juge Mierk accompagné du colonel Matziev, deux ogres dépourvus de sentiment, auront tôt fait de classer l’affaire en trouvant en la personne de deux jeunes déserteurs les coupables idéaux. Car l’âme des habitants de ce village n’est pas bien belle à voir à cette époque, engluée dans un climat social où les nantis font loi. Belle de jour, on l’appelait, cette petite fleur dont la présence illuminait les « âmes grises » de cette ville provinciale. C’était peut-être là son seul tort, tout comme ces deux autres fleurs, Lysia, la jeune institutrice, dont le suicide restera incompris, et Clémence, la femme du narrateur, qui mourra seule en donnant vie à son enfant…

Dans ce roman, Philippe Claudel n’a pas voulu retranscrire une guerre, celle des gueules cassées, mais reconstituer toute une époque, un climat social, réussissant à nous faire sentir cette odeur âcre et deviner cette teinte grise d’un monde révolu. Il excelle ainsi dans l’art du parler populaire de naguère, retrouvant ou réinventant le vocabulaire de l’époque, les vieilles expressions. Il nous dépeint surtout une ville provinciale qui croit échapper à la guerre alors qu’elle a perdu tout espoir, toute étincelle de vie. Un roman triste, où se révèlent la force d’une écriture et un talent certain.

Prix Renaudot 2003
CLAUDEL, Philippe. – Les âmes grises. – Paris : Stock, 2003. – 284 p. ; 22 cm. – ISBN 2-234-05603-9 : 18,80 €.
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