
cop. Folio
Dès sa préface, Isadora Duncan nous séduit par ce beau texte empreint d’humilité, où elle admire ceux qui savent si bien écrire que l’on peut tout imaginer avec eux. Sa biographie une fois lue, il nous serait difficile de ne pas admirer à notre tour cette égérie de la Belle Epoque, qui ouvrit une voie à la danse moderne, en bannissant tutu et pointes pour leur préférer tunique grecque et pieds nus, et qui fut surtout une femme hors du commun, féministe individualiste.
Très tôt la danse se révèle plus qu’une passion pour Isadora Duncan : une raison de vivre. Aussi, sa mère pianiste et professeur de musique, et son père poète absent pouvant difficilement joindre les deux bouts pour la loger et la nourrir, avec ses autres frères et soeurs, Isadora délaisse très vite une école bien-pensante qu’elle déteste, pour donner des cours de danse aux enfants du quartier. Les coups du sort et leurs envies pousseront la mère Dora et ses enfants à quitter les Etats-Unis pour tenter leur chance en Europe, à Londres puis à Paris, où Isadora, grâce à son opiniâtreté, à son talent et à sa créativité, devait connaître le succès…
Particulièrement inspirée par la mer et la mythologie grecque jusqu’à l’excès (toujours vêtue d’une tunique grecque, elle fit construire un temple à Kopamos, recruta une chorale, une troupe près de l’Acropole d’Athènes), athée par sa mère, foncièrement indépendante et débrouillarde, totalement désintéressée, ne vivant que pour son Art, elle trouve la pantomime sans intérêt, le théâtre sclérosé, compare la danse classique à de la gymnastique rigide, ennemie de la nature et de l’Art. Pour elle, la danse doit véhiculer des émotions, et elle se battra jusqu’au bout pour enseigner aux jeunes son Art…
« Les réceptions que nous donnions chaque semaine dans notre maison de Victoria Strasse étaient devenues le centre de l’enthousiasme artistique et littéraire. On y entendait maintes discussions érudites sur la danse en tant que l’un des beaux-arts, car les Allemands apportent un sérieux infini à toutes les controverses artistiques. Ma danse était le sujet de débats violents, parfois enflammés. Les journaux publiaient constamment des colonnes entières qui tantôt saluaient en moi le génie d’un art nouvellement découvert, et tantôt m’accusaient de détruire la véritable danse classique, c’est-à-dire le ballet. Au retour de représentations où le public avait montré une joie sans limites, je veillais tard dans la nuit, assise en tunique blanche, avec un verre de lait près de moi, plongée dans la Critique de la raison pure, d’où je croyais, Dieu sait comment, tirer une inspiration pour ces mouvements de pure beauté que je cherchais. » (p. 176)
Une magnifique autobiographie d’une artiste hors du commun, étroitement liée au milieu artistique, intellectuel et aristocratique de l’époque, qui passionnera sans aucun doute non seulement les amateurs, mais aussi tous ceux d’entre vous qui méconnaissent sa vie, succession de courtes joies et de grands drames.
En savoir plus :
- Isadora, film franco-britannique de Karel Reisz (1968)
- Maurice Lever, Isadora. Roman d’une vie, Paris, Presses de la Renaissance, 1986
- Alice Hubel, Isadora Duncan, éditions Park Avenue, coll. Une vie un roman, 1994
- Geneviève Delaisi de Parseval, Le Roman familial d’Isadora D., Paris, Odile Jacob, 2002
- John Dos Passos, La Grosse Galette, roman dans lequel il décrit au cours d’un chapitre la jeunesse, la carrière et la mort d’Isadora Duncan.
Tags: 1870-1914, autobiographie, danse, danse moderne, Isodora Duncan, La Belle Epoque