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Un policier vieillissant noircit des pages de cahiers, cherchant dans l’écriture un exutoire à son deuil, à son chagrin, à sa faillite. Il raconte des faits datant de vingt ans, en 1917, dans un village lorrain étreint par l’hiver et les échos de coups de canon par-delà la colline. Il y a l’Affaire, ce meurtre qui l’obsède, cette petite fille qui avait l’air d’un ange, assassinée dans le froid de l’hiver, au bord de la rivière, près du château d’un procureur veuf et solitaire, Pierre-Ange Destinat. Le juge Mierk accompagné du colonel Matziev, deux ogres dépourvus de sentiment, auront tôt fait de classer l’affaire en trouvant en la personne de deux jeunes déserteurs les coupables idéaux. Car l’âme des habitants de ce village n’est pas bien belle à voir à cette époque, engluée dans un climat social où les nantis font loi. Belle de jour, on l’appelait, cette petite fleur dont la présence illuminait les « âmes grises » de cette ville provinciale. C’était peut-être là son seul tort, tout comme ces deux autres fleurs, Lysia, la jeune institutrice, dont le suicide restera incompris, et Clémence, la femme du narrateur, qui mourra seule en donnant vie à son enfant…
Dans ce roman, Philippe Claudel n’a pas voulu retranscrire une guerre, celle des gueules cassées, mais reconstituer toute une époque, un climat social, réussissant à nous faire sentir cette odeur âcre et deviner cette teinte grise d’un monde révolu. Il excelle ainsi dans l’art du parler populaire de naguère, retrouvant ou réinventant le vocabulaire de l’époque, les vieilles expressions. Il nous dépeint surtout une ville provinciale qui croit échapper à la guerre alors qu’elle a perdu tout espoir, toute étincelle de vie. Un roman triste, où se révèlent la force d’une écriture et un talent certain.
Prix Renaudot 2003CLAUDEL, Philippe. – Les âmes grises. – Paris : Stock, 2003. – 284 p. ; 22 cm. – ISBN 2-234-05603-9 : 18,80 €. Dans ma bibliothèque Voir les 2 commentaires sur l’ancien blog
Tags: 1914-1918, meurtre, Philippe Claudel, première guerre mondiale, prix Renaudot, Rentrée 2003, suicide