Elle a cette insouciance de ses 15 ans 1/2, coiffée d’un chapeau d’homme et d’escarpins lamés or, elle traverse le Siam sur le bac. Une limousine noire avec chauffeur. Son propriétaire, un homme jeune, lui propose timidement de la raccompagner. C’est le début d’une relation scandaleuse entre cette jeune occidentale sans le sou et cet étudiant richissime, dans sa garçonnière…
« Ce vieillissement a été brutal. Je l’ai vu gagner mes traits un à un, changer le rapport qu’il y avait entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front de cassures profondes. »
« Voilà ce qui a dû arriver, c’est que j’ai essayé ce feutre, pour rire, comme ça, que je me suis regardée dans le miroir du marchand et que j’ai vu : sous le chapeau de l’homme , la minceur ingrate de la forme, ce défaut de l’enfance, est devenu autre chose. Elle a cessé d’être une donnée brutale, fatale, de la nature. Elle est devenue tout à l’opposé, un choix contrariant de celle-ci, un choix de l’esprit. »
Autobiographie fantasmée par les souvenirs et l’écriture romanesque ? Nul ne le sait, pas même Marguerite Duras qui tente ici de faire toute la vérité sur son enfance indochinoise qui l’a à jamais marquée. Nonobstant, l’auteur qui signe L’Amant, le narrateur qui narre l’histoire et la protagoniste sont bien une seule et même personne. Ainsi, ce roman daté de 1984 éclaire rétrospectivement le roman fondateur Un barrage contre le Pacifique (1950) et tout le reste de son oeuvre.
Par ailleurs, ce roman a plus d’une raison de plaire : court, il met en scène une histoire romantique, celle d’une jeune rebelle anticonformiste, à laquelle beaucoup aimeront à s’identifier, qui rencontre une espèce de prince charmant qu’elle manipule allégrement, un jeune homme qui attend en vain des témoignages d’amour et d’affection, qui attirera la compassion de nombreux lecteurs, le tout dans un cadre empreint d’exotisme. En outre, il évoque plusieurs autres thèmes tels que l’initiation sexuelle, la sensualité, l’injustice maternelle, le drame familial, le racisme, l’impossibilité du mariage entre les différentes classes sociales. Mais surtout, et c’est la raison majeure pour laquelle j’ai apprécié ce roman, le style coule, les phrases fusent, que qu’en soit le registre, la parole est libérée. C’est cette « écriture courante » chère à Marguerite Duras, qui laisse surgir les images, les émotions, les pensées, sans censurer les redites ni les transgressions temporelles.
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