Jean-Paul Delfino (avril 2007)

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09.04
2007

Jean-Paul Delfino a su rester simple, humble. Généreux et entier, talentueux conteur d’anecdotes, il s’est prêté au jeu des questions-réponses avec 150 adolescents qui avaient lu Corcovado :

Je suis originaire d’une banlieue ouvrière de Marseille.A onze ans, j’avais trois rêves : être footballeur professionnel, professeur de lettres, et romancier. J’ai eu la chance de réaliser ces trois rêves, c’est-à-dire le premier, footballeur professionnel, en jouant en mini, cadet, junior de l’équipe de France. A l’époque, on ne parlait pas d’argent, mais j’ai dû arrêter quand on m’a cassé les deux genoux. Actuellement, à 42 ans, je serais devenu un vieux footballeur, et je suis devenu un jeune romancier, je n’ai donc pas perdu au change. Ensuite, j’ai suivi une école de journalisme à Bordeaux. Pour être clair, je ne crois pas que l’on puisse apprendre à écrire à quelqu’un. Il y a quelques techniques, mais une fois qu’on a ces techniques, c’est une question de motivation, si on a envie d’écrire et pourquoi on a envie d’écrire. Et j’ai exercé ce troisième métier qui était professeur de lettres pendant… une année, et pas davantage parce que je n’ai pas pu, parce que quand je fais les choses, je les fais complètement. Le premier cours, je m’en souviendrai toute ma vie, il y avait 37 élèves et, à la fin du cours, il n’en restait plus que cinq en classe, donc j’en avais viré 32. Et je me suis dit, j’étais très jeune, j’avais 21 ans, et le lendemain, quand je suis revenu, ils étaient 37 et j’ai fini à 37 parce qu’ils avaient compris que c’était une question de respect. Mais il faut être persévérant, patient et avoir la foi pour être prof. Moi, je ne peux pas. Je me suis donc ensuite tourné vers le journalisme, car c’est ce que je savais faire de moins mal. Vous me donnez un marteau et un clou, je suis incapable de m’en servir ; en revanche, écrire, j’ai toujours écrit. »

- Comment tout cela a-t-il commencé ?

« J’écrivais des poèmes. Je ne savais pas trop à quoi cela servait d’écrire, mais c’était là, il fallait que cela sorte. Et un jour, j’ai un ami qui vient me voir et qui me dit : »Tu sais, je suis amoureux d’une fille. Elle est belle. Toi, tu joues de la guitare, tu écris des chansons. Est-ce que tu peux lui écrire quelque chose ? Moi, je le recopie. Et puis voilà. » Je n’étais pas tout à fait persuadé que cela allait fonctionner comme cela, mais, arrivé à la maison, je prends ma plus belle plume et je commence à écrire une lettre d’amour pas très réussie, mais bon. Je la donne à mon copain qui la recopie, la donne à sa copine, et le lendemain, je les vois arriver à l’école main dans la main. Alors les choses se savent. Un deuxième copain vient me voir pour la même chose, et blam, main dans la main le lendemain, et je me suis pris pour une espèce de dieu sur terre. Un troisième ami vient me voir, sans vraiment décrire précisément la fille en question. Je rentre et je lui écris sa lettre, et le lendemain, je vois ce garçon qui arrive avec une jeune fille dont moi j’étais amoureux ! Il y a un peu de Cyrano de Bergerac là-dedans, mais je vous jure que cela s’est passé comme cela, sauf qu’après j’ai récupéré la fille. »


- Pourquoi écrivez-vous ?

« Je réponds, comme Souchon qui a répondu à « pourquoi chantez-vous ? » : pour plaire aux femmes. Je crois que j’écris pour plaire aux femmes, c’est-à-dire à ma mère, à ma soeur, à ma femme, à mes copines,…
Parce que, pour moi, la littérature, c’est ça, c’est donner de l’émotion. Avec un papier et un crayon, je pouvais provoquer de l’émotion amoureuse, mais on peut aussi provoquer de la révolte, on peut provoquer les larmes,…
<Et le plus beau compliment que l’on m’ait fait, c’était pour la sortie de L’Île aux femmes, il s’agissait de mon premier roman. Je tremblais comme une feuille, je l’ai écrit, je l’ai envoyé. Puis il sort. Donc je le reçois à la maison. Je pleure toutes les larmes de mon corps. C’est comme un bébé pour moi, c’est magique. Et donc, au bout de 15 jours, il y a une amie libraire qui me passe un coup de fil : « J’ai un client, un grand lecteur, il lit au moins 7 ou 8 livres par semaine. Il ne savait pas quoi prendre. Je lui ai conseillé L’Île aux femmes. » Alors je savais que ma mère en avait acheté 350, mais c’était mon premier lecteur inconnu. Et elle continue :  »Mais ça, c’était il y a quinze jours. Il vient de sortir de la librairie. Il m’a dit que jamais il n’arriverait à le lire jusqu’au bout. » J’ai pris peur, c’était donc si mauvais que ça, ce que j’avais écrit ? Et en fait, le lecteur lui avait expliqué qu’il lisait le soir au lit, et que, se trouvant être un roman un peu érotique, il arrêtait sa lecture pour faire l’amour à sa femme chaque soir.
On m’a forcé à l’école à lire des livres que je n’avais pas envie de lire parce que c’était dans le programme. On a essayé de me rentrer à grands coups de manuels scolaires les livres de Rabelais. C’était totalement indigeste. A l’époque, c’était Lagarde et Michard. Et finalement, il y a 7-8 ans, j’ai essayé de nouveau Rabelais et j’ai trouvé cela absolument génial. J’ai commencé à le lire pour le plaisir et non parce que j’y étais obligé. Et, alors qu’avant je le trouvais ennuyeux, j’ai trouvé, imaginez, c’était il y a plusieurs centaines d’années, un passage intitulé « les mille et une façons de se torcher le cul avec un oiseau. » Pour moi, la littérature a toujours été une source de joie, à condition qu’on s’amuse avec elle. Je trouve qu’actuellement, on prend la littérature beaucoup trop au sérieux. Les littérateurs, dont je fais partie, généralement ceux qui passent à la télé, sont plutôt âgés. Il y a deux ans, à Saint-Etienne, je rencontrais des lycéens, dans un quartier assez sensible. A 8 heures du matin, 80 adolescents comme vous attendaient, la prof n’étant pas encore arrivée, peut-être prise dans les embouteillages. Je m’avance vers la table. Deux gaillards aussitôt viennent vers moi.

« Eh m’sieur, qui vous êtes ?
- Je suis Jean-Paul Delfino. Je viens vous rencontrer.
- Non, non, vous êtes pas Delfino.
- Si, je vous assure et je viens vous parler de littérature.
- Ah non, m’sieur, vous êtes pas Delfino. »
Je suis marseillais, je commence un peu à m’énerver : »Mais pourquoi dites-vous que je ne suis pas Delfino ? »
Alors il me regarde de bas en haut et répond :
« Eh, M’sieur, les écrivains, ils sont tous morts ! »

Effectivement, je n’ai pas un look d’écrivain, c’est-à-dire je porte un bandeau dans mes cheveux longs, une boucle d’oreille, des pumas et un jean. Mais j’ai toujours été habillé comme cela, en toutes circonstances. Et je ne vois pas pourquoi je mettrai le costume, les lunettes en écaille, et l’écharpe blanche. »

A quel âge avez-vous commencé à écrire puis à être publié ?

« J’ai fait comme beaucoup de jeunes de très mauvais poèmes, des recueils de nouvelles. Et ensuite, j’ai eu peur de ma lancer dans l’écriture de romans tout de suite parce que je pense qu’il faut attendre que la vie vous ait touché un peu, d’avoir souffert : la souffrance du premier amour, de devoir aller travailler tous les matins  pour gagner sa vie…
Et donc, j’ai écris mon premier livre, sur la bossa nova, et quand j’ai vu que je pouvais aligner plus de 20  pages et intéresser un éditeur, je me suis dit « mais c’est génial« . J’ai donc commencé à écrire des bribes de romans et en 96 je me suis lancé pour écrire mon premier roman que j’ai envoyé à toutes les maisons d’édition que la France peut compter.

Mais si vous voulez publier, n’envoyez jamais rien à une maison d’édition pour une simple raison, c’est que 9 fois sur 10 ils ne lisent pas. Si vous voulez être publié, allez dans les salons du livre, rencontrez des romanciers et demandez un contact à l’intérieur de la maison d’éditeur. Comme cela, à défaut d’être publié, vous aurez au moins la certitude d’être lu. Pour mon premier roman, j’ai reçu une centaine de lettres, qui à chaque fois me faisaient pleurer et qui ressemblaient toutes à ceci : « Cher monsieur, nous avons bien reçu votre manuscrit mais nous avons le regret de vous faire savoir qu’il n’entre pas dans le cadre de nos collections. Nous espérons que vous nous ferez à nouveau confiance et que vous nous adresserez votre prochain manuscrit. Très respectueusement« , un coup de tampon, et terminé. Et puis, j’ai eu un coup de bol phénoménal : quand j’ai écrit Brasil bosa nova, je l’envoie aux éditions Métailié ou plutôt je monte à Paris et je vais voir les éditions Métailié spécialisées en Amérique latine. J’avais les interviews exclusives de Gilberto Gil et des autres… donc pour moi c’était un manuscrit béton armé. Je fais donc à l’époque 10h de train entre Marseille et Paris. Anne Marie Métailié me reçoit sur son palier en 5 minutes « Mais pour qui vous prenez-vous ? Vous avez 20 ans, vous n’avez jamais publié, vous n’avez encore jamais écrit dans les journaux. » Le livre sort. Il m’arrive une chose formidable car à l’époque c’était le cadre d’échanges culturels entre la France et le Brésil et il y avait une espèce de compétition pour savoir qui allait avoir le grand prix France-Brésil, et c’est moi qui l’obtiens. Je remonte à Paris, il y avait une vingtaine de journalistes. Tout était fait en grandes pompes et l’ambassadeur me prévient qu’il y avait une énorme surprise. Je grimpe sur l’estrade, et quel est l’invité surprise venu me remettre le grand prix ? Pelé, l’inventeur du foot, autant dire un génie sur pattes. Moi, qui avais été footballeur, je me suis mis à pleurer devant les journalistes.
Quelques mois se passent. Je dédicace mon bouquin à Aix-en-Provence. Je vois arriver une rousse folle furieuse, âgée de 45 ans peut-être, qui se jette sur moi « C’est vous Jean-Paul Delfino ? Je vous veux, je vous veux, je vous veux. » C’était Anne-Marie Métailié qui m’avait reçu sur le pas de la porte. « Est-ce que vous accepteriez de m’écrire un livre sur toute la musique du Brésil ? » J’ai accepté. Je ne demande pas de contrat. Je planche dessus pendant 5 ans et demi. Pour ça, je fais plusieurs allers et retours là-bas, des interviews, des recherches… Le manuscrit enfin est terminé. Je l’envoie à Métailié qui me passe un coup de fil: « C’est génial ! On prend. » Brasil Bosa Nova était chez un petit éditeur. Mais Métailié, ce n’est pas la plus grande, la plus connue mais celle qui, à mon sens, est l’une des meilleures avec, dans le domaine du polar, Rivages.
J’envoie donc le manuscrit. Une semaine, quinze jours se passent, rien, trois semaines, rien. Je prends le téléphone et j’apprends qu’elle est partie au Mexique. Je commence vraiment à m’inquiéter. Le lendemain, je reçois une carte postale de Cancun où Anne-Marie Métailié me dit que le livre ne sera jamais prêt pour le salon du livre de Paris, et donc qu’elle ne prend pas le manuscrit. J’étais furieux. Finalement un éditeur national de moindre envergure prend le manuscrit. Coup de chance encore, il sort en juillet 98, en pleine finale de la coupe de monde France-Brésil.


<J’ai envoyé ensuite mon premier roman, L’île aux femmes, à de nombreux éditeurs, dont Anne-Marie Métailié. Je lui joins une lettre un peu caustique tout de même.
« Chère Mme Métailié,
Vous m’avez fait l’honneur de refuser le premier : il a reçu un prix littéraire. Vous m’avez fait la gentillesse de me refuser le second : il s’est vendu à un millier d’exemplaires. Faites-moi la grâce de refuser le troisième. Cela voudra dire que j’ai un peu de talent et que je vais vendre beaucoup de livres. »
Elle a pris cela avec beaucoup d’humour. Une semaine après, j’avais une lettre avec un billet d’avion, un contrat pré-signé et elle a eu beaucoup de courage car elle m’a tenu à bout de bras pendant 5 ans où on a gravi les échelons petit à petit. Quand vous êtes le fils de personne, quand vous n’habitez pas Paris, quand vous avez moins de 50 ans ou que vous n’êtes pas professeur de faculté, vous avez moins de chance qu’un autre.
Moi, cela a fonctionné, et avec Corcovado cela a été l’explosion, pour le tome 2 aussi. J’en tire d’ailleurs une fierté, celle d’être interdit de séjour sur le sol américain. Le troisième sortira le 10 mai en librairie, Samba triste. De nombreux journalistes l’ont lu sous forme d’épreuves imprimées. J’ai eu beaucoup de difficulté pour l’écrire. Il m’a fait mal. J’étais perdu avec Corcovado dans le Brésil des années 20, je vivais dans ma bulle et descendais pour manger pendant deux ans et demi. Ensuite, le tome 2, je l’ai vécu en révolté, avec tout ce que je découvrais sur les USA. Et le tome 3, enfin, m’a fait très mal, parce que j’avais l’impression, alors que ça se passait au Brésil dans les 70′s, de décrire la France d’aujourd’hui. Je m’explique. Le Brésil a eu une dictature militaire, qui a engendré des tas de problèmes. Nous, on a une dictature ultra-libérale du point de vue économique. Ce ne sont plus les politiciens qui font la cité, ce sont les grands patrons d’industrie. Et je me suis rendu compte que le résultat était le même, c’est-à-dire que les deux dictatures donnaient le même fruit pourri : apparition de travailleurs pauvres, augmentation de bidonvilles, de banlieues, augmentation de l’analphabétisme, problèmes culturels, problèmes nutritionnels avec la malbouffe et la difficulté de se nourrir correctement (Lidle, ce n’est pas Fauchon). J’ai bien peur qu’à ce train-là, on n’aille droit dans le mur. J’ai donc eu du mal pour ce troisième tome. J’ai d’ailleurs fait une sorte de dépression littéraire. Imaginez-vous : vous êtes amoureux de ces personnages que vous avez créés. C’est la première fois que cela m’arrivait. Vous vivez avec eux 24h/24 pendant cinq ans et demi. Et au bout de ces 5 ans 1/2, quand vous devez marquer le mot « fin », cela fait un choc. Ceci dit, j’étais hier au téléphone avec le producteur et le réalisateur pour l’adaptation des trois tomes. Le premier, c’est sûr, ce fera soit à la télévision en 3 fois 90 minutes ou au cinéma. Mais cela prendra entre 3 et 5 ans avant de le voir se concrétiser, avant qu’il ne sorte à l’écran, surtout s’agissant d’un film historique. »

- Combien ça paye ?

« Cela paye peu. Un roman en grand format, ça vaut 20 euros et l’auteur touche 2 euros. »

- Vous vous faites exploiter alors !
« C’est pire que cela, oui, car en fait, si il n’y a pas l’auteur, il n’y a pas le livre. Or un auteur prend 10%, le libraire aussi, l’éditeur 25% et le diffuseur le reste, soit 55%. Et le diffuseur, c’est celui en fait qui possède les gros camions pour acheminer les cartons de l’entrepôt,
où les livres ont été imprimés, et ce dans toutes les librairies de France. Voilà pourquoi on gagne si peu, mais ça fait quatre ans maintenant que j’ai la chance de vivre de mes droits d’auteurs. Ce qui veut dire que je me lève quand je veux, je n’ai pas de patron, je n’ai pas d’horaire. On doit être 5000 auteurs en France et 80 à pouvoir vivre de ses droits d’auteurs.« 


C’est un salaire mensuel?

« Non, en fait on est payé une fois par an, sauf quand on a un livre qui marche énormément. Par exemple, l’un des mes livres, celui sur le kama-sutra, s’est vendu à 75 000 exemplaires en 3 ans. J’ai donc demandé à l’éditeur de me verser 3000 euros par mois pendant 3 ou 4 ans, car s’il me verse tout d’un coup, les impôts vont me prendre le maximum. »
Pour être écrivain, il faut avoir une culture littéraire ou ce n’est pas utile ?
« Il faut avoir une culture littéraire, au moins pour ne pas écrire ce que les autres ont déjà écrit. Je n’ai pas de maître en littérature, j’ai des phares et Boris Vian, qui en est un, disait « On écrit pour deux raisons ; la première, c’est parce qu’on a lu des livres qui nous ont tellement chaviré l’âme, fait rêver, partir, qu’on a envie de rendre au lecteur la même dose d’émotion, la même énergie. » Et puis, il disait avec malice que la deuxième raison pour laquelle on écrivait, c’est parce que la littérature contemporaine qu’il connaissait était tellement mauvaise qu’il fallait justement essayer de faire autre chose. »
Comment avez vous eu l’idée d’écrire un roman ? Pourquoi et comment écrire?

« C’est difficile à dire. Quand j’ai un projet de livre il y a d’abord toujours une émotion. C’est pour moi, le moteur de chaque chose, qu’elle soit positive ou négative. Je connais toujours le sujet. Pour Corcovado, je voulais écrire un grand chant d’amour à ce pays, qui, pour moi, est un pays absolument extraordinaire. Si un jour vous avez le chance d’y aller, allez-y. Oubliez cette propagande selon laquelle, quand on est une femme, on est soit danseuse de samba ou prostituée, et quand on est un homme, on est soit joueur de foot soit prostitué. Allez-y et vous verrez qu’il n’y a pas tant de violence que cela. Je connais les quartiers de Marseille où il y a plus de violence que dans la pire des favelas, le pire bidonville de Rio. Corcovado, je voulais  que ce soit un grand chant d’amour pour ce pays qui m’a tout donné. Mon premier livre, je l’ai écrit à 21 ans, c’était un ouvrage sur la musique brésilienne. A cette occasion, j’ai rencontré toutes les plus grandes stars comme Gilberto Gil, qui est devenu ministre de la culture au Brésil et un grand ami, et puis Chico Buarque…
Et après avoir publié mon premier polar, je me suis dit « il faut que tu rendes un peu du bonheur que le Brésil t’a donné », et donc j’ai trouvé cette histoire autour du Christ avec les bras en croix. Je l’ai écrite et je me suis dit avoir un peu remboursé ma dette d’amour. Puis, en fait je ne la rembourserai jamais car le Brésil m’a fait un cadeau encore plus beau, c’est qu’ils ont jugé le livre suffisamment bon pour le traduire en brésilien. Et maintenant, quand vous arrivez à l’aéroport de Rio, et que vous pouvez voir en librairie votre livre traduit en brésilien, c’est quelque chose de phénoménal.
Ensuite, une fois que j’ai à peu près l’histoire en tête, j’écris les 30 premières pages, parce que je sais comment cela va commencer, je sais comment cela va finir, mais le problème c’est entre la page 30 et la page 480, je n’en sais rien.
Beaucoup de romanciers affirment avoir tout planifié. Moi, non, je ne sais pas travailler comme cela, c’est-à-dire que j’ai créé, que j’ai mis en situation des personnage qui me racontent leur histoire. Parfois, j’ai un peu l’impression d’être un escroc car ce n’est pas moi qui écris, c’est eux. Moi, je suis juste le porte-plume. »

- Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ?

« En fait, c’est l’amour. Je pense que si on arrive à changer les idées de quelques personnes avec un livre, ou à les faire voyager, c’est ce qu’il y a de plus beau.

J’ai à ce sujet une anecdote assez terrible. J’ai écrit mon premier livre à 21 ans, sur la musique brésilienne. J’ai reçu beaucoup de courriers de lecteurs et surtout de lectrices anonymes parce que, sur 100 lecteurs, 80 sont des femmes donc c’est normal que je reçoive plus de lettres de femmes. Et un jour, j’ai reçu une lettre que j’ai lu distraitement :


«Monsieur,
Vous m’avez fait voyagez….
blabla blabla…»

Et j’allais la reposer quand je remarque un nota bene « Je m’appelle Patrick. J’ai 25 ans et je viens de prendre 20 ans à Fleury Mérogis. » Et quand vous arrivez à faire voyager quelqu’un qui est en taule pour 20 ans, si ça c’est pas gagné, si ça c’est pas de la littérature, je ne sais pas ce que c’est. Il y a plein de raisons pour lesquelles on écrit. On écrit aussi pour se révolter, pour exister dans la société dans laquelle on est. Si j’étais heureux, je ne sais pas pourquoi j’écrirai, parce que c’est aussi un acte de révolte que d’écrire. C’est ma façon de vivre et mon équilibre fragile passe par l’écriture. Si je n’écris pas, je deviens à peu près fou ! »


- Quelle est la principale difficulté quand vous écrivez ?

« Je n’ai jamais eu de problème de page blanche. En revanche, des difficultés, j’en ai eu avec Corcovado car si on respecte le lecteur, il faut écrire des choses qui sont à peu près vraies. Ca allait très bien quand il était à Marseille dans les années 20, mais, arrivé au Brésil, je voulais être exact, donc je suis tombé sur un collecteur sur Internet de toutes les horaires de départ et d’arrivée de tous les cargos depuis 1890. Je ne vois pas à quoi çela peut servir, en tout cas, à moi, cela m’a été bien utile. Mon héros arrive à Rio et prend un taxi : Y avait-il des taxis à Rio en 1920 ? Si oui, de quelle couleur? Quel était le costume du chauffeur ? Quelle était la monnaie courante? Donc, j’avais écrit les 30 premières pages. Je croyais commencer et j’ai mis 2 ans sans écrire pour faire des recherches, pour ne pas raconter de bêtises. Et quand le livre a été traduit au Brésil, il a été lu par le comité de spécialistes universitaires du vieux Rio, qui n’a trouvé que deux petites fautes, qui ont été corrigées. Je ne suis pas l’écrivain dans sa tour d’ivoire qui fume et qui boit du champagne ».

- Vous écrivez à la main ou à l’ordinateur ?

<« Quand j’étais journaliste, je pissais de la copie, comme on dit dans le métier, c’est-à-dire que je tapais directement à l’ordinateur des informations prémâchées que m’envoyait l’agence France Presse. Cela n’avait aucun intérêt mais me permettait de manger. Et quand je me suis mis à écrire des romans, j’ai une technique bien à moi : le matin, j’écris à la main. Ensuite, je ne fais rien au moins jusqu’à 16 h. Et encore, le matin c’est juste 10-12h. Après, l’après – midi, je tape à l’ordinateur ce que j’ai écrit le matin. Puis, plus rien. J’ai mes autres activités. Et le lendemain matin, je me lève, je relis ce que j’ai tapé à l’ordinateur et imprimé, je corrige et je continue à la main. Cela me permet à la fois de corriger un premier jet que j’ai écrit la veille et en même temps de me remettre complètement dans l’ambiance.« 


- Comment vous vous organisez pour écrire? Par le début, par la fin ?

« Non, je sais exactement quelle est la première scène parce que c’est là que je donne 30 pages de possibilités, c’est-à-dire que si au bout de 30 pages je m’ennuie davantage qu’à la première, je laisse le livre, c’est qu’il n’est pas pour moi. Mais je laisse toujours une chance à un livre. Quand je dis trente pages pas vraiment, il y a 50 000 livres qui sortent chaque année, vous imaginez. Donc j’essaie d’attraper le lecteur dès le début, je sais ce qui va se passer à la fin, parce qu’il faut que la fin soit digne de ce nom. Et, entre les deux, je suis un escroc parce que ce n’est pas moi qui écris, ce sont les personnages qui me racontent leur histoire. Et c’est vraiment l’impression que j’ai quand vous mettez en scène quelqu’un comme Joao Domar, qui tue mais pour la bonne cause et devient coupable à partir du moment où il décide de s’enrichir sans avoir de tabou, mais jusqu’au moment où il tue accidentellement ce fils de mafieux et où il va au Brésil, c’est plutôt une victime, parce qu’il  peut tout à coup trop rêver. Car avant il était aconier sur le port de Marseille, c’est-à-dire un col bleu, il avait sa petite vie bien réglée, n’ayant pas de femme, il allait voir les prostituées de temps en temps, il mangeait à sa faim, donc c’était le bonheur au début des années 20. Et d’un coup, il est obligé de fuir. Il arrive au Brésil. Il sait lire, écrire, compter. Il parle italien, portugais et français. Il rencontre un oncle providentiel, lequel va l’inciter à rêver plus haut que ce dont Joao avait l’habitude, c’est-à-dire vivre dans la misère des ports. Et là, il lui dit « Tu vas être docteur. » Et ça va lui échauffer l’esprit, et quand le projet du Christ vacille, il se dit que tous les moyens sont bons pour réaliser les rêves qu’on l’a incité à avoir. Et j’ai eu beaucoup de mal (350 pages étaient écrites) à faire remonter la pente à ce salaud. Finalement, il n’y a que par l’intermédiaire de la magie qu’il remonte la pente. On a tous le droit de commettre des erreurs. Au final, je le trouve attachant ce gars. »


- Comment faites-vous pour intégrer dans votre texte des procédés littéraires ?

« Moi, je n’insère rien. J’ai lu énormément d’auteurs et j’ai aimé quelques-uns de ces auteurs, de moins en moins dans la littérature contemporaine française, mais davantage de Rabelais jusqu’aux années 1950. Et après, je crois que c’est un travail inconscient. Certains se disent « Là, ja vais faire une mise en abime, etc…. » Moi, non, j’essaie de raconter une histoire. Un intellectuel, c’est simple, il comprend le monde avec sa tête et ensuite il le ressent par les tripes. Moi, je suis l’inverse, c’est-à-dire que je reçois le monde par les tripes et après je peux éventuellement l’intellectualiser ou le conceptualiser par la tête. Pour moi, c’est une différence fondamentale. Donc, en fait, toutes ces gifles d’émotions que j’ai reçues en lisant Boris Vian, Blaise Cendrars, Prévert, et puis les étrangers Italo Calvino, Marquez, Georges Amade… je les ai lus comme on boit des potions un peu fortes, un peu enivrantes, et ça reste à un moment donné en soi, et je ne fais pas de copie. Je connais des auteurs qui lisent des romans de fin 19ème et début 20ème, qui soulignent des passages et les recopient dans leurs propres livres. Pour moi, c’est l’antithèse de la littérature.
La littérature, c’est donner des visions du monde qu’on a propres en utilisant notre propre style.
Et pour moi, la considération sera atteinte quand un jour on fera une lecture aveugle de quelques lignes que j’ai écrites sans savoir que c’est moi qui les ai écrites, et que les gens puissent dire :  »Ah ça, c’est du Delfino ! C’est la musique de Delfino. » C’est-à-dire que l’histoire en elle-même, je pense qu’on peut en prendre une vingtaine, c’est toujours la même, cela se passe seulement dans des lieux et des époques différents. Entre Roméo et Juliette et le Titanic il n’y a pas de différence. Il y a toujours un homme et une femme qui s’aiment mais que la société sépare. C’est toujours pareil, ce qui est intéressant, c’est de savoir comment c’est raconté, sur quels détails on s’arrête. »


- Est-ce que vous vivez de votre plume ?

« Eh oui ! Si, il y a 8 ans, on m’avait dit que j’aurai publié une douzaine de romans, que je serai traduit en Espagne, en Italie, au Brésil, en Corée du Sud… »


- Pourquoi avez-vous décidé de faire tourner l’histoire autour du Christ ? Etes-vous croyant ?

« Je vais vous répondre très sincèrement : je crois. Je ne crois pas en Dieu, Mahomet… car la première cause de guerre dans le monde, après l’enrichissement personnel, c’est le représentation des dieux sur Terre, c’est vouloir expliquer aux autres, que ce n’est pas bon de manger du porc, de jurer le nom de Dieu. Mais, je ne suis pas assez matérialiste et peut-être un peu trop poète, je crois qu’il y a quelque chose, qu’on ne vient pas là uniquement pour souffrir. Je me dis parfois qu’on a plusieurs vies. Je parle dans Corcovado de Candomblé et de Macumba, ce que bien entendu la religion catholique refuse parce que ce sont des sorcelleries, et j’ai vu, dans la procession pour Iemanjà (déesse de la mer, protectrice des pêcheurs), toute une nuit les mères des saints, les pères des saints, en train de lisser une bande de 1 m de large et de 10 m de long de sable blanc et les fillettes, préparées, défilaient sur le sable blanc et n’étaient acceptées que celles qui ne laissaient pas de trace. Pour moi ça, c’est de la lévitation. »

D’où vous vient votre passion pour le Brésil ?

« C’est un mot très compliqué qui fait peur mais cela ne fait pas mal, c’est métempsychose. La métempsychose, c’est une théorie qui dit qu’on a plusieurs vies et que lorsqu’on meurt, on se réincarne. Et quand je me suis retrouvé au Brésil pour la première fois, j’ai eu l’impression de rentrer chez moi, alors que je n’y avais jamais mis les pieds. Et au bout d’une semaine je parlais le brésilien couramment alors que je n’en parlais pas un mot trois jours avant, et trois jours encore plus tard, je parlais l’argot des bidonvilles. C’est un sentiment curieux, étrange. Et d’ailleurs une libraire que je connaissais très bien, quand j’étais jeune, férue d’ésotérisme, avait fait une recherche sur mes vies précédentes et m’avait annoncé que j’avais été sorcier dans une tribu d’Amazonie. Cela m’avait fait mourir de rire. Mais quand je suis allé au Brésil pour la première fois, et que j’ai eu ce sentiment, je me suis dit qu’on ne peut pas tout expliquer. Moi, j’aime tout ce qui fait rêver. Même si ce n’est pas vrai. La réalité et la vérité sont des valeurs extrêmement relatives. »

Quel est le livre qui a eu le plus de succès?

« En roman, incontestablement, c’est Corcovado. Actuellement, dans l’édition on arrive à des aberrations comme tirer un roman à 800 exemplaires. Un éditeur, quand il vend 1200 exemplaires, il est déjà très content. A partir de 8000 exemplaires, on estime que c’est le succès. Mais, ce qui m’intéresse ce n’est pas tant combien j’en ai vendus, mais ce que je vais écrire après cela. »

- Pourquoi êtes vous interdit de séjour aux Etats Unis ?

« Je vous conseille d’emprunter Dans l’ombre du Condor au CDI et de lire aussi le troisième parce que je livre des affaires, documents et témoignages à l’appui, sur la CIA et les multinationales. Je ne fais pas cela pour faire de la provocation mais parce que j’ai les sources qui me permettent de dénoncer ces gens qui ont fait basculer les démocraties de l’Amérique Latine dans la dictature, simplement pour pouvoir piller leurs richesses. En commençant par désinformer les gens, par leur faire peur. Soyez vigilants. Comparez, recoupez les informations données par les médias. Vérifiez. »

- Lequel préférez-vous ?

« Je serais incapable de choisir entre tous mes neveux et nièces (je n’ai pas d’enfant), ne me demandez donc pas de choisir entre mes différents romans. En revanche, j’ai été nègre aussi. J’ai écrit pour des gens peu intéressants. Mes deux gros succès de librairie, ça a été les biographies de Rocco Siffredi et de Clara Morgane. J’ai accepté car à l’époque je ne vivais pas de mes droits d’auteurs. En 3 ans, 75 000 exemplaires se sont vendus du Kama-Sutra, alors que pour les 5 ans et demi de travail consacrés à la trilogie, on n’a pas dépassé 50 000 exemplaires. Donc c’était purement alimentaire, comme le faisait Balzac, payé à la ligne dans les journaux. »

-Relisez-vous vos livres ?

« Non, jamais, même en public dans les salons, j’aurais trop peur de découvrir une faute de frappe, comme une verrue sur la femme qu’on aime. »

« La vraie littérature, c’est fait par des hommes et des femmes qui vivent comme vous et moi. Il faut les respecter pour ce qu’ils font mais pas obligatoirement pour ce qu’ils sont. »

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