Bon anniversaire à Claude Pujade-Renaud qui fête aujourd’hui ses 80 ans !
En attendant mardi où je la rencontre chez elle pour lui poser quelques questions plus générales sur son parcours d’écrivain, voici ce qu’elle a confié à Marion Blondeau, danseuse et chorégraphe, avec qui je travaille sur un projet cette année autour de son roman La Danse océane et du croisement entre la littérature et la danse.
Son roman La Danse océane
Peut-être vais-je commencer par resituer le roman ?
Le roman se déroule de 1920 à 1972, à la mort de Limon, avec qui j’ai dansé en 1962.
Il y a d’abord le contexte économique aux Etats-Unis dans les années 30 qui est une période de crise comme on peut la retrouver aujourd’hui. Il y a beaucoup de chômage, les danseurs sont obligés de faire un petit boulot à côté, ils ne vivent pas de la danse, ils débutent. Ca a été une bataille pour survivre économiquement et pour créer parce que c’était à contre-courant, encore que c’était mieux qu’en France, mais il y avait encore une domination pour le ballet classique. Il y a une rupture qui s’est opérée. Par exemple, dans les années 30-35, ils commencent à vivre en groupe, en petite communauté, mais cette idée-là n’était pas encore très courante, excepté chez quelques artistes d’avant-garde. (D’ailleurs, un élève, Alexis, a exprimé le désir de travailler là-dessus). De vivre ensemble, de danser et de créer ensemble. Quels conflits, quelles tensions ça peut créer. Qui prend en charge la bouffe, le matériel, … C’est ce que j’ai essayé dans le roman de montrer : que les danseurs, ce n’était pas que des corps triomphants qui apparaissent sur scène, mais il y a le quotidien, le fric, la bouffe, et du coup toute une organisation matérielle. Il faut gérer. Qui prend la gestion en charge ? C’est plutôt Pauline. Et puis cette idée que la création, ça débarque pas comme ça : il faut se battre. Il y avait chez eux un idéal social et politique. Pour des Américains, ils étaient plutôt à gauche, avec cette idée de vie en communauté et de partage. Et puis les finances, ça tient un certain temps, et puis ça finit par craquer. C’est se battre au quotidien, c’est pas seulement danser.
Marion Blondeau : Y a-t-il un peu de vous dans ce roman, comme l’indique la quatrième de couverture ?
Claude Pujade-Renaud : J’y parle de Doris, que la quatrième de couverture qualifie d’inflexible, Doris la fière, la volontaire, oui, il y a une ténacité qu’on retrouve aussi chez Martha Graham, mais moi, je ne m’identifie pas à cette capacité de batailles permanentes, de créations, non… Ce texte, ce n’est pas le premier texte que j’ai écrit, mais c’est le premier roman, avec la mise en scène de plusieurs personnages. J’ai eu le plus grand mal à le faire publier. Et je l’ai écrit quand j’avais entre 45 et 50 ans à peu près, et j’avais renoncé à la danse pour des tas de raisons. J’avais envie d’autres choses, d’écrire… Cela ne m’est pas venu comme ça, d’écrire d’un seul coup. Il y a eu pour un long trajet qui a été de renoncer à enseigner la danse, changer d’orientation professionnelle, reprendre des études. Il y a eu un vrai cheminement qui s’est accompagné d’un travail intérieur, psychologique, etc. Et cette idée de parcours, on la retrouve dans le roman. Ce livre était pour moi comme un travail de deuil, c’est-à-dire d’essayer de raconter ce que j’avais pu vivre à travers la danse. Oui, la passion, l’engagement, ce plaisir du mouvement mais qui peut aussi être une discipline, une douleur, le corps parfois qui lâche. C’est vrai que la figure de Doris est assez centrale, mais je repense à ce roman comme un peu à l’un des quatuors que l’on peut isoler dans la danse contemporaine.
Aussi, j’y ai réinterrogé mon parcours antérieur de danseuse et d’enseignante de danse, et ce que cela avait signifié pour moi. Je le fais à travers des personnages qui ont existé, j’en ai connu un qui est José Limon.
Je m’interroge dans ce roman : Qu’est-ce qu’une vie consacrée à la danse ? Qu’est-ce que ça engage de soi-même, d’énergie, de part d’imitation de l’autre. Car être élève, c’est attraper le mouvement de l’autre qu’on intègre en soi, et puis comment après on essaie de donner, de faire passer. J’ai beaucoup aimé enseigner. D’où l’idée de la transmission, qui est très présente dans ce roman. Et surtout, ce sont des gens qui donnent un sens à leur vie, et qui lui sacrifie tout : au lieu de mener une vie confortable, ce sont des journées de 12 heures et plus à donner des cours, à répéter, à faire des spectacles. Et leur engagement est total. Et est-ce que c’est compatible avec une vie de famille, d’avoir des enfants, etc.
Son parcours
M. B. : Quel a été votre parcours dans la danse ?
C. P.-R. : Mon parcours de danse s’est essentiellement fait à l’intérieur de l’éducation physique. Un peu avant 30 ans, dans les années 55, je suis devenue enseignante pour la formation des futurs professeurs d’éducation physique, qui avaient 4 ans d’étude, et je me suis spécialisée dans la partie « danse », au milieu de toutes les autres activités (basket, athlétisme, etc.) que j’ai moi aussi pratiquées puisque j’ai aussi été prof d’EPS, et puis je suis allée prendre des cours de danse en extérieur, et fait un tour aux Etats-Unis.
A ce moment-là, c’étaient les tout débuts de la danse moderne en France. On était un petit groupe dans Paris à se refiler des adresses. Par exemple, on savait que Jacqueline Robinson à Montmartre avait chez elle pendant deux mois tel professeur qui arrivait des Etats-Unis.
J’ai suivi les cours de deux des personnages de mon roman, ceux de José Limon mais surtout ceux de ses élèves, alors âgés de plus de la trentaine, dans une université d’été du Connecticut, durant six semaines. Et puis j’ai passé un mois à New-York, à l’école Martha Graham. A l’université, les groupes Graham et Limon ne se mélangeaient pas. C’était en 1965 je crois. Chez Limon, c’était très hispanisant, très chaleureux et détendu. Martha Graham n’enseignait plus elle-même, elle avait 70 ans je crois, mais supervisait les cours avec son regard terrible. Les cours étaient essentiellement donnés par ses élèves, majoritairement japonais, à la fois nerveux et rigoureux. Il y avait chez elle un côté très ascétique.
M. B. : Quel est le terme exact ? Est-ce qu’on dit danse moderne, est-ce qu’on dit danse contemporaine ? Ou est-ce qu’on dit « modern dance » ?
C. P.-R. : Oui, c’est toujours le problème. Quand je suis allée aux Etats-Unis au début des années 60, le terme employé était « modern dance ». Mais quand on dit « modern dance » en français, la traduction pose problème car on pense aussi aux danses dites de salon.
J’aurais adoré participer à ce projet…
Tu as lu « Les femmes du braconnier » ? Pour moi ce fut une révélation. Absolument magnifique !
Ah non, pas celui-là, que je vais ajouter sur ma liste. Je viens de lire l’essai publié sur elle chez L’Harmattan, et son parcours m’intéresse vraiment beaucoup. Je suis en train d’en rédiger la synthèse.
Ca y est : je viens de l’acheter.
Cela semble avoir été un beau projet.
J’ai toujours sur ma LAL « Belle-mère » que l’on m’avait conseillé pour découvrir C. P-R. Ton billet ravive mon envie de découvrir cette dame.
En fait, il s’agit d’un projet littérature et danse dont j’ai eu l’idée, « Le Pas des mots », en direction de lycéens de 1ère scientifique qui étaient en difficulté scolaire, à qui l’on fait lire des ouvrages de fiction sur la danse (dont La Danse océane), et fait réaliser des recherches documentaires sur l’histoire de la danse et ses chorégraphes. Ils rencontrent Claude Pujade-Renaud en avril et mai, qui va assister à leur spectacle, et découvrent et pratiquent la danse contemporaine au cours de 11 ateliers de 2h avec Marion Blondeau, chorégraphe et danseuse, inspirés du roman La Danse océane. Cela débouchera sur un spectacle au Centre Chorégraphique National.